À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

19/02/2011

Antiga central de captação de água da Foz do Sousa está ao abandono e foi totalmente saqueada

População de Pedras Salgadas esperava ver Sócrates e manifestou-se em Vidago

Frente Comum adere à manifestação convocada pela CGTP para 19 de Março

A Frente Comum de Sindicatos da Administração Pública vai participar na manifestação convocada pela CGTP para 19 de março contra o desemprego e pela mudança de políticas em Portugal, disse à agência Lusa a dirigente sindical Ana Avoila.

A coordenadora da estrutura sindical falava à margem do plenário da Frente Comum que hoje decorre em Lisboa e que visa debater a situação dos trabalhadores da Administração Pública e definir novas formas de luta.

A CGTP, a central sindical liderada por Carvalho da Silva, que também participa no plenário de hoje da Frente Comum, convocou para 19 de março uma "grande manifestação nacional" a decorrer em Lisboa.

http://sic.sapo.pt/online/noticias/dinheiro/Frente+Comum+adere+a+manifestacao+convocada+pela+CGTP+para+19+de+Marco.htm

As empresas portuguesas não são exemplos de diversidade

Geração "à rasca" marca protesto para o dia 12 de Março

« Ghetto », « relégation », « effets de quartier ». Critique d’une représentation des cités.

Pierre Gilbert

Les cités sont-elles vraiment des « quartiers de relégation » dont les habitants sont captifs ? Habiter ces quartiers n’a-t-il que des effets négatifs sur l’intégration sociale des individus (voir "Les grands ensembles : nouveaux ghettos français ?" sur metropolitiques.eu) ? Pierre Gilbert rappelle que les enquêtes empiriques existantes sont loin de démontrer la validité de cette représentation véhiculée par l’usage du terme « ghetto ». Pourtant c’est elle qui fonde la réorientation de la politique de la ville depuis une dizaine d’années et le programme de rénovation urbaine qu’elle met en œuvre.
Y a-t-il ou non des « ghettos » en France ? Cette querelle agite les sciences sociales depuis plus de vingt ans. Ces dernières années, elle marque un tournant : le recours à cette notion devient de plus en plus fréquent dans les champs médiatique, politique et scientifique [1]. Le terme vise à souligner la dimension territoriale de la pauvreté contemporaine : la ségrégation aurait atteint un tel degré que la concentration spatiale des pauvres et des immigrés serait désormais une des causes majeures de leur exclusion sociale. Dans les sciences sociales, cette thèse s’appuie sur deux grands arguments : d’une part, les mécanismes régissant l’accès au logement produiraient une « relégation » spatiale des catégories les plus précaires de la population et de la majeure partie des immigrés ; d’autre part, cet isolement spatial amènerait la population de ces quartiers à développer un mode de vie spécifique, qui, à travers les valeurs qu’il transmet et les ressources qu’il offre, aurait essentiellement des effets néfastes pour l’intégration sociale des habitants de ces quartiers. Sans revenir sur l’ensemble des arguments et des prises de position de cette controverse [2] , on peut toutefois s’interroger sur la représentation des quartiers populaires véhiculée par la figure du ghetto et sur les effets politiques de sa généralisation. Comme on peut s’en apercevoir en discutant des deux mécanismes au cœur de ces analyses (la relégation et les effets de quartier), cette vision de la réalité s’appuie sur des bases empiriques partielles et discutables. Or, le choix des mots pour désigner ces quartiers n’a pas qu’un effet descriptif : il produit en retour des effets réels sur ces territoires, contribuant à l’orientation des politiques publiques les concernant. Cette représentation propose une explication spatiale de la pauvreté et de l’intégration sociale, qui s’est traduite dans la dernière décennie par une réorientation radicale des politiques de la ville avec la rénovation urbaine.

« Quartiers de relégation » : des habitants « captifs » ?

Premier argument des théories du ghetto, la thèse de la relégation repose sur le constat de la concentration d’immigrés et de membres des classes populaires dans des territoires cumulant une série d’indicateurs négatifs (chômage, échec scolaire, etc.) [3]. En référence à la ségrégation des Afro-américains aux États-Unis, le terme « ghetto » souligne le caractère subi de la situation résidentielle de ces habitants disposant de faibles ressources sur le marché du logement.
La relégation spatiale, pilier des théories du ghetto, reste pourtant à l’état de postulat et repose sur un raisonnement discutable. La plupart du temps, l’affirmation du caractère captif des habitants de ces quartiers s’appuie simplement sur l’observation de la ségrégation. D’après Marchal et Stébé, sa persistance démontrerait que les cités HLM ne constituent pas des « sas d’adaptation à la société » (2010, p. 44) permettant l’intégration progressive des immigrés, mais des « ghettos » où les habitants sont enfermés. On pourra d’abord objecter que, bien qu’elle ait légèrement augmenté depuis le début des années 1980, la ségrégation sociale et ethnoraciale en France conserve un caractère relativement modéré, sans aucun rapport avec la situation américaine (Wacquant, 2006 ; Préteceille, 2006, 2009). Surtout, l’outil utilisé pour démontrer cette captivité apparaît peu adapté. L’étude de la ségrégation consiste traditionnellement à mesurer la répartition de la population dans l’espace selon le lieu de résidence à un moment donné [4]. Cette approche ne dit rien de la mobilité résidentielle des habitants. Or, un même territoire peut être marqué à la fois par une forte ségrégation et par un turn-over important de ses habitants. Le renouvellement de la population peut alors expliquer le maintien de la pauvreté du quartier, sans que cela empêche les habitants quittant le quartier de connaître des trajectoires sociales ascendantes.
Pour démontrer ou infirmer la thèse de la relégation, il faudrait ainsi analyser les trajectoires résidentielles des habitants. Le chapitre consacré à l’étude approfondie de la mobilité résidentielle entre 1990 et 1999 dans les « zones urbaines sensibles » (ZUS) du rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) de 2005 est l’une des rares études à mettre en œuvre une telle approche. Or, ses conclusions sont plutôt surprenantes. De tous les secteurs urbains, c’est dans les ZUS que la mobilité résidentielle est la plus élevée : 61 % des habitants ont déménagé (contre 51 % en moyenne ailleurs), les deux tiers vers des zones résidentielles plus valorisées. Les auteurs concluent que, toutes choses égales par ailleurs, « le fait d’habiter en ZUS ne constitue pas un blocage dans les trajectoires résidentielles : il est possible d’en partir et d’emménager dans d’autres quartiers » (Onzus, 2005, p. 124). Ces départs sont souvent associés à des trajectoires professionnelles et résidentielles ascendantes dans lesquelles le quartier joue un rôle de tremplin. Loin de l’image de l’enfermement dans des ghettos, ces résultats suggèrent que, pour une part importante de la population, le fonctionnement des cités se rapproche de celui des quartiers de transition, sur le modèle, fondé par l’école de Chicago, des quartiers de première installation jouant un rôle transitoire dans le processus d’intégration des immigrés.
Ce rapport apporte également de sérieuses nuances à l’idée selon laquelle habiter une cité résulte uniquement de contraintes résidentielles objectives et est toujours vécu subjectivement comme une déchéance. Dans la majorité des cas, l’arrivée en ZUS correspond au contraire à une amélioration des conditions de logement (en confort ou en superficie), en particulier pour les ménages quittant le parc privé (p. 125). Malgré la dégradation de l’image de ces quartiers, on trouve là une certaine continuité avec le rôle de promotion résidentielle qu’ont pu jouer les grands ensembles dans les années 1960 et 1970 pour les ménages issus des bidonvilles et des quartiers insalubres. Est ainsi battue en brèche l’idée selon laquelle l’arrivée en cité HLM correspond nécessairement à une forme de déclassement résidentiel et social. Par ailleurs, malgré les contraintes auxquelles ils font face, les habitants disposent toujours de marges de manœuvre sur le marché du logement, l’arrivée dans un domicile ne se présentant jamais, y compris pour les plus démunis, comme le seul résultat de contraintes mais toujours comme le fruit d’ajustements complexes entre une série de contraintes et la réalisation de choix (Authier et al., 2010). Ces arbitrages peuvent nourrir un certain attachement au quartier. Enfin, si l’arrivée en ZUS ne se présente pas uniquement comme le résultat d’une contrainte, c’est que certains peuvent tout simplement souhaiter y habiter. La recherche de l’entre-soi n’est pas seulement le fait des classes supérieures et la propension à habiter dans un environnement familier, à proximité des réseaux amicaux et familiaux, est depuis longtemps établie comme une caractéristique des catégories populaires (Bozon, 1984 ; Hoggart, 1970 ; Bacqué et Sintomer, 2002 ; Bonvalet, 2003).
L’analyse des trajectoires résidentielles amène ainsi à formuler de sérieuses réserves sur la thèse de la relégation spatiale. C’est pourtant sur ce présupposé de l’enfermement d’une population déshéritée dans ces territoires que repose le second versant des analyses du ghetto : l’existence de quartiers pauvres aurait des effets essentiellement négatifs.

Des « effets de quartier » uniquement négatifs ?

Les analyses du ghetto procèdent souvent en généralisant des observations faites sur une minorité de la population (les jeunes hommes impliqués dans l’économie souterraine ou dans la « culture de rue ») [5]. Elles décrivent alors un univers où les relations sociales de l’ensemble des habitants sont organisées et dominées par la violence et l’économie souterraine. Fruits d’enquêtes minutieuses, ces descriptions éclairent une partie de la vie sociale de ces quartiers. Elles sont pourtant loin de suffire à l’épuiser. Par exemple, lorsque Lapeyronnie (2008) décrit le « contre-monde » des cités HLM, conséquence du processus structurel de relégation, il le définit essentiellement comme un « ordre social » régi par la culture de rue, la violence endémique, l’économie souterraine et une forme radicale de domination masculine. Ce faisant, c’est à partir d’observations établies sur une minorité qu’il analyse les relations sociales de l’ensemble des habitants. Or, s’il ne s’agit pas de nier l’existence de ces phénomènes et les effets qu’ils peuvent avoir sur la vie du quartier, considérer que la vie de l’ensemble des habitants de cités est structurée par ce qui se passe dans les cages d’escalier est tout autant problématique. Les recherches qui se focalisent sur d’autres espaces ou d’autres types de relations – le logement, les associations, l’école, etc. – offrent un tout autre regard sur la vie sociale des cités (Beaud, 2002 ; Faure, Thin, 2007 ; Schwartz, 1990). En proposant un point de vue finalement très sombre sur ces quartiers, les analyses du ghetto laissent ainsi dans l’ombre les nombreuses ressources positives et les formes plus ordinaires d’existence qui peuvent s’y déployer. Or, si elles sont moins dérangeantes ou moins visibles que les pratiques juvéniles délinquantes, les pratiques sportives, culturelles ou cultuelles de ces habitants, les sociabilités locales, les relations de famille ou les formes d’échange et de solidarité méritent-elles pour autant d’être moins étudiées ? Parce qu’il a pour vocation de dénoncer l’enfermement des habitants dans ces quartiers, tout se passe comme si le recours au terme ghetto ne pouvait déboucher que sur une description négative des formes de vie sociale locale qui s’y déroulent.
Cette manière de décrire les modes de vie dans les cités s’inscrit dans le prolongement de travaux publiés au début des années 2000, dans lesquels le terme « ghetto » sert à désigner les conséquences néfastes de la ségrégation spatiale sur la santé, la réussite scolaire ou l’insertion professionnelle (Maurin, 2004 ; Fitousssi, Laurent, Maurice, 2004). Ces approches s’inspirent directement des travaux américains sur les « effets de quartier », qui « appréhendent […] le quartier (pauvre) et ses effets sous le seul registre du handicap » (Authier, 2006, p. 208) et reposent sur deux principaux arguments : des réseaux de sociabilité handicapants (un capital social négatif) et une sous-culture faisant obstacle à l’intégration sociale. Or, comme le rappellent Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol (2006), les recherches menées outre-atlantique ne permettent pas de conclure à un effet négatif du capital social des habitants de l’inner city sur leur insertion professionnelle. La conception négative des effets de quartier occulte ainsi les nombreuses ressources que l’ancrage local peut offrir aux milieux populaires (Retière, 1994 ; Renahy, 2005).
Le second argument des « effets de quartier » (la sous-culture) n’est pas moins problématique. Il repose sur l’idée que les difficultés d’intégration de la population, notamment des jeunes, seraient liées à l’absence dans le voisinage de modèle positif de réussite sociale auquel s’identifier et à l’existence de normes locales à contre-courant de celles permettant l’insertion sociale (role model). Bien que les recherches peinent à établir de façon empirique l’existence d’un tel mécanisme (Kleinhans, 2004 ; Bacqué et Fol, 2006 ; Kirzsbaum, 2008), il est néanmoins présent en toile de fond dans les travaux français : les descriptions du ghetto ne sont finalement pas très éloignées de la thèse d’une sous-culture alternative amenant les habitants à reproduire leur propre exclusion sociale. Alors que de nombreuses dimensions de la vie sociale de ces quartiers sont ignorées, les formes culturelles retenues par ces analyses apparaissent ainsi exclusivement comme des propriétés négatives, contraires aux valeurs républicaines (violence, économie souterraine, culture de rue, sexisme...). Cette vision de l’ordre social des cités contient au final de fortes tendances misérabilistes : les habitants y sont définis soit par leurs manques, soit par des dispositions faisant obstacle à leur intégration sociale.

Les effets politiques de la représentation du « ghetto »

L’image du ghetto s’est imposée dès les années 1990 dans le champ politique. Elle s’inscrit dans la tendance à la « spatialisation des problèmes sociaux » (Poupeau et Tissot, 2005), qui a conduit à préférer aux politiques sociales et économiques menées jusque-là des politiques agissant sur les territoires et leur peuplement, notamment autour de l’objectif de mixité sociale [6]. Or, comme on l’a vu, la pauvreté persistante des territoires ne signifie pas forcément le maintien de la pauvreté des habitants. Inversement, leur mixité ne se traduit pas mécaniquement par la mobilité ascendante des habitants pauvres. La rénovation urbaine, dont le principe avait été défini par le gouvernement Jospin à la fin des années 1990 et qui est devenue le levier principal des politiques de la ville depuis la loi Borloo de 2003, résulte ainsi directement de la représentation véhiculée par l’image du ghetto [7]. Ce tournant repose sur un constat d’échec des politiques de la ville telles qu’elles avaient été menées jusque-là. Or, comme on l’a vu, ce constat est fort discutable : fondé sur des indicateurs décrivant uniquement de façon statique la situation des habitants de ces territoires, il ne prend pas en compte le grand nombre de ménages qui ont habité pendant un temps dans ces quartiers et qui, avant d’en partir, ont pu y bénéficier des politiques de développement social local.
S’il est encore tôt pour mesurer pleinement les effets de la rénovation urbaine, les premières enquêtes indiquent, là encore à l’encontre de la thèse de la « captivité », que la très grande majorité des habitants touchés par les démolitions est marquée par une « aspiration à rester » sur place (Lelévrier, 2010). Ces premiers résultats soulignent les risques de fragilisation des ménages qui se voient contraints de quitter ces quartiers, mais aussi de ceux qui y restent – le renouvellement de la population pouvant déstabiliser les ressources liées à l’insertion dans des réseaux sociaux ancrés dans le quartier. Ce sont donc les ressources de la proximité, si importantes pour les milieux populaires, que la rénovation urbaine tend à déstabiliser.
Avec l’objectif louable d’alerter sur les difficultés de cette population, la notion de ghetto tend à se banaliser. Les arguments sur lesquels elle repose (la relégation et les « effets de quartier ») paraissent pourtant fragiles. Au lieu de souligner la forte mobilité des habitants et l’ambivalence des effets des cités HLM sur leur trajectoire sociale, la notion de ghetto offre un point de vue statique et essentiellement négatif. La représentation qui en résulte tend au final à renforcer la vision déjà fort répandue de ces quartiers comme des univers sociaux séparés où se développeraient des modes de vie présentant un danger pour le corps social [8]. Plutôt que de renforcer cette représentation et risquer d’accentuer la stigmatisation de ces territoires, il nous semble que la tâche des sciences sociales est au contraire de mettre au jour les dimensions moins visibles de la réalité de ces quartiers. Pour cela, plusieurs outils épistémologiques sont à disposition. La recherche d’un certain équilibre dans la manière d’aborder ces territoires constitue un premier pas : elle amène à se détacher d’une approche centrée sur les phénomènes et les populations les plus visibles (les jeunes hommes occupant les espaces extérieurs ou impliqués dans la délinquance) et à s’interroger autant sur les contraintes que sur les ressources attachées au fait d’habiter dans ces quartiers. C’est déjà le cas de nombreux travaux, notamment ethnographiques, qui décrivent souvent l’intensité des relations sociales locales et l’ambivalence des rapports au quartier des habitants. Le développement récent d’un ensemble de recherches mobilisant le concept de « capital d’autochtonie » poursuit cette voie de façon très convaincante [9]. Mais, on l’a vu, le problème découle en grande partie du caractère statique des enquêtes sur les cités. Parallèlement, il faudrait donc encourager la mise en place de recherches étudiant de façon dynamique les trajectoires sociales et résidentielles des personnes ayant habité à un moment dans ces quartiers. C’est l’une des conditions pour rompre avec le mythe du ghetto.

En savoir plus

Authier, Jean-Yves. 2006. « La question des « effets de quartier » en France. Variations contextuelles et processus de socialisation », in Authier, Bacqué, Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, action politique et pratiques sociales, Paris : La Découverte, p. 206-216.
Authier, Jean-Yves, Bonvalet, Catherine, Levy, Jean-Pierre (dir.). 2010. Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Lyon : Presses universitaires de Lyon.
Beaud, Stéphane. 2002. 80 % au bac... et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris : La Découverte.
Bacqué, Marie-Hélène, Fol, Sylvie. 2006. « Effets de quartier : enjeux scientifiques et politiques de l’importation d’une controverse », in Authier, Bacqué, Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, action politique et pratiques sociales, Paris : La Découverte, p. 181-193.
Bacqué, Marie-Hélène, Levy, Jean-Pierre. 2009. « Ségrégation », in Stébé, Marchal (dir.), Traité sur la ville, Paris : PUF, p. 303-352.
Bacqué, Marie-Hélène, Sintomer, Yves. 2002. « Peut-on encore parler de quartiers populaires ? », Espaces et Sociétés, n° 108-109, p. 29-45.
Boisson, Marine. 2010. « Des « ghettos » français : abus de langage ou réalité ? Le débat sur la ségrégation à l’heure de la réforme de la politique de la ville », La note de veille, juin, Conseil d’analyse stratégique, n° 178 www.strategie.gouv.fr/articl...
Bonvalet, Catherine. 2003. « La famille-entourage locale », Population, n° 58-1, p. 9-43.
Bozon, Michel. 1984. Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. La mise en scène des différences. Lyon : Presse Universitaires de Lyon.
Boucher, Manuel. 2010. Les internés du ghetto. Ethnographie des confrontations violentes dans une cité impopulaire, Paris : L’Harmattan.
Bronner, Luc. 2010. La loi du ghetto. Enquête sur les banlieues françaises, Paris : Calmann-Lévy.
Faure, Sylvia, Thin, Daniel. 2007. « Femmes des quartiers populaires, associations et politiques publiques », Politix, n° 78, p. 87-106.
Fitoussi, Jean-Paul, Laurent, Éloi, Maurice, Joël. 2004. Ségrégation urbaine et intégration sociale, rapport du Conseil d’analyse économique, Paris : La Documentation française.
Fol, Sylvie. 2009. La mobilité des pauvres. Pratiques d’habitants et politiques publiques, Paris : Belin.
Gerin, André. 2007. Les ghettos de la République, Paris : Les Quatre Chemins.
Hoggart, Richard. 1970. La culture du pauvre. Etude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris : Éditions de Minuit.
Kokoreff, Michel. 2009. « Ghettos et marginalité urbaine. Lectures croisées de Didier Lapeyronnie et Loïc Wacquant », Revue française de sociologie, 50-3, p. 553-572.
Kirzsbaum, Thomas. 2008. Rénovation urbaine. Les leçons américaines, Paris : PUF.
Kleinhans, Reinout. 2004. « Social implications of housing diversification in urban renewal : a review of recent literature », Journal of Housing and the Build Environment, vol. 19, p. 367-390.
Lapeyronnie, Didier. 2008. Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Paris : Robert Laffont.
Lelévrier, Christine. 2010. « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou re-concentration ? », Espaces et sociétés, n° 140-141, p. 59-74.
Marchal, Hervé, Stébé, Jean-Marc. 2010. La ville au risque du ghetto, Paris : Lavoisier.
Maurin, Éric. 2004. Le ghetto français, Paris : Seuil.
Mohammed, Marwann, Mucchielli, Laurent. 2010. « La fortune du « ghetto ». Réflexions critiques à partir d’un ouvrage récent (Luc Bronner, La loi du ghetto. Enquête sur les banlieues françaises, Paris, Calmann-Lévy, 2010) », Sociologie, http://sociologie.revues.org/506
Observatoire national des zones urbaines sensibles. 2005. « La mobilité résidentielle des habitants des zones urbaines sensibles entre 1990 et 1999 », Rapport 2005, p. 121-171.
Poupeau, Franck, Tissot, Sylvie. 2005. « La spatialisation des problèmes sociaux », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 159, p. 4-9.
Préteceille, Edmond. 2006. « La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne entre polarisation et mixité », Sociétés contemporaines, n° 62, p. 69-93.
Préteceille, Edmond. 2009. « La ségrégation ethno-raciale a-t-elle augmenté dans la métropole parisienne ? », Revue Française de Sociologie, 50-3, p. 489-519.
Renahy, Nicolas. 2005. Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris : La Découverte.
Retière, Jean-Noël. 2003. « Autour de l’autochtonie. Réflexions autour de la notion de capital social populaire », Politix, n° 63, p. 121-143.
Schwartz, Olivier. 1990. Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris : Presses Universitaires de France.
Wacquant, Loïc. 2009. Parias urbains. Ghetto, banlieues, État. Une sociologie comparée de la marginalité sociale, Paris : La Découverte.

Notes

[1] Pour les sciences sociales, voir Maurin (2004), Lapeyronnie (2008), Marchal et Stébé (2010) ou encore Boucher (2010), mais également Wacquant (2006) dans le rôle de contradicteur. Hors champ scientifique, citons deux exemples récents : Bronner (2010) pour les médias ou Gerin (2007) pour le champ politique.
[2] Outre les ouvrages de Lapeyronnie (2008) et Wacquant (2006) qui expriment les deux options (présentées également par Kokoreff, 2009), nous renvoyons le lecteur à l’excellente synthèse de ces débats dans la note de veille du Centre d’analyse stratégique (Boisson, 2010).
[3] Voir par exemple les rapports annuels de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles.
[4] Cette approche statique de la ségrégation est dominante en France depuis l’importation par Maurice Halbwachs des travaux de l’école de Chicago (Bacqué et Levy, 2009).
[5] Cette focalisation repose d’abord sur le choix des enquêtés : cette catégorie de population (et ses rapports avec la police) constitue l’objet unique du livre de Manuel Boucher (2010) et elle est surreprésentée dans la population enquêtée par Didier Lapeyronnie (2008), tout comme dans l’enquête de Luc Bronner (Mohammed, Mucchielli, 2010). Elle tient aussi à un raisonnement qui consiste à étendre à l’ensemble de la population les observations réalisées sur sa partie la plus « visible » (les adolescents occupants les espaces extérieurs) : la « culture de rue », la violence et l’économie souterraine régiraient ainsi non seulement la vie de ces jeunes, mais aussi celles de tous les habitants.
[6] Sur la mixité sociale, voir Éric Charmes : « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou les ressources ? » (http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-approche-critique-de-la.html).
[7] Aux États-Unis, ce diagnostic a donné lieu à une politique massive de rénovation urbaine ainsi qu’à une politique de promotion de la mobilité résidentielle des pauvres. Les évaluations menées depuis concluent à des effets très mesurés des politiques favorisant la mobilité (Fol, 2009).
[8] En particulier, l’insistance dans les travaux sur le « ghetto » sur le poids de la violence et de l’économie souterraine dans l’organisation sociale de ces quartiers offre peu de support pour se détacher de la représentation courante de ces quartiers comme des « zones de non-droit ». La proximité avec le sens commun est d’ailleurs explicitement assumée par Marchal et Stébé : opposés au principe de la rupture épistémologique (qu’ils qualifient de « philosophie du « non » »), ils défendent une approche consistant à reprendre les notions du sens commun, à « se nourrir de schémas de perception largement partagés par le plus grand nombre pour les affiner conceptuellement et les travailler sociologiquement » (2010, p.1).
[9] Voir notamment Retière (2003), Renahy (2005) et le prochain numéro de la revue Regards sociologiques (à paraître en janvier 2011).

http://www.metropolitiques.eu/Ghetto-relegation-effets-de.html

"Les quartiers populaires sont perçus et traités comme une menace"

GRAND ENTRETIEN avec Renaud Epstein, politologue

Le comité interministériel des villes s'est tenu vendredi 18 février en la présence de François Fillon et de Maurice Leroy. Un comité que Fadela Amara n'avait guère réussi à mettre en place. Alors quoi de nouveau pour les quartiers populaires ? A entendre le premier ministre et le ministre de la Ville, pas grand chose ! Les différents programmes lancés par le plan Espoir Banlieue (internats d'excellence, contrat d'autonomie, cordées de la réussite) se poursuivent, sans régler les questions d'inégalités croissantes entre les territoires.
Pour faire un point sur les politiques de la ville et établir un bilan de celle engagée par le gouvernement, nous avons interrogé Renaud Epstein, professeur de sciences politiques à l'université de Nantes. Spécialiste des politiques urbaines, il a rendu en octobre 2010, une étude sur l'évaluation des aides aux quartiers défavorisés (1). Il dresse un bilan très mitigé de la rénovation urbaine, pointe les effets contre-productifs de la loi Borloo et dénonce une gestion néoconsérvatrice des quartiers. Entretien.
 
Dans son rapport 2010, l’Observatoire de zones urbaines sensibles (ONZUS) montre une fois encore un accroissement des inégalités. Etes-vous surpris ?
Renaud Epstein. Non. Je ne vois pas ce qui aurait pu inverser une dynamique qui conduit les observateurs et les acteurs de la politique de la ville à faire régulièrement le constat de son échec. Seul le programme national de rénovation urbaine (PNRU) semble échapper à la critique, les élus de tous bords mettant systématiquement en avant les changements visibles qu’il produit. Certes, quand on remplace des tours et des barres dégradées par des petits immeubles neufs, c’est visible. Dans bien des cas, ces opérations de démolition-reconstruction sont nécessaires. Il y a des quartiers qui ont été mal conçus, mal entretenus, sur lesquels aucun investissement d’importance n’a été fait depuis vingt ou trente ans. Si on avait investi en continu dans ces quartiers comme on le fait dans les centres-villes, on n’en serait pas là. Mais les changements, s’ils sont visibles, ne résolvent pas les problèmes sociaux. Il est donc paradoxal de célébrer la rénovation urbaine, qui mobilise une bonne part des moyens de la politique de la ville depuis 2003 : si la politique de la ville est en échec, la rénovation urbaine est aussi en cause. Pourtant, de tous les programmes dirigés vers les quartiers populaires, c’est le plus couteux qui parait résister à toute mise en débat.
 
 Sept ans après le lancement du chantier de la rénovation urbaine, il semble donc possible d’établir un bilan de l’Anru…
 
Renaud Epstein. La loi Borloo prévoyait que le PNRU s’achève en 2008. On est en 2011, il n’est pas absurde de faire un premier bilan. D’autant plus qu’au moment de l’examen de sa loi en 2003, Borloo a justifié la remise à plat de toute la politique de la ville sous l’angle de la simplification administrative et de l’accélération des procédures. Force est de constater qu’en la matière, cette grande réforme néo-managériale n’a pas produit le surcroit de « performance » attendu. Cela me parait important à souligner dans une période d’accumulation des réformes de l’Etat et des services publics, systématiquement défendues sur le registre de la simplification et de la performance.
Il est d’autant plus légitime d’amorcer un bilan que la loi Borloo avait fixé un objectif précis : réduire les inégalités entre 750 Zones urbaines sensibles et le reste du territoire. Jusqu’alors les objectifs de la politique de la ville étaient définis localement. Les maires et leurs partenaires pouvaient définir d’autres objectifs. Par exemple, certains mettaient l’accent sur le renforcement ou la transformation des services publics dans les quartiers populaires. Depuis 2003, il s’agit de normaliser ces quartiers en s’appuyant sur la démolition-reconstruction, avec l’idée que la transformation de l’habitat entrainera celle de la population. Le développement social a été laissé de côté dans la loi Borloo, qui a rabattu la politique de la ville sur la rénovation urbaine et l’exemption fiscale, avec les zones franches urbaines qui ont été prolongées alors même que leur efficience est très limitée.
 
Comment a été réparti le budget dévolu au plan Borloo ?
 
Renaud Epstein. En 2009, l’ensemble des crédits dédiés à la politique de la ville s’élevaient à 3,7 milliards d’euros, soit 0,96 % des crédits de paiement du budget de l’Etat. Sur ces 3,7 milliards, 38 % vont à la dotation de solidarité urbaine (DSU) ; 27% à l’Anru ; 19% à diverses exonérations fiscales, et moins de 17% au reste. Autrement dit, moins d’un cinquième des crédits de la politique de la ville vont à son volet social. Les bénéficiaires directs de la politique de la ville sont d’abord les collectivités, les bailleurs sociaux et les entreprises, bien plus que les habitants des quartiers.
 
img 3662
 
Quels sont les enjeux de la politique de la ville ?
 
Renaud Epstein. Plusieurs lectures des enjeux coexistent dans cette politique depuis sa naissance. Aujourd’hui l’approche dominante est jacobine, centralisatrice et normalisatrice. Les quartiers sont considérés comme des lieux de concentration de handicaps. Dans cette perspective, l’enjeu est de réduire les écarts statistiques résultant de la concentration spatiale des pauvres et des minorités visibles. Pour cela, la politique de la ville peut jouer sur les stocks ou sur les flux. Soit on prend les pauvres là où ils habitent et on met plus de moyens, notamment dans les services publics, dans une logique de discrimination positive. Soit on fait partir des habitants de ces quartiers pauvres et colorés, pour y faire venir des moins pauvres, si possible –mais cela reste implicite– moins colorés. C’est l’option qui a été retenue dans la loi Borloo, en rupture avec ce qui se faisait jusque là : l’Etat n’imposait pas de solution toute faite, renvoyant aux acteurs locaux la charge de définir les contours du problème. Logiquement, les réponses apportées variaient en fonction des villes. Car les enjeux ne sont pas les mêmes dans une grande agglomération de province, une petite ville isolée ou une commune de banlieue parisienne. Et les ressources financières et techniques disponibles pour agir non plus.
 
Les quartiers ont-ils déjà été considérés positivement par les politiques ?
 
Renaud Epstein. Aux débuts de la politique de la ville, dans les années 80, les quartiers n’étaient pas seulement perçus sous l’angle du handicap, mais aussi des ressources. Il s’agissait alors de prendre appui sur les solidarités, les initiatives et les compétences qui existaient dans les quartiers, de les soutenir pour amorcer une dynamique de développement endogène. La politique de la ville finançait toutes sortes d’initiatives individuelles et associatives, sans exiger des porteurs de projets qu’ils fassent la preuve de leur performance. On soutenait alors les associations au moins autant pour ce qu’elles étaient –des collectifs d’habitants mobilisés pour agir– que pour ce qu’elles faisaient. Au début des années 1990, une toute autre approche s’est imposée, correspondant à une autre lecture des quartiers : ceux-ci étaient considérés comme les symptômes de problèmes plus globaux, dont les causes se trouvent dans le fonctionnement des villes, des services publics, des entreprises... La politique de la ville se fixait alors pour objectif de transformer, par des expérimentations, un système producteur d’exclusion.
Depuis 2007, on voit monter en puissance une nouvelle lecture, qu’on peut qualifier de néoconservatrice : les quartiers populaires ne sont plus considérés sous l’angle du symptôme, de la ressource ou du handicap, mais de la menace. Ces quartiers seraient des zones de non-droit, sous la coupe de dealers, de caïds et de barbus qui menaceraient la République. On en revient alors à une logique de maintien de l’ordre public et de l’ordre social, fondée sur l’exfiltration des méritants et la punition des autres. Ce basculement est clair dans les discours de Sarkozy et Amara sur la racaille, l’islam radical ou la polygamie, qui contribuent au renforcement des discriminations quotidiennes dont souffrent particulièrement les hommes des quartiers, qui sont perçus aux travers de ces stéréotypes stigmatisants. Les chiffres de l’ONZUS en témoignent : le chômage des jeunes hommes résidant en ZUS explose depuis 2007. On est en train de produire énormément de ressentiment et de rage dans les quartiers.
 
Chaque secrétaire d’Etat à la ville vise la coopération entre ministères pour améliorer le sort des quartiers populaires. Pourquoi ça ne fonctionne pas ?
 
Renaud Epstein. Les enjeux de la politique de la ville sont à la fois urbains, sociaux, économiques, scolaires... Personne n’a la baguette magique pour résoudre ces problèmes dans leur ensemble. C’est pourquoi la politique de la ville cherche, depuis ses origines, à agir conjointement sur différents leviers. Mais sans soutien du sommet de l’exécutif, la capacité d’un ministre de la Ville à mobiliser les autres ministères est très réduite. L’existence de la politique de la ville a même pu inciter au désengagement de certains ministères. D’autant plus que depuis 2001, avec la LOLF (loi relative aux lois de finances), le budget de l’Etat est structuré en programmes, déclinés en objectifs chiffrés. Cette logique néo-managériale bouleverse l’action publique et rend plus difficile une approche transversale des problèmes.
 
Les politiques convoquent souvent la mixité sociale comme outil pour régler les problèmes des quartiers populaires. Mais, au fond, qu’est-ce que la mixité ?
 
Renaud Epstein. La notion de mixité sociale est d’autant plus consensuelle qu’elle est floue. Comment définir la mixité ? Quelle est la bonne échelle pour la mesurer? A l’échelle de la ville, du quartier, de l’immeuble, de la cage d’escalier ? Il y a aussi un problème de catégories descriptives : doit-elle s’apprécier en termes générationnels, de classes sociales, d’origines, de revenus... Et à partir de quel niveau de présence d’ouvriers ou de minorités visibles estime-t-on qu’un territoire n’est plus mixte ? Plutôt que de répondre à ces questions, les responsables politiques se sont contentés d’arrêter un objectif de 20% de logements sociaux dans chaque commune. Or il ne suffit pas de construire des HLM dans une commune pour que des catégories populaires y accèdent. Par ailleurs, comme le rappellent régulièrement les spécialistes de la ségrégation, les quartiers les plus homogènes sur le plan social, ce sont les quartiers riches. Ce n’est pourtant pas à leur propos que l’on déplore l’absence de mixité, mais au sujet des quartiers de grands ensembles alors même que leur population est bien plus diversifiée. S’ils sont effectivement spécialisés, c’est surtout sur le plan ethno-racial. Finalement, c’est Brice Hortefeux qui a le mieux rendu compte de l’idée sous-jacente à l’objectif de mixité sociale : « Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ». Autrement dit, ce qui pose problème, c’est la concentration des immigrés et de leurs descendants.
 
Quelles sont les conséquences néfastes de la rénovation urbaine ?
 
Renaud Epstein. Les opérations de rénovation urbaine sont bien moins brutales que celles des années 1960. Dans l’ensemble, les ménages relogés sont plutôt satisfaits, même si les loyers des logements neufs leur font perdre des mètres carrés. Mais pour financer la rénovation urbaine, on a pris dans les caisses du 1% logement et dans les budgets du logement social. De ce fait, il n’y a plus d’argent pour intervenir dans d’autres quartiers. On crée de facto la géographie prioritaire de demain
 
img 3658Les nouveaux logements construits par l’Anru induisent de nouvelles problématiques. Lesquelles ?
 
Renaud Epstein. Les ménages qui accèdent à ces logements sont les principaux gagnants de la rénovation urbaine, mais ils sont peu nombreux. Pour la majorité des habitants des quartiers, le bénéfice est plus limité. Les grands perdants, ce sont tous les ménages qui attendent un logement social. Dans la politique de l’ANRU, il y a une sorte de tare originelle : la démolition des logements sociaux s’est amorcée dans les années 90, dans un contexte de forte vacance dans le parc social. Elle s’est fortement accélérée à partir de 2003, dans une période de fortes tensions sur les marchés du logement. En démolissant des grands logements à bas loyer qu’on remplace par des petits logements plus chers, on réduit l’offre accessible aux grandes familles à bas revenus. C'est-à-dire d’abord aux familles immigrées. Plus globalement, la rénovation urbaine a des effets sur l’ensemble de la chaine du logement. Pour pouvoir démolir un immeuble, il faut d’abord reloger les locataires. Or construire du neuf, ça prend du temps. Les relogements s’opèrent donc en grande partie dans le parc HLM existant. L’impératif de relogement des habitants des barres démolies a contribué à l’allongement des files d’attentes du logement social, condamnant certains ménages à se reporter vers un parc privé plus couteux, voire vers des copropriétés dégradées ou des marchands de sommeil.
 
Beaucoup d’associations critiquent le manque de concertation citoyenne pour la rénovation urbaine. Qu’en pensez-vous ?
 
Renaud Epstein. Rares sont les élus qui se sont donné les moyens d’impliquer les habitants dans l’élaboration des projets de rénovation urbaine. La concertation se réduit souvent à quelques réunions publiques pour informer les habitants de ce qu’on a décidé pour leur bien. Cette pratique paternaliste est en partie imputable à l’organisation institutionnelle de la rénovation urbaine, qui a renforcé la mise à l’écart des habitants dans les processus de décision. Elaborer un projet urbain de façon participative, cela prend plusieurs années. Or l’ANRU a mis la pression sur les villes pour qu’elles lui soumettent rapidement leur projet. En outre, conduire une démarche participative peut être risqué pour un maire quand le pouvoir de décision est à Paris. Car si l’ANRU exige du maire qu’il modifie un projet élaboré avec les habitants, il se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis de ces derniers. On touche là une des limites de la centralisation opérée par la loi Borloo. C’est d’autant plus regrettable que la participation des habitants est la condition pour que de telles opérations aient des effets sociaux. En mobilisant des groupes d’habitants dans l’élaboration et la conduite de ces projets, on peut amorcer une dynamique de développement social, et en même temps changer la nature de la relation entre gouvernants et gouvernés. La rénovation urbaine aurait pu être l’occasion de rétablir la confiance. L’occasion a été ratée.
 
Entretien réalisé par Ixchel Delaporte
photos I.D
(1) Rapport d'information co-réalisé avec le sociologue Thoms Kirszbaum, au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation des aides aux quartiers défavorisés, commandé par François Goulard et François Pupponi.

http://quartierspop.over-blog.fr/article-des-quartiers-per-us-comme-une-menace-67525505.html

Les « origines culturelles numériques » de la Révolution arabe

Yves Gonzalez-Quijano

Une fois n’est pas coutume ! Je vous propose ci-dessous un texte bien trop long certainement pour faire un billet de blog. Mais, comme je le signale dans le corps de l’article, il s’agit pour moi, non pas de publier, au sens traditionnel du terme, mais de communiquer, via la plate-forme Hypothèses et le site du CERI qui doit également accueillir ce texte, avec la « communauté » des  lecteurs. Je remercie d’avance ceux qui auront eu la patience d’aller jusqu’au bout de la lecture de leurs remarques, et même de leurs critiques !

Les « origines culturelles numériques »

des révolutions arabes

Depuis les événements de Tunisie, et avec plus de vigueur encore après ceux de la place Tahrir, les tamtams médiatiques célèbrent la « révolution numérique » arabe. Avec la libération de Wael Ghonim, jeune directeur marketing de Google pour la région MENA (Middle-East Nord-Africa) devenu l’icône1 d’un mouvement de protestation qui a provoqué la chute du président Moubarak, l’affaire est entendue : il s’agit bien, au choix, d’une « révolution 2.0 » ou encore d’une « révolution Facebook ». Internet, Facebook, ou encore Twitter, ces mots servent désormais de totems à toute une tribu de commentateurs qui découvrent les vertus démocratiques des peuples arabes après celles d’internet ! Après être restés, des années durant, aveugles aux unes comme aux autres, les voilà qui se font aujourd’hui les chantres des pouvoirs libérateurs du numérique. Et d’une manière si naïve qu’il en devient tentant de répondre à leurs discours enflammés par des analyses parfois outrageusement sceptiques2.
Le rôle des spécialistes des sciences humaines n’est pas de se substituer aux commentateurs professionnels de l’actualité. Ils ont souvent tort, à quelques remarquables exceptions près3, de proposer des analyses sans bénéficier d’un minimum de recul temporel. Dès lors, on comprendra que ce qui suit est tout sauf une proposition d’interprétation définitive à propos des événements qui viennent de se dérouler, à quelques semaines d’intervalle, dans deux pays arabes. En conséquence, ces simples notes provisoires sont soumises à une exposition publique, non pas comme une publication, au sens qu’a pris ce terme depuis le développement de l’imprimerie, mais bien comme une communication, conformément aux meilleures traditions de la communauté scientifique lorsqu’elle accepte de soumettre, auprès de ceux qui en prendront connaissance via internet, aux commentaires, voire aux critiques…

Une révolution… au moins dans les esprits !

Bien que ce ne soit pas notre objet à proprement parler, il convient de souligner d’emblée qu’il est imprudent, au moment où ces lignes sont écrites, de parler de révolution, dans le cas tunisien comme dans l’égyptien. Certes, Zine El Abidine Ben Ali, d’un côté, et Hosni Moubarak, de l’autre, ont abandonné le pouvoir aujourd’hui occupé par des instances en principe transitoires. Mais la question de la nature du régime à venir, et de l’éventuelle pérennité, sous une forme plus ou moins aménagée, des anciennes structures, reste posée. En d’autres termes, on ne sait pas encore s’il s’agit d’une révolution, au vrai sens du mot, ou d’une manière de coup d’Etat, de révolution de palais si l’on préfère. Dès lors qu’on s’interroge sur le rôle joué par les techniques de communication modernes d’une manière générale – car le rôle des télévisions satellitaires ne doit pas être sous-estimé, on y reviendra –, et sur celui des technologies associées à internet en particulier, cette interrogation sur la véritable nature des transformations politiques n’est pas seulement rhétorique. En effet, il faudrait déjà en savoir davantage sur la formule politique qui sera finalement adoptée dans ces deux pays pour évaluer la nature proprement révolutionnaire de changements que les flux numériques d’information ont probablement contribué à rendre possible.
Sur ce dernier point, en revanche, on avance sur un sol un peu plus solide. Pour la plupart des observateurs, les « nouveaux médias » ont rempli, dans les deux cas, un rôle important quant au succès de la mobilisation populaire. Il reste, bien entendu, à évaluer de manière plus précise ce rôle, autour de phases particulières, de fonctions différentes, de supports variables. Mais, avant cela, il faut tout de même prendre le temps de s’arrêter à ce premier constat : dorénavant, on prend au sérieux une affirmation qui, il y a quelques années à peine, suscitait bien des sourires. Non seulement parce que nombreux étaient ceux qui considéraient que l’hypothèse d’un impact des nouvelles technologies de la communication sur les réalités politiques relevait de la politique fiction, mais plus encore parce que le sens commun avait beaucoup de mal à se faire à l’idée que de tels développements puissent concerner, dans un avenir plus ou moins proche, les sociétés du monde arabe.
A l’évidence, les événements qui peuvent ouvrir une nouvelle phase dans l’histoire de cette région ont déjà profondément modifié le regard que le monde extérieur, et les pays européens en particulier, portent sur ces populations. Quelle que soit la destinée de leurs mobilisations, Tunisiens et Egyptiens auront déjà réussi à briser le mur des représentations toutes faites, en vertu desquelles ils semblaient condamnés, pour longtemps encore, à rester en dehors de l’histoire et en marge des processus démocratiques. Sans présager encore une fois de l’issue de leur combat, les manifestants tunisiens et arabes ont prouvé l’affligeante sottise de prétendues analyses postulant l’incompatibilité de la « culture arabo-musulmane » et de la modernité. Après tant de rapports dissertant savamment sur « l’absence totale de la moindre manifestation d’une révolution de l’information en cours dans le monde arabe4 », un tel changement de perspective est bon à prendre pour tous ceux qui se sont efforcés, depuis nombre d’années, de faire valoir d’autres lectures, en soulignant au contraire la vitalité de sociétés de plus en plus rapidement et massivement gagnées par « l’acculturation au numérique5 ». Désormais, on a même envie d’aller plus loin en s’associant aux réflexions d’un Georges Corm pour affirmer que « la rue arabe sert de modèle au Nord6 », y compris pour ce qui est de la compréhension de la « cyberpolitique ». On imagine spontanément que les changements sociaux et politiques liés à l’essor des TIC concernent au premier chef les sociétés postindustrielles ; deux pays du monde arabe nous rappellent que l’innovation politique peut surgir des périphéries. Voilà bien une vraie révolution dans les esprits !

Tunis, Le Caire : l’impossible endiguement des médias numériques

Méconnu il y a peu encore, le dynamisme des techniques numériques dans le monde arabe est d’autant plus frappant que cet essor a été tardif, pour toutes sortes de raisons, certaines techniques, d’autres, à l’évidence, politiques7. Mais avec l’entrée, symbolique à plus d’un titre, de l’Arabie saoudite sur le réseau mondial à la fin du XXe siècle, un palier décisif a été franchi. En l’espace d’une décennie, le monde arabe aura été traversé par trois grandes vagues numériques : la première, plutôt institutionnelle, a été surtout portée par la presse durant la seconde moitié des années 1990 ; plus tard est venue celle des blogs, puis celle des réseaux sociaux de type Facebook, toutes deux étroitement associées aux premières protestations sociales utilisant les ressources internet, notamment en Egypte8. Une évolution foudroyante dont on peut saisir l’importance à travers une statistique récente9 indiquant, il y a quelques mois à peine, que les utilisateurs arabes de Facebook étaient désormais plus nombreux que les lecteurs de la presse quotidienne (sous sa forme imprimée, bien entendu !).
Comme partout ailleurs, la jeunesse arabe est particulièrement attirée par les nouveaux moyens de communication. Et comme ces pays n’ont pour la plupart effectué leur transition démographique que récemment (la moitié des quelque 200 millions d’Arabes a moins de 20 ans), les conséquences sociales et politiques de la très rapide dissémination des TIC sont plus spectaculaires encore. Surtout dans le contexte très particulier de l’histoire récente de la région, marquée par d’importantes mutations socioéconomiques (urbanisation, scolarisation, dénationalisations, globalisation et même « néocolonisation »…) qui rendent douloureuses toutes les inévitables transitions, la numérique tout autant que la démocratique, l’une et l’autre ayant pour particularité de mettre à mal les ressorts sociaux d’une indispensable transmission entre les générations.
Même s’il est plus facile de le dire aujourd’hui qu’hier, on retrouve donc bien dans les sociétés arabes contemporaines tous les ingrédients d’une déflagration pour laquelle on considère que les nouvelles conditions de la production et de la circulation de l’information ont pu jouer le rôle de mèche… Alors que l’histoire de ces événements assez extraordinaires – au sens étymologique du terme au moins – est loin d’être écrite, on peut malgré tout suggérer quelques pistes d’interprétation, en commençant par un rappel, probablement nécessaire lorsqu’on n’est pas familier de la scène numérique arabe. Chacune à sa manière, la Tunisie de Ben Ali et l’Egypte de Moubarak représentaient, il y a peu encore, l’excellence locale en matière de répression des nouvelles technologies ; l’une et l’autre illustraient en quelque sorte le savoir-faire arabe vis-à-vis de la gestion des menaces de déstabilisation que des pouvoirs autoritaires peuvent associer aux échanges sur internet ! Hôte improbable, tant elle s’était déjà engagée sur la voie d’une répression toujours plus grande des médias anciens et nouveaux, du Sommet mondial sur la société de l’information en 2005, la Tunisie de Ben Ali fut également, dès 1991, le premier pays africain connecté au réseau des réseaux. Quant à l’Egypte de Moubarak, premier pays arabe à se doter, en 1999, d’un ministère de la Communication et des technologies de l’information, la publication régulière de rapports officiels, par exemple sur la blogosphère locale10, montre, s’il en était besoin, que le pouvoir égyptien avait pleine conscience de leurs enjeux politiques.
Bien entendu, la chute des deux chefs d’Etat révèle les limites du savoir-faire des régimes concernés en matière de répression informatique11; il ne faudrait pas croire pour autant à la toute-puissance des militants de l’internet qui, sur les deux scènes, partagent d’ailleurs un certain nombre de traits communs. Au regard de la concordance temporelle des événements, on a pu lier les soulèvements tunisien et égyptien aux « fuites » de Wikileaks. A la vérité, ce type d’explication en dit plus sur les questionnements des observateurs (occidentaux) du Net que sur les pratiques des internautes arabes. Sans grand risque d’erreur, on peut considérer que les « révélations » de Wikileaks étaient largement en deçà de ce que l’opinion publique, dans les deux pays, reprochait de longue date à ses dirigeants.
De toute manière, bien peu de « révélations » inédites pouvaient être mises au jour par Wikileaks et ses pareils, y compris dans un paysage internet par ailleurs très largement verrouillé. En effet, l’un des principaux enseignements des renversements des chefs d’Etat tunisien et égyptien est bien de montrer qu’un contrôle total des circulations numériques est désormais un rêve hors de portée des dictatures les plus sévères12. Malgré une stricte police de l’information, les populations de Tunisie et d’Egypte savaient manifestement à quoi s’en tenir à propos de leurs régimes respectifs. En définitive, la fermeture des circuits ordinaires de circulation des nouvelles aura surtout contribué, dans ces deux pays comme partout où des limitations sont de mise, à la multiplication des procédures de contournement par des utilisateurs de plus en plus avisés. Des canaux de substitution auront été mis en place, tel Facebook, réseau social rapidement transformé par ses utilisateurs locaux en plate-forme d’information et qui aura joué un rôle considérable en Tunisie pour la circulation des mots d’ordre lors des affrontements contre les forces de l’ordre. Tout comme en Egypte, on constate le remplacement des « anciens » outils d’internet devenus trop vulnérables ; les blogs, canal d’expression pour la première génération d’activistes du web13, ont été remplacés par les réseaux sociaux de la « génération Facebook », eux-mêmes supplantés par les micro-messages de type Twitter.
Toutefois – et c’est une autre leçon d’importance –, les cas tunisien et égyptien montrent également l’intrication, de plus en plus serrée, des supports et des réseaux, des logiciels et des standards, et en définitive des langages et des usages. S’il est une illustration parlante de phénomènes en partie inattendus de convergence dans l’univers strictement numérique, c’est bien les passerelles développées à la hâte par les sociétés Google et Twitter pour permettre aux Egyptiens d’échanger des micro-messages via le réseau téléphonique traditionnel. Mais tout aussi parlant, et sans doute plus efficace en termes d’information et de capacité mobilisatrice (en tout cas dans le contexte actuel) est le maillage réalisé par une chaîne telle qu’Al-Jazeera entre ses ressources traditionnelles en tant que canal d’information satellitaire et les nouveaux flux numériques des réseaux sociaux (vidéos d’amateurs et micro-messages notamment). Sur un modèle en définitive adopté par tous les organes « classiques » d’information, oublieux de leurs préventions contre les inputs de sources non professionnelles, l’occupation de la place Tahrir au Caire, plus encore que les affrontements dans les rues de Tunis, a montré qu’il y a désormais une telle fluidité dans les flux d’information qu’il est vain d’espérer les endiguer, y compris, comme l’ont tenté les autorités égyptiennes en ajoutant à la censure ordinaire et même aux attaques contre les représentants des organes de presse présumés hostiles la fermeture quasi totale, et de toute manière rapidement intenable, de l’ensemble du système de communication national (coupure d’internet et des réseaux de téléphone portable au plus fort des protestations). Malgré tout, et quel que soit le très réel développement des réseaux sociaux (les usagers tunisiens de Facebook représenteraient 18 % de la population totale…), le point central de la nébuleuse informationnelle, au moins pour la grande masse des acteurs capables d’être mobilisés pour créer des rapports de force sur le terrain, c’est encore la télévision et, au sein du paysage numérique actuel, Al-Jazeera.

Les TIC, sans doute, mais rien de plus !

Dans les événements qui ont eu pour théâtre les rues de Tunisie et d’Egypte, plus d’un indice signale le rôle qu’ont pu jouer dans la séquence des événements les TIC en général, et les réseaux sociaux en particulier. Néanmoins, et même si elles semblent parlantes, des expressions comme « révolution Facebook », ou « Twitter » sont probablement malheureuses et même trompeuses. Tout d’abord parce que les révolutions, comme se sont plu à le rappeler certains sceptiques, ne se font pas sur les écrans des portables, quels que soient leurs formats, mais bien dans la rue, là où se mesure, très physiquement, l’affrontement entre des forces antagonistes. Mais également, et de manière un peu plus subtile, parce que la raréfaction, et par moment même la quasi disparition des flux d’information, à commencer sur internet, n’ont pas empêché la montée en puissance des mobilisations qui ont fini par emporter les dirigeants tunisien et égyptien. Un argument auxquels on peut toutefois répondre en reprenant la métaphore de la mèche, décisive dans un premier temps – celui de la construction par les médias numériques d’une mobilisation –, mais par la suite inutile dès lors qu’a pris l’incendie de l’insurrection généralisée14
Avec une telle argumentation, on continue cependant à se situer au sein du champ politique, entendu au sens le plus étroit du terme, alors qu’on peut imaginer que les conséquences de la diffusion dans le corps social des technologies numériques se font sentir différemment. C’est également le cas de la plupart des analyses, par exemple à propos de la blogosphère arabe, dans la mesure où ces analyses interrogent le rôle mobilisateur des TIC en fonction des représentations traditionnelles du politique, lui-même appréhendé à partir de grilles d’analyse bien connues. Inévitablement, en découpant de cette manière le champ de la culture politique numérique, on prend le risque d’ignorer tout ce qui ne se moule pas dans les modèles éprouvés, tout ce qui dessine au contraire des configurations inédites. D’ailleurs, si les événements de Tunisie et d’Egypte ont constitué, y compris pour les acteurs eux-mêmes d’ailleurs, une telle surprise, n’est-ce pas précisément le signe que les anciens outils de perception et d’analyse sont incapables de nous aider à lire les signes de la nouvelle culture de protestation numérique ?
Parler de « contagion démocratique » dans les sociétés arabes – expression par ailleurs exécrable – pour décrire les mobilisations en cours n’apporte pas grand chose sur le plan heuristique. La soudaineté des bouleversements qui semblent devoir continuer à se produire en divers points du monde arabe (voire islamique si l’on pense à l’Iran) incite naturellement à postuler que ces différentes scènes politiques, par ailleurs tellement différentes (quels points communs entre le petit émirat de Bahreïn par exemple et l’Algérie de Bouteflika ?) sont travaillées par les mêmes facteurs. Parmi ceux-ci, figurent les nouveaux flux numériques. Sans doute, mais rien de plus..
En effet, pour arriver à mieux penser les conséquences politiques de l’intensification des communications numériques, et des TIC en général, il faut peut-être commencer à ne pas en faire le point focal de la réflexion pour considérer au contraire qu’elles ne sont qu’un élément parmi d’autres dans l’enchaînement des causalités qui ont provoqué les récents événements en Tunisie et en Egypte. Plutôt qu’un passe-partout capable d’ouvrir toutes les portes des bouleversements en cours, l’essor d’internet et de ses différentes applications ne serait qu’une clé dans un trousseau qui en comporte bien d’autres telles que les progrès de l’éducation, l’urbanisation galopante de populations majoritairement très jeunes ou encore l’accélération de la diffusion de références culturelles exogènes…
Même si les réseaux sociaux ont connu une croissance exponentielle dans les sociétés arabes, ils ne semblent pas, aujourd’hui en tout cas, en mesure de concurrencer des médias plus classiques tels que la télévision. En revanche, ils s’y associent toujours davantage en créant une situation inédite, tant sur le plan des contenus véhiculés que des circulations des flux et de leur contrôle. Plus important – à moyen terme pensait-on jusqu’alors mais les événements actuels nous indiquent que les échéances ne sont peut-être pas si lointaines… – apparaissent désormais les conséquences sociales et politiques de l’utilisation massive par les jeunes classes arabes des TIC. Ces technologies favorisent en effet, en particulier dans la sphère des relations à l’Autre et à l’autorité politique, religieuse, familiale, des attitudes, des représentations, des pratiques toujours plus autonomes et individualisées qui rendent à l’évidence aujourd’hui impossible ou presque le maintien des anciennes formes de légitimité.
A l’image d’autres situations historiques marquées elles aussi par d’importantes ruptures sur le plan des pratiques de communication, et ici on pense naturellement à la Révolution française et à la place toute particulière qu’elle occupe dans l’histoire, on peut faire l’hypothèse, en paraphrasant Roger Chartier15, qu’il y a bien des origines culturelles numériques aux révolutions (?) tunisienne et égyptienne.
Damas, 14 février 2011
  1. « Wael Ghonim, nouvelle icône de la révolution égyptienne », Le Monde, 9 février 2011 (http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/09/wael-ghonim-nouvelle-icone-de-la-revolution-egyptienne_1477199_3218.html ; avec des extraits vidéo d’entretiens sur la chaîne égyptienne Dream). []
  2. Cf. E. Morozov, The Net Delusion. How Not to Liberate the World, Allen Lane, 2011. []
  3. On pense notamment à Olivier Roy et à son texte, « Des révolutions post-islamistes », Le Monde, 12. février 2011. []
  4. Parmi bien d’autres, voir par exemple le rapport publié par G. E. Burkhart et S. Older pour la Rand Foundation sous le titre The Information Revolution in the Middle East and North Africa (California, Rand Foundation, 2003). []
  5. Cf. Y. Gonzalez-Quijano et Ch. Varin (sous la dir. de), La société de l’information au Proche-Orient. Internet au Liban et en Syrie, Beyrouth, Presses de l’Université Saint-Joseph, 2006 . []
  6. G. Corm, « Quand la rue arabe sert de modèle au Nord », Le Monde, 11 février 2011 . []
  7. Y. Gonzalez-Quijano, « La révolution de l’information aura-t-elle lieu ? Les enjeux des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le monde arabe », Politique étrangère, janvier-mars 2002 . []
  8. Y. Gonzalez-Quijano, « Joyeux anniversaire 08 M. Moubarak ! » . []
  9. Cf. C. Malin, « 15 Million MENA Facebook Users », Spoton, 24 mai 2010 . Plus encore qu’ailleurs peut-être, les données statistiques sur les usages du numérique dans le monde arabe méritent d’être appréciées surtout comme de simples indications. En Syrie par exemple, où il est pourtant resté officiellement inaccessible entre 2007 et début février 2011, Facebook n’en compte pas moins des centaines de milliers d’utilisateurs, à commencer par le président Bachar el-Assad qui possède sa page officielle. []
  10. Markaz al-ma’lûmât wa da’m ittikhâdh al-qarâr, Al-mudawwanât al-misriyya: fadhâ’ ijtimâ’î jadîd [Les blogs égyptiens : un nouvel espace social], III/17, mai 2008 . []
  11. La place manque pour entrer dans les détails mais le système de surveillance, techniquement sophistiqué (logiciels de surveillance, captation des mots de passe des cyberdissidents…), impliquait également d’importants investissements en hommes, avec des services spécialisés dans le suivi du réseau, et des réseaux sociaux, tant en Tunisie qu’en Egypte. []
  12. Tout au moins dans le contexte de pays dont la « masse critique », à la différence de la Chine par exemple, est d’autant plus insuffisante pour imposer une sorte de survie autarcique que leur système de communication est interconnecté à d’autres, celui du monde arabe principalement, mais également celui des diasporas émigrés à l’étranger. []
  13. Cf. Y. Gonzalez-Quijano, « Le nouveau ‘divan des Arabes’ », . []
  14. M. Lessard, « Internet et l’Egypte : qui contrôle qui ? », OWNI, 11 février 2011 . []
  15. R. Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Le Seuil, 1990. []
http://cpa.hypotheses.org/2484
Related Posts with Thumbnails