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19/02/2011

Les collèges "ambition réussite" : un bilan négatif, une politique non prioritaire

Contrairement au discours officiel, les inégalités continuent à se creuser entre les élèves des réseaux "ambition réussite" et les autres. Les territoires les plus en difficulté n’ont jamais été une vraie priorité. Une analyse de Pierre Merle, sociologue, IUFM et Université européenne de Bretagne.

Les réseaux "ambition réussite" (RAR), mis en place par Gilles de Robien à la rentrée scolaire 2006, ont eu pour objet de relancer l’éducation prioritaire en recentrant les moyens financiers et humains sur des écoles élémentaires et 249 collèges dans lesquels les élèves en grande difficulté scolaire sont particulièrement sur-représentés.
La politique des RAR était a priori pertinente en raison de l’extension considérable des collégiens scolarisés en Zone d’éducation prioritaire (ZEP) : 10% en 1982, 14,3% en 1996 avant la relance de la politique des ZEP par Ségolène Royal et 20% en 2004. L’inconvénient majeur de cet accroissement continu des écoliers et collégiens relevant de l’éducation prioritaire tenait à une dilution progressive des moyens.
Ainsi, en 1997, on dénombrait 23 élèves par classe en moyenne dans les ZEP et 24,7 hors ZEP, soit une différence de seulement 1,7 élèves en moins au profit des ZEP [1]. Sur cet indicateur comme sur d’autres, la proportion considérable d’élèves scolarisés dans l’éducation prioritaire aboutissait à des aides limitées sans rapport avec les difficultés propres à ces établissements. L’éparpillement des moyens a favorisé des évaluations mitigées, voire négatives, de ce dispositif d’aide aux élèves en difficulté [2].
Une politique de recentrage des moyens sur les établissements scolarisant les élèves les plus en difficulté, projet poursuivi par les RAR, avait pour objet d’aller à contre courant des politiques précédentes. Plutôt que de donner peu à beaucoup d’élèves, il s’agissait de donner beaucoup à peu. Ce projet d’approfondissement de la politique d’éducation prioritaire - une première pour un gouvernement de droite jusqu’à présente rétif à cette politique - avait d’ailleurs été bien accueilli par les partisans des ZEP et l’Observatoire des zones prioritaires.
Des moyens non négligeables accompagnaient cette politique. En 2006, les 249 collèges Ambition réussite sont dotés de 1 000 enseignants et 3 000 assistants pédagogiques supplémentaires. Le nombre moyen d’élèves par classe passe alors à 21,2 élèves par classe dans les collèges ambition réussite alors qu’il est de 24,6 dans les collèges ordinaires, soit 3,4 élèves en moins par classe. La différence devient sensible. Est-elle pour autant suffisante ?
Quatre ans après la mise en place des réseaux ambition réussite, le temps du bilan est venu. Rendu au ministère en juin 2010, le rapport n’a été rendu public qu’au mois de janvier 2011 [3]. Le rapport juge les résultats « encourageants ». Un bilan très positif pourtant fort contestable. Quelques exemples des imprécisions, parfois même des tours de passe-passe, propres à ce rapport.
Quelles sont les preuves des progrès jugés encourageants ? Des évaluations en fin de l’école élémentaire, dont la pertinence technique fait par ailleurs polémique, montrent « un maintien des écarts en français et une légère réduction des écarts en mathématiques » entre les écoliers des réseaux ambition réussite et les autres, soit un progrès minime réalisé dans une seule discipline. Mais, en fin de troisième, le résultat des élèves aux tests de compétence est tout autre : « un accroissement des écarts en français et en mathématiques ». Ces évaluations sont contradictoires. La plus pertinente concerne toutefois celle réalisée en fin de troisième. Aussi bien en maths qu’en français, les écarts de réussite entre les collégiens des RAR et les autres sont sensibles et ces évaluations ne sont pas techniquement contestées. Contre toute attente, les auteurs du bilan concluent, en synthèse, à la « réduction des écarts de réussite scolaire ».
Deuxième exemple d’embrouillamini du rapport ministériel. Le rapport souligne une diminution des écarts des taux de redoublement entre les élèves en collèges ambition réussite et les autres. Mais les décisions de redoublement relèvent parfois moins de l’évaluation des compétences des élèves que de directives rectorales : les chefs d’établissement sont tout simplement invités à limiter le taux de redoublants. Les auteurs du rapport indiquent d’ailleurs que leur constat peut être lié au projet de « faire passer le plus rapidement possible la scolarité obligatoire à des élèves en difficultés pour leur proposer des orientations post-troisième ». C’est la politique classique du « passage-dégage ».
Le constat de réussite est alors un déguisement du constat d’échec ! Cet échec est d’ailleurs facile à montrer. Si le rapport constate en effet des passages plus fréquents en classe de seconde, il indique aussi que les professeurs de lycée font de plus en plus souvent redoubler, en fin de seconde, les élèves issus des collèges ambition réussite. Ces décisions sont cohérentes avec les évaluations négatives en maths et en français de fin de troisième de ces mêmes élèves. Le moindre taux de redoublement en collège débouche ainsi sur plus de redoublements en lycée. Progrès des élèves ou évaluation faussée ?
Un troisième exemple d’échec des collèges ambition réussite est caché sous le bel intitulé de la « mobilité des parcours scolaires ». Qu’apprend-on ? A l’entrée en 6e, un parent sur dix demande une dérogation pour ne pas scolariser son enfant dans le collège de son secteur. Mais quand il s’agit d’éviter la scolarité en collège ambition réussite, ce taux de demande de dérogations explose : plus d’un parent sur quatre ! Le résultat est sans ambiguïté : 70 collèges ambition réussite perdent plus de 25% de leur effectif. Une quasi-hémorragie, déjà mentionnée par un rapport de la Cour des Comptes en 2009. Pour les parents les mieux informés, la stratégie dominante est celle du « sauve qui peut ». Et les départs seraient encore plus nombreux, dixit le rapport, si les inspections académiques ne décidaient pas, pour limiter la fuite des élèves, de moins satisfaire les demandes de dérogation en surnombre qui concernent ces collèges… L’inégalité géographique que l’assouplissement de la carte scolaire était censée réduire est ainsi maintenue pour les élèves qui pâtissent le plus de l’inégalité de l’offre pédagogique entre établissements.
Il y a aussi - c’est le B-A-BA de l’art du camouflage - ce que le rapport ne dit pas alors que les données existent. Les demandes de mutation des professeurs en poste dans les collèges ambition réussite ont connu une progression fulgurante. Un seul exemple. Dans les collèges ambitions réussite de la capitale, le taux de demande de mutation des professeurs est passé de 27,7% en 2006, au moment de l’entrée dans le nouveau dispositif, à 47 % en 2009, alors que ce taux, la même année, n’est que de 19% pour les autres enseignants parisiens… Et, dans ces collèges en péril, le taux de départ des professeurs est monté à 45 % en 2009 ! Le rapport, sans apporter de données chiffrées, conclut toutefois à « une modification des postures des enseignants, qui acceptent de jouer un rôle éducatif en s’investissant plus largement ». Drôle de conclusion quand presque un professeur sur deux quitte le navire à la fin de chaque année ! Quelle entreprise supporterait sans encombre un tel turn over de son personnel qualifié alors qu’il lui faut mener des projets d’équipe pour réussir ? Autre oubli de taille. Aucune donnée n’est présentée sur les phénomènes de violence scolaire, bien plus importants dans les établissements en éducation prioritaire, et directement fonction de la concentration des élèves en difficulté scolaire. C’est d’ailleurs une des raisons qui expliquent la fuite des enseignants et l’inquiétude des parents…
Le rapport du ministère est un bel exemple de bilan truqué : des faux profits excessivement gonflés, de vrais déficits réellement occultés. Entre l’absence de bilan de la politique d’assouplissement de la carte scolaire et le faux bilan pour les collèges ambition réussite, le ministère de l’Education nationale s’enferme dans le déni des réalités. A contrario, les récentes évaluations internationales réalisées par l’OCDE (programme PISA) apportent un éclairage cruel sur le déclin de l’école française.
En France, l’impact du milieu socioéconomique sur la performance des élèves est plus grand que dans la moyenne des pays de l’OCDE : les caractéristiques du milieu familial des élèves de 15 ans expliquent 28 % de la variation de leurs performances (22 % au niveau des pays de l’OCDE). Les écarts se creusent aussi entre les meilleurs élèves et les plus faibles dont le nombre augmente [4]. Il est urgent de passer de la rhétorique de l’auto-satisfaction à l’analyse des difficultés rencontrées.
Quelles sont les raisons de l’échec des établissements relevant des réseaux ambitions réussite ? Multiples évidemment. D’abord, la politique de l’éducation prioritaire souffre d’un effet de stigmatisation. Le label ZEP et les « réseaux ambition réussite » sont associés aux catégories populaires et aux difficultés scolaires. Il en résulte la fuite de la minorité d’élèves d’origine aisée et une réduction de la mixité scolaire et sociale, réduction préjudiciable à la réussite scolaire des élèves qui demeurent scolarisés dans ces établissements.
La politique d’assouplissement de la carte scolaire a de surcroît favorisé la mise en concurrence des établissements et la mise à l’écart scolaire et social des élèves des catégories populaires [5] [6]. L’école devient de plus en plus un lieu d’exclusion pour les uns, d’intégration pour les autres, une petite société où se façonnent des inégalités scolaires irréductibles entre les enfants d’une même génération.
Ensuite, la réduction de la taille des classes dans les établissements en RAR, aussi bien que dans les ZEP, demeure trop limitée pour produire des effets sensibles sur le niveau des apprentissages. Piketty et Valdenaire [7] ont montré, dans une étude de grande qualité, que l’impact positif de la réduction des effectifs par classe se manifestait avec des baisses plus substantielles. Ainsi, une baisse de cinq collégiens par classe permettrait aux élèves scolarisés dans l’éducation prioritaire de réduire de 22% leurs écarts moyens de compétence avec les élèves hors éducation prioritaire. Mais dans les établissements en RAR, la baisse des effectifs par classe demeure insuffisante pour produire un effet sensible et compenser leur retard scolaire.
Enfin, une autre raison de l’échec des collèges ambition réussite tient à l’importance du niveau de développement cognitif des enfants dès l’école maternelle et le rôle positif de la préscolarisation pour la réussite scolaire ultérieure, notamment l’apprentissage de la lecture [8]. Dans ce domaine, la politique menée est celui d’un changement total et paradoxal de direction. Lorsqu’il était ministre de l’Education nationale, Lionel Jospin avait favorisé la scolarisation à deux ans, notamment dans les ZEP. La politique actuelle a pour objet de réduire continument cette préscolarisation. Elle est passée de 35% en 2000 à 18,1% en 2008, une baisse brutale sur une période très brève [9]. Ce sont les élèves issus des catégories défavorisées qui sont les premières victimes de cette politique. Lorsque l’Etat intervient de moins en moins pour assurer l’éducation des jeunes enfants, l’effet des inégalités familiales de départ est maximisé.
Le surcoût des mesures telles que le maintien de la préscolarisation à deux ans ou la réduction du nombre d’élèves par classe peut sembler considérable, surtout en période de crise. Il faut toutefois saisir les ordres de grandeur des diverses politiques menées par l’Etat. Ainsi, pour les réseaux ambitions réussite, le surcoût annuel est de 325 millions d’euros. Somme importante certes mais finalement modeste eu égard aux pertes de recettes pour le budget de l’Etat consécutives à la diminution de la TVA à 5,5% dans la restauration (au minimum trois milliards d’euros par an), à l’instauration du bouclier fiscal, et à la diminution du taux d’imposition sur les successions et les donations qui constituent aussi des pertes annuelles de recettes de l’ordre de trois milliards d’euros annuels. Soient, au total, au minimum six milliards par an, environ vingt fois le coût des établissements en RAR, sans que l’efficacité économique de ces réductions fiscales ne soit bien établie.
Une politique plus résolue en faveur de l’éducation prioritaire ne relève pas d’une difficulté budgétaire mais d’un arbitrage dans les dépenses. Actuellement, les mesures relatives à la préservation du patrimoine d’une minorité sont jugées plus prioritaires et plus urgentes que l’investissement dans l’éducation de plus de 100 000 élèves en grande difficulté scolaire et dont l’avenir le plus probable est la sortie sans qualification. Les coûts de prise en charge de ces populations scolaires en déshérence à leur sortie de l’école, notamment sous forme du RSA (revenu de solidarité active), sont sur le moyen terme considérables. Une politique éducative ambitieuse, indispensable à la réduction de l’inégalité des chances, est une dimension incontournable de la politique de l’emploi pour éviter qu’une partie des jeunes, marginalisés à l’école, ne soit également en marge de la vie professionnelle et sociale.
Pierre Merle, professeur de sociologie, IUFM et Université européenne de Bretagne. Expert à l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES).
Les réseaux "ambition réussite"
Créés en 2006, les réseaux "ambition réussite"(RAR) regroupaient 254 collèges à la rentrée 2009, et scolarisaient 115 000 élèves, soit un collégien sur vingt. Ils scolarisent une part très inégale des élèves selon les académies : 10 % dans l’académie d’Aix-Marseille, contre 0,2 % dans celle de Grenoble. Les RAR regroupent aussi 1 725 écoles primaires publiques et 280 000 élèves.
La définition des établissements repose sur des critères économiques et sociaux. Interviennent notamment la part de parents de catégories défavorisées, de titulaires des minima sociaux ou de non-francophones. Dans les collèges "ambition réussite", les trois quarts des élèves ont un parent ouvrier ou inactif, contre un tiers hors de ces réseaux.

[1] MEN (1998), Les zones d’éducation prioritaires en 1997-1998, Note d’information, n°15.
[2] Par exemple, Meuret D., L’efficacité de la politique des zones d’éducation prioritaire dans les collèges, Revue française de pédagogie, 109, 1994, 41-64.
[3] MEN, Bilan national des réseaux « ambition réussite », juin 2010, 110 p.
[4] PISA, 2010. – « Note de présentation France », OCDE : http://www.oecd.org/dataoecd/33/7/46624019.pdf
[5] Merle P., 2010, « Structure et dynamique de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens », Revue française de pédagogie, n°170, p.73-85, 2010.
[6] Merle P., 2011, Concurrence et spécialisation des établissements scolaires. Une modélisation de la transformation du recrutement social des secteurs d’enseignement public et privé, Revue Française de Sociologie, 52-1, p. 133-169.
[7] Piketty T., Valdenaire M. (2006), L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français, MEN, 153 p.
[8] MEN (2003), Faut-il développer la scolarisation à deux ans ? Éducation et Formations, nº 66, p. 7-12.
[9] Ministère de l’Education nationale, Repères et références statistiques, Editions 2002 et 20

http://www.inegalites.fr/spip.php?article1394

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