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19/02/2011

Femmes du Caire

« Basta Berlusconi ! » Dimanche 13 février, des milliers d’Italiennes sont descendues dans la rue contre leur Premier ministre, dont l’interminable « saga priapique » renvoie une image virile du pouvoir et réduit les femmes à des objets sexuels.
Cette manifestation remet en cause les idées reçues sur la place des femmes dans la société européenne, mais pas seulement. S’inspirant des « Ben Ali, dégage ! » et des « Mubarak, dégage ! », criés depuis plusieurs semaines par les femmes tunisiennes et égyptiennes, les Italiennes démontrent que depuis quelques semaines, les modèles politiques et sociaux ne circulent plus dans le même sens par-delà les rives de la Méditerranée. Les mouvements qui secouent la Tunisie, l’Egypte, l’Algérie mais aussi la Jordanie et le Yémen incitent à revoir les clichés occidentaux sur la sujétion des femmes dans les pays arabes.
Dans l’histoire, les crises, en particulier les guerres et les révolutions, ont souvent engendré une remise en cause de la domination masculine. La vague révolutionnaire qui secoua l’Atlantique il y a deux cents ans fut en grande partie animée par des femmes souvent privées de tout droit. Elles y gagnèrent un peu, espérèrent beaucoup mais virent la parenthèse se refermer après les premiers moments d’enthousiasme. Pour les femmes, les révolutions américaine et française du 18e siècle se finirent en queue de poisson. Aux Etats-Unis, aucune des nouvelles constitutions d’Etat ne leur accorda le droit de vote, sauf au New Jersey… jusqu’en 1807. En France, on voulut terminer la révolution en imposant une nouvelle barrière des sexes : après thermidor an II (juillet 1794), le citoyen modèle sur lequel on entendit reconstruire la société était le père de famille et le bon mari. Depuis quelques jours, certaines Egyptiennes paient le prix fort pour s’être, pendant quelques jours, émancipées des conventions sociales.
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Certaines formes de mobilisation féminine du "printemps arabe" semblent révéler des invariants intemporels. Comme les Françaises des journées d’Octobre 1789, une partie des femmes du Maghreb se sont mobilisées contre le prix du pain. Comme les patriotes américaines qui rejoignaient les campements de l’armée révolutionnaire pendant la Guerre d’Indépendance entre 1775 et 1783, certaines Cairotes se sont employées à soigner les blessés de la place Tahrir. Aux yeux des hommes, ces actions sont rassurantes : les femmes de tout temps et de tout pays sont ainsi réduites à des vertus nourricières et curatives, associées à l’ « éternelle » fonction maternelle.
De ce point de vue, ce qui se trame en Tunisie ou en Egypte est radicalement différent. Celles qui prennent la parole à Tunis, Le Caire, Suez ou Alexandrie, vivent certes sous le joug de la domination masculine. Mais elles ne sont pas les femmes du 18e siècle, qui étaient totalement privées de droits. N’en déplaise aux visions occidentales, les Tunisiennes et Egyptiennes ont vu leur statut lentement s’améliorer depuis les années 1920, en partie depuis les mobilisations féminines de la « première révolution » égyptienne de 1919. Plus alphabétisées que les femmes du Siècle des Lumières, diplômées, plus politisées mais aussi plus intégrées à la société civile, beaucoup de maghrébines, encadrées par des associations comme l’Association des Femmes Démocrates en Tunisie ou inspirées par des avant-gardes comme Nawal El Saadawi en Egypte, ne défendent pas seulement leurs acquis. Elles revendiquent aussi le droit de participer à la vie civique et au débat politique.
Faut-il voir en elles les chevaux de Troie de l’islamisme ? Le point de vue laïc et très franco-français aide aussi peu à comprendre le passé que le présent. Certes, des Vendéennes catholiques de la fin du 18e siècle aux manifestantes voilées de la place Tahrir, certaines femmes, très impliquées dans la religion et donc dans la vie sociale, se mobilisent parfois au nom de leur foi. Pourtant, cela ne veut évidemment pas dire qu’elles ne défendent aucune opinion politique et qu’elles sont systématiquement manipulées par les « fous de Dieu ».

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Comme l’indique le politologue Olivier Roy, l’évolution de la place des femmes au sein de la « société  post-islamiste » ne se réduit évidemment pas à un combat entre laïcité et intégrisme (Le Monde, 12 février 2011). Si des milliers de Tunisiennes redoutent que leurs droits soient remis en cause par le retour du leader islamiste Ghannouchi, nombre d’entre elles entendent aussi pouvoir exprimer leur liberté de conscience sans subir le regard des autres lorsqu'elles portent le voile.
Jeunes ou âgées, qu’elles défilent en tête nue ou en hijab, les « Femmes du Caire », dont Yousry Nasrallah décrivait en 2010 les désirs d’émancipation dans un film engagé, ne peuvent donc être observées avec les clichés historiques ou sociaux que les experts occidentaux ont tendance à leur appliquer. C’est ce qui donne à leur mobilisation toute sa modernité.
Guillaume Mazeau

http://lumieresdusiecle.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/02/14/femmes-du-caire.html

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