À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

03/04/2009

Vous êtes viré !

Michael Moore

Le départ de Rick Wagoner, le PDG de General Motors contraint à se démettre par Obama, revêt une signification toute particulière pour Michael Moore. Qui mieux que lui pouvait écrire, avec la verve qui est la sienne, ce que doivent ressentir les milliers de travailleurs du secteur automobile dont les vies ont été brisées de restructurations en licenciements ?

Rien de tel n’avait jamais eu lieu. Le président des États-Unis, le représentant élu du peuple, a annoncé au patron de General Motors - une compagnie qui a été au sommet du classement des entreprises Fortune 500 plus longtemps que quiconque - « Vous êtes viré ! »

Je n’arrive pas y croire. Cette décision magnifique, sans précédent, m’a laissé sans voix durant les deux derniers jours. Je ne pouvais m’empêcher de me demander « Obama a-t-il vraiment viré le président de General Motors ? La plus riche et la plus puissante entreprise au 20e siècle ? Il peut faire ça ? Vraiment ? Nom d’un chien ! Que va-t-il faire après ? »

Devant cette détermination, les patrons américains ont failli s’étrangler. Obama venait de publier un décret stipulant que c’était le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple qui décidait, pas les grandes entreprises. John McCain a bien compris de quoi il s’agissait. Depuis les travées du Sénat, il s’est interrogé , « Quel est donc le signal envoyé aux autres entreprises et établissements financier sur l’éventualité que le gouvernement fédéral les vire aussi ? » Le sénateur Bob Corker, a déclaré que cette décision « devrait faire frissonner tous les Américains qui croient en la libre entreprise. » Le marché boursier a plongé pendant que les maîtres de l’univers se demandaient : « Suis-je le prochain ? » Et ils se sont murmuré les uns les autres, « Comment allons nous faire avec cet Obama ? »

Vous ne ferez pas grand chose, les gars. Il a le soutien de la volonté du peuple américain - et nous l’avons autorisé à faire ce que bon lui semble. Si vous avez aimé ce premier coup-franc, restez à l’écoute.

Je vous écris cette lettre en mémoire des centaines de milliers de travailleurs qui, au cours de ces vingt-cinq dernières années, ont été jetés au rencart par General Motors. Beaucoup ont vu leur vie anéantie pour de bon. Ils sont tombé dans l’alcool ou les drogues, leurs mariages se sont brisés, certains ont mis fin à leur jours. La plupart ont déménagé, emménagé, redéménagé, sont partis. Ils ont fini par devoir occuper deux emplois pour la moitié du salaire qu’ils recevaient chez GM. Et ils ont maudit le patron de GM d’avoir ruiné leur vie.

Pas un seul d’entre eux, jamais, n’a pensé qu’un jour, ils verraient le patron traité de la même façon. Bien sûr, le président Wagoner n’aura pas à s’inscrire pour recevoir des bons d’alimentation, ni ne sera expulsé de son domicile, pas plus qu’il n’aura à annoncer à ses enfants qu’ils ne pourront pas aller à l’université. Au lieu de cela, il recevra 23 millions de dollars de parachute doré. Mais il n’empêche qu’il a reçu son courrier, tout comme des centaines de milliers d’autres l’avaient reçu - sauf que cette fois c’est nous qui l’avons décidé, via le gars Obama. La porte, c’est par là mon pote. Salut. J’voudrais pas être à ta place.

J’ai passé cette journée à Washington. Je suis allé au Sénat, à l’audience de la Commission des Finances sur le renflouement de Wall Street. Les parlementaires voulaient savoir comment les banques avaient dépensé l’argent du contribuable. Et bon nombre de ces banques ne le leur ont pas dit. Elles ont pris des milliards et personne ne sait où est passé l’argent. Il ne servira certainement pas à créer des emplois, aider les emprunteurs de crédits hypothécaires, ou permettre les prêts dont les gens ont besoin. Il était si choquant d’entendre cela que j’ai dû quitter la salle avant la fin. Mais cela m’a donné une idée pour le film que je suis en train de tourner.

Plus tard, je me suis arrêté aux Archives Nationales, et j’ai fait la queue pour voir le manuscrit original de notre Constitution. Je me suis rappelé qu’il y a vingt ans de cela ce mois-ci, j’étais dans cette même rue, en train de terminer mon premier film, un plaidoyer destiné à alerter la nation sur GM et son système économique meurtrier. Ce jour là, en mars 1989, j’étais ruiné, après avoir reçu mon dernier chèque du chômage, et devais compter sur l’aide de mes amis. Bob et Siri m’invitaient à dîner et réglaient toujours la note. Le directeur adjoint de la salle de cinéma me faisait rentrer en douce, et je pouvais voir un film de temps en temps. Laurie et Jack avaient acheté pour moi un vieux banc de montage Steenbeck. John Richard me passait parfois moi un billet d’avion invendu afin que je puisse rentrer à la maison pour Noël. Rod aurait fait n’importe quoi pour moi et me conduisait à Flint à chaque fois que j’en avais besoin pour le film. Ma mère (elle aurait eu 88 ans demain, si elle était toujours avec nous) et mon père, travailleur chez GM, m’ont dit dans leur cuisine qu’ils voulaient m’aider et m’ont remis un incroyable chèque de mille dollars. Je ne savais même pas qu’ils avaient mille dollars. J’ai refusé. Ils ont insisté pour que je le prenne - « Non ! » - puis, sur le ton des parents, m’ont dit que je devais l’encaisser et terminer mon film. Alors j’ai obéi et fait les deux.

Ce jour de mars 1989, pendant que je roulais sur Pennsylvania Avenue, ma vieille voiture âgée de neuf ans est morte. J’ai accosté le long du trottoir, posé ma tête sur le volant et commencé à pleurer. Je n’avais pas d’argent pour la faire réparer, et je n’avais absolument pas de quoi payer un remorquage. Alors je suis sorti, j’ai dévissé les plaques d’immatriculation pour ne pas recevoir une amende, et je suis parti en l’abandonnant pour de bon. Sur le bâtiment en face était inscrit : « Archives Nationales ». Quel meilleur endroit y aurait-il pour une voiture défunte, me suis-je dit, tandis que j’effectuais le reste du trajet.

Bien que cela n’ait pas été facile pour moi, je n’ai jamais eu à subir ce que tant de mes amis et de voisins ont connu, par la grâce de General Motors et d’un système économique pipé à leur détriment. Je me demande ce qu’ils tous ont pensé quand ils se sont réveillés ce lundi matin et qu’ils ont lu dans les titres du Detroit News et du Detroit Free Press qu’Obama avait viré le PDG de GM. Oh ! - un instant. Ils n’ont pas pu le lire. Il n’y a pas eu de Free Press ou de News. Lundi est le jour où ces deux journaux ont mis fin à la livraison à domicile. Elle a été annulée (comme ce sera le cas quatre jours par semaine), parce que la presse quotidienne, tout comme General Motors, tout comme Detroit, est ruinée.

Quant à moi, j’attends maintenant la prochaine action du président superhéros.

ContreInfo - 03.04.09

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