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30/03/2009

Serge Paugam « On ne fait plus de prévention, on gère… »

Sociologue et directeur d’étude à l’EHESS, Serge Paugam (1) critique les politiques publiques menées ces dernières années en matière de lutte contre la pauvreté.

Avec la crise, doit-on redouter une explosion de la pauvreté ?

Serge Paugam. Malheureusement oui. Il existe un lien très clair entre la dégradation de l’emploi et l’augmentation de la pauvreté. Avec la crise actuelle et la multiplication des licenciements, ce phénomène risque de s’affirmer davantage.

Va-t-il toucher des nouveaux publics, notamment chez les actifs ?

Serge Paugam. Précisons que les actifs étaient déjà touchés par la précarité, avant même que le chômage n’augmente de manière aussi massive. Ces dernières années, on a vu s’accélérer, en même temps que se développait le travail à temps partiel, le phénomène des « travailleurs pauvres ». Le nombre de personnes en situation d’emploi mais dont le faible salaire ne permettait plus d’échapper à la pauvreté a augmenté considérablement. Dans les années quatre-vingt, ce phénomène était marginal. À l’époque, le développement de la « nouvelle pauvreté » était lié essentiellement à la dégradation du marché de l’emploi. Aujourd’hui, avec la crise, ces deux phénomènes - travailleurs pauvres et chômeurs de longue durée - vont se superposer.

La France s’est-elle suffisamment armée pour lutter contre la pauvreté ?

Serge Paugam. Clairement, non. La meilleure solution pour lutter contre la pauvreté est de se doter d’un système de protection le plus universel possible. Seuls des mécanismes d’assurance sociale générale peuvent protéger les individus des aléas majeurs de l’existence. C’est la base des systèmes sociaux des pays scandinaves, où la pauvreté reste marginale. En France, les gouvernements successifs ont laissé dériver le système de protection sociale vers un modèle plus libéral, organisé sur la base des assurances, en jouant de l’assistance lorsque les plus défavorisés se retrouvaient déjà en situation de pauvreté. En clair, on ne fait plus de prévention, on gère la pauvreté…

Le RSA va-t-il dans le bon sens ?

Serge Paugam. Non. Avec le RSA, on développe, de façon pérenne, un statut de travailleur à la fois salarié et assisté, ce qui constitue une première dans l’histoire de nos institutions sociales ! Pis : dans cette période de crise, où peu d’emplois seront créés, la perspective de rester durablement dans ce statut intermédiaire va devenir très grande et concerner une large population.

Au final, comment jugez-vous la politique de lutte contre la pauvreté menée ces dernières années ?

Serge Paugam. Les années 2000 ont vu se développer, notamment lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, un discours de culpabilisation des pauvres fondé sur la notion de mérite et de responsabilité individuelle, renvoyant la question de la responsabilité sociale au second plan. Le fil conducteur des politiques publiques en matière de lutte contre la pauvreté n’était plus l’injustice mais une sorte de méritocratie. Aujourd’hui, cette position n’est plus tenable. Avec la crise, l’injustice face à l’emploi devient criante et contribue à repenser la solidarité en prenant en compte les grands principes définis en France à la fin du XIXe siècle, à travers la doctrine du solidarisme, puis à travers la création de la Sécurité sociale, tous ces mécanismes qui ont assuré le progrès social en France.

(1) Dernier ouvrage : la Régulation des pauvres, de Serge Paugam et Nicolas Duvoux. Éditions PUF.

Entretien réalisé par Laurent Mouloud

L'Humanité - 28.03.09

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