« Si tu ne peux pas distribuer de la nourriture, distribue au moins des bonnes paroles »
Proverbe africain
Ce proverbe s’applique comme un gant à la méthode du G8 en face de l’Afrique. En effet, les pays les plus industrialisés du Monde, le G8, se sont d’abord retrouvés seuls au Sommet du Canada, ensuite ils ont élargi le sommet au G20 et ils ont accordé quelques instants aux pays africains qu’ils encouragent à persévérer dans les réformes, c’est-à -dire une ouverture débridée de leurs marchés, distribuant ça et là des satisfecits et « des promesses qui n’engagent - comme le dit si bien l’ancien président français Jacques Chirac - que ceux qui y croient ». Promesses qui ne nourrissent pas le milliard d’hommes qui vit au-dessous du seuil de pauvreté. De quoi ont - ils parlé ? Est-ce du malheur des déshérités ? Des changements climatiques et des réfugiés économiques et climatiques ? Est-ce qu’ils ont parlé de la dénucléarisation du Monde ? Non ! ils ont parlé de la façon de continuer à gérer les ressources qu’ils n’ont pas et qui se trouvent « ailleurs ».
Les Etats-Unis et l’Europe, rapporte une dépêche de l’Associated Press, sont notamment divisés sur la réduction des déficits. Malgré les appels américains à ne pas abandonner trop vite les mesures de soutien à l’économie, l’heure est à la rigueur budgétaire en Europe, ébranlée par la grave crise de la dette grecque. Les dirigeants du G20 sont également divisés sur la réforme de la régulation financière. En Europe, la priorité semble désormais la réduction des déficits après la crise grecque qui a ébranlé la confiance dans les finances d’autres pays de l’Union européenne et dans l’euro. « Sans croissance maintenant, les déficits augmenteront davantage et saperont la croissance future », ont également averti le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner et le chef du Conseil national économique de la Maison- Blanche, Lawrence Summers, dans une tribune publiée mercredi dans le Wall Street Journal. Timothy Geithner a enfoncé le clou en appelant l’Europe à « faire le choix de mettre en oeuvre des réformes et des politiques susceptibles de déboucher sur des taux de croissance plus élevés à l’avenir ». (...) Avant même le début des discussions, les Etats-Unis ont enregistré deux succès, avec une décision des gouvernements européens visant à renforcer la confiance dans leurs banques par la mise en oeuvre de tests de résistance. (1)
Washington n’a pas apprécié les récentes mesures d’austérité mises en place en Europe, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne. La semaine dernière, le président américain, Barack Obama a envoyé un courrier très officiel à l’ensemble des pays européens, pour les mettre en garde contre les risques d’une austérité précipitée. Les pistes à l’étude sont nombreuses. La taxe sur les banques, vient d’être acceptée par l’Allemagne, la Grande- Bretagne et la France réunies. Quant aux Etats-Unis, ils n’y sont, a priori, pas opposés, En tout état de cause, cette fois-ci ce sont les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui refusent, en effet, que leur système financier, qui a bien résisté à la crise, paie le prix de l’inconscience des autres Etats. Au final, il y a fort à parier pour qu’aucune mesure emblématique ne sorte de ce G20. Les engagements pourraient bien ressembler à quelque chose dans ce goût-là : « Les Etats s’engagent à faire en sorte que leurs banques se secourent d’elles-mêmes en cas de crise ! » (2)
La Chine dit oui.
On apprend que la Chine a répondu aux doléances américaines, à savoir, réévaluer le yuan ; la Banque centrale de Chine a décidé d’un cours pivot de 6,7896 yuans contre le dollar. Il est de ce fait au plus haut depuis cinq ans. Après une semaine de fluctuations du cours pivot du yuan, surveillées de près par Pékin, les experts confirment le changement de cap du navire économique chinois, même si l’impact à court terme reste limité. (...) Si l’appréciation se fera donc en douceur pour laisser aux entreprises le temps de s’adapter, les économistes s’attendent à une légère amputation du PIB sur le long terme. (...) Au final, souligne l’économiste Yann Moulier Boutang, « les entreprises à forte intensité de main-d’oeuvre ne pourront s’en sortir qu’en incorporant davantage de travail qualifié et en se spécialisant dans des produits qui ont une élasticité-prix de la demande faible ». En revanche, les sociétés étrangères implantées en Chine ou qui exportent vers la Chine devraient profiter de la hausse du pouvoir d’achat des ménages, notamment dans le secteur des produits de luxe, mais aussi dans le secteur automobile, high-tech et agroalimentaire. (...) Les pays d’Asie du sud-est seront enfin doublement avantagés par rapport à leur concurrent chinois : non seulement leurs exportations deviendront subitement moins chères, mais elles seront accélérées par la hausse de la demande chinoise .(3)
Pour le site Attac, ce Sommet n’apportera rien, parce qu’il ne traite pas des vrais problèmes. Lisons le commentaire : « (...) Mais bien qu’ils portent une responsabilité écrasante dans la dérive du système économique international et dans la dérégulation des marchés financiers qui en est à l’origine, ce G20 s’annonce comme une nouvelle mascarade. Les derniers G20 ont abouti à des plans de relance et des aides massives aux systèmes financier et bancaire, sans qu’en contrepartie ceux-ci soient soumis à de nouvelles régulations. La récession et les plans de relance ont causé d’importants déficits publics, prétextes à de vastes plans de rigueur sociale qui imputeront la note aux salariés, retraités et chômeurs. Mais ils refusent en même temps toute proposition conséquente de taxation de la finance. Le sachant, les Européens proposent pour la galerie, de mettre à l’étude une taxe mondiale sur les transactions financières, demandée par de nombreuses organisations. Mais si les Européens veulent vraiment le faire, pourquoi ne pas le décider au niveau européen ? (...) »
« Pour sauver la face, le communiqué final du G20 indique, dans sa version préliminaire qui a fuité, que le G20 veut combattre les causes de la crise financière... mais ne propose que la création d’un groupe d’experts sur la corruption financière. Même les paradis fiscaux et judiciaires semblent avoir disparu des discussions. Pire, les pays s’engagent à ouvrir encore davantage les marchés de biens et de services (dont les services financiers !) et à continuer d’éliminer les derniers instruments de protection dont disposent les gouvernements ou les régions vis-à-vis du tout marché. (...) Les gouvernements du G20 réaffirment leur foi dans le libre marché, pourtant au fondement de cette profonde crise structurelle. Comme des fidèles qui ne croient plus, ils psalmodient de vagues promesses de "reprise verte" et de "croissance mondiale durable" et réaffirment leur détermination à atteindre les Objectifs de développement du Millénaire, alors même qu’ils s’en éloignent année après année ».
« Pour Attac, c’est le désarmement de la finance qui constitue l’urgence. Il passera, notamment par les mesures suivantes : la mise en place immédiate d’une taxe sur les transactions financières au plan mondial à un taux suffisant pour avoir un effet régulateur sur les marchés financiers et dégager les fonds nécessaires pour la lutte contre le réchauffement climatique et la pauvreté ; la suppression des paradis fiscaux ; des politiques de relance passant par le soutien des services publics et la reconversion écologique de l’économie, plutôt que par l’austérité et l’érosion des salaires et retraites ». (4)
Que devient l’Afrique dans tout ça ? Les sept chefs d’Etat ou de gouvernement africains seront à Muskoka au « segment Afrique » du Sommet du G8, pour « un dialogue » avec leurs homologues des pays membres de cette institution sur les moyens de renforcer le « partenariat Afrique/G8, initié à l’occasion du lancement du Nepad en 2001 ». Le Nepad a été conçu comme un plan global pour sortir le continent de la pauvreté. Cet ambitieux plan de développement visait à attirer les investissements étrangers en contrepartie d’un engagement des Etats africains à une « bonne gouvernance », à la fois politique et économique. On dit que les pays du G8 encouragent les pays africains à persévérer. Pour rappel, toujours au Canada en 2002, les mêmes promesses ont été faites.
Un écran de fumée
En effet, comme l’écrivait à l’époque Marie Joannidis, « le Sommet du G8 à Kananaskis au Canada devait être celui de l’Afrique. (...) Présenté comme la réunion de la « dernière chance » pour les Africains, sollicités depuis un an pour préparer des projets susceptibles de réussir l’examen de passage des bailleurs de fonds, ce sommet a surtout été celui des promesses, qui devraient être tenues à condition que les pays du continent respectent la bonne gouvernance économique et politique. (...) Malgré les propos « optimistes » de leurs quatre représentants au sommet - les chefs d’Etat algérien, nigérian, sénégalais et sud-africain - ils ne peuvent que constater qu’ils ne bénéficieront que d’une partie - et sous condition - des nouveaux concours promis lors de la conférence sur le financement du développement à Monterrey au Mexique. (...) De cette façon, nous appuierons l’objectif du Nepad. Nous contribuerons ainsi à faire en sorte qu’aucun pays qui s’attache vraiment à lutter contre la pauvreté, à instaurer une bonne gouvernance et à engager des réformes économiques ne se voie refuser la chance de réaliser les Objectifs du Millénaire faute de moyens financiers... (5)
Ce discours est le même que celui du Sommet de Dublin, de 2005 ; là encore le G8, comme l’a souligné le président Abdelaziz Bouteflika, avait promis une aide à l’Afrique de 25 milliards de dollars. A peine 7 milliards de dollars ont été difficilement consentis. Même discours, mêmes promesses en définitive, indifférence. Plus que jamais, à l’instar de la Chine, l’Afrique ne doit compter que sur elle-même.
En fin de compte, le G 20 n’est qu’un écran de fumée. Tout au plus on peut parler d’un G11 (le G7 et le G4 du Bric). Le reste du Monde ne compte pas. Le G8 décide d’octroyer 5 milliards de dollars à la santé maternelle. Dans le même temps, des millions de femmes, d’enfants meurent de faim et du fait des violences collatérales d’un marché des armes évalué à 1200 milliards de dollars. Pour Jacques, Diouf il faut annuellement 50 milliards de dollars pour « contenir » la famine. L’APD promise moult fois n’est toujours pas au rendez vous. Sur les 50 milliards de dollars promis, à peine la moitié a été versée. Des pays comme la France ou l’Italie trainent les pieds mais donnent des leçons d’humanisme....
« Lorsqu’on parle des hommes et des femmes politiques qui sont présentement réunis, on parle de monarques absolus. ( ...) Les politiques appliquées par ces gens sont incontestables. Ils décident pour tous ; du plus humble au plus riche. (...). Surtout que leurs politiques affectent des milliards d’êtres humains en en laissant beaucoup croupir dans la misère. En ce XXIe siècle, les riches ont réussi à établir leur société totalitaire où ils sont les seuls à décider ce qui est bon pour tous ; ce qui est bon pour tous est d’abord ce qui est bon pour eux. Et les décideurs politiques sont soit des riches qui ont été portés au pouvoir dans leur pays. (...) Au XXIe siècle, ils ont perfectionné leur stratégie, ils ont réussi à établir leur pouvoir pour l’éternité. »(6)
On ne parle plus d’environnement, de taxe carbone, de GIEC ou de changement climatique alors que la crise financière est derrière eux. Il serait intéressant de connaître le bilan carbone du Sommet du G20 qui a vu le gouvernement canadien dépenser en fastes, sécurité et autres frais de bouche, 1 milliard de dollars pour trois jours, dans le même temps ces pays qui totalisent 90% des 60.000 milliards de dollars ne peuvent pas mettre 50 milliards pour éradiquer la faim.
Camille Loty Mallebranche résume magistralement cet état du Monde Comme à Babel - la tour mythique de l’échec par la confusion et l’incommunication - l’érection d’un monde selon l’arrogance d’une catégorie humaine pour dominer autrui, plutôt que la communication pour l’élévation commune, n’atteindra point le ciel de l’humanité fraternelle mais échouera toujours fatalement dans les pires malentendus, les plus injustes clivages sociaux et le choc des alterhumanités . Babel est le sens perdu en route quand l’homme cesse d’être la fin de l’action politique. La politique internationale avec la dictature financière des banquiers, l’imposture dénucléariste imposée à certains Etats en épargnant d’autres, nous place devant l’imbroglio d’une logique de la force qui nous ramène au monde selon Bismarck où c’était entendu que la diplomatie fût l’expression hypocrite de la force menaçant bellicistement les plus faibles et où le gros bâton prédominait dans les relations interétatiques. La bête ogresse et dévorante exprimait sa position par le vieil apophtegme : « La force prime le droit. » »
« Babel évoque la frénésie dominatrice et la posture conquérante qui passe nécessairement par la violence inquisitrice et exterminatrice. Là où il fallait partager le savoir et les acquis avec l’autre et ainsi rendre plus forte l’humanité commune, des hommes se sont cachés derrière l’identité comme une claustration substantialisée, une tour matérialisée pour se distancier en vue d’assujettir d’autres humains afin de les réifier et les utiliser.... Babel est aussi la métaphore de l’incomplétude de toute entreprise humaine où prédomine l’orgueil dédaigneux de l’humain, où quelques-uns veulent se déifier par la supériorité technique ou technologique.
Le Christ disait, « à quoi sert-il à un homme de conquérir le monde, s’il doit y perdre son être ! ». En transposant cela en politique, posons la question : à quoi rime la gloire des faiseurs d’empire, si tout le contenu de l’écoumène devenu leur butin par la violence, les déshumanise et les fait monstres qui expédient ad patres l’humanité, l’écosystème et leur propre avenir dont ils amorcent fatalement l’effritement ? » (7)
Non ! le Monde ne va pas bien ! Un monde où la détresse des faibles ne compte pas ? Où la valeur d’une personne comme c’est le cas, est indexée sur sa valeur marchande, sur son compte en banque. Ce monde-là est voué à la ruine. Au risque d’être un naïf invétéré, je veux croire en un monde meilleur. La mondialisation-laminoir et le néolibéralisme carnassier sont un cauchemar dont il faut se réveiller. Les défis qui attendent la terre ne sont pas ceux des individus ou de groupes d’individus. Ils frapperont indifféremment les forts comme les faibles. La fin du pétrole et les changements climatiques de plus en plus erratiques et qui ne semblent pas ou plus intéresser les grandes puissances. C’est une erreur.
1. Les déficits budgétaires au menu du G20 à Toronto Nouvelobs.com avec AP 25.06.2010
2. Julie de la Brosse : Les trois matchs du G20 L’Expansion.Com 25/06/2010
3. Hélène Duvigneau : Yuan flexible, les vraies conséquences pour la Chine 25/06/2010
6. Les membres du G20 : Des monarques absolus- site bellaciao.org.fr25 juin 2010
7. Camille Loty Mallebranche . Babel ou le sens rompu et perdu dans la civilisation. Site Oulala.net 24 juin 2010