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03/04/2009

L’utérus national

compte rendu de Susan Martha Kahn, Les Enfants d’Israël. Une approche culturelle de l’assistance médicale à la procréation, L’Harmattan, 2007. - Michal Raz

La population, on le sait, n’est pas un phénomène purement "naturel" mais représente un enjeu politique qui met en jeu des valeurs morales et des représentations culturelles. L’ouvrage de Susan Martha Kahn recensé ici par Michal Raz analyse la politique nataliste de l’Etat d’Israel.

L’Etat d’Israël est parmi les premiers à avoir voté une loi (en vigueur depuis 1996) qui autorise la gestation pour autrui, et aussi l’Etat où on trouve la plus grande densité en centres de PMA (Procréation Médicalement Assistée) [1], dans lesquels les femmes israéliennes peuvent recevoir des « traitements » de fertilité entièrement subventionnés par la sécurité sociale [2].

Susan M. Kahn, intéressée par cette prospérité reproductrice, s’interroge : d’où émane cette volonté, voire cette obligation de procréer ? Et comment, dans un Etat partiellement régi par la loi religieuse juive, a-t-on réussi à concilier la tradition et la technique ? Elle constate que « le cas d’Israël est remarquable, car sa tentative d’établir par la loi un usage approprié des NTR (Nouvelles Techniques de Reproduction) révèle une convergence inhabituelle entre la loi juive traditionnelle et la loi séculière progressiste » (p. 95). Il reste à analyser les conditions qui ont permis à l’impératif religieux - « fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-là … » (Genèse 1 ; 28) -, de se transformer en impératif nataliste de la « nation juive ».

Je pense qu’il faut y voir une instrumentalisation de la conception biblique selon laquelle la stérilité est une maladie tragique (pas moindre que le cancer, selon certains obstétriciens) pour encourager la maternité. Les médecins, par vocation, vont « guérir » cette stérilité à l’aide de l’Etat « qui fournit le sperme » (p. 38), pour contribuer, à travers le corps des femmes, au projet de reproduction de citoyens juifs. Comme l’identité juive est matrilinéaire, et que la citoyenneté est automatiquement accordée aux juifs, l’utérus est l’outil par lequel la nation se reproduit.

Sur ce point, Kahn se contente d’affirmer que la politique nataliste israélienne est liée à un « intérêt à poursuivre, y compris par l’action législative, une politique d’encouragement de la reproduction du peuple juif » (le titre original du livre est Reproducing Jews), sans faire apparaître sa dimension géopolitique. On apprend que cet intérêt national s’explique parfois par une volonté de « récompenser » les pertes de la Shoah, de produire des futurs soldats ou de contrer la menace démographique. Mais Kahn n’explique pas ce dernier point. Hormis une référence aux travaux de Nira Yuval-Davis, l’auteure laisse inexpliquées les raisons profondes de ce désir intense (collectif et par conséquent individuel) de donner naissance aux enfants juifs, « des nôtres ». La limite de la recherche ethnographique de Kahn (effectuée entre 1994 et 1996) est donc qu’elle souligne, certes avec beaucoup de finesse, l’aspect culturel et religieux de la reproduction des juifs (encouragée par les nouvelles technologies), alors que celle-ci contient un aspect éminemment politique.

De plus en plus on parle en Israël du « danger démographique » qui menace l’existence d’une majorité juive. Ce discours [3] contribue à la production d’une représentation collective imprégnée d’une peur existentielle alimentée par certaines instrumentalisations de la mémoire collective juive. Ainsi, on transmet, matin et soir, des prévisions apocalyptiques selon lesquelles dans quelques années les palestiniens seront majoritaires « entre la méditerranée et le Jourdain » (Israël et les territoires occupés inclus). Dans cette course démographique, le corps féminin est l’étalon soumis à la cravache de la nation. Qu’elle soit célibataire, mariée ou lesbienne, la femme israélienne juive doit donner naissance à plusieurs enfants.

Or, tandis que la natalité juive en Israël est positivement encouragée, le projet politique visant à conserver une majorité juive intervient négativement pour bloquer « l’utérus » du peuple palestinien par le biais des stratégies différentes, que ce soit au sein des frontières (toujours indéfinies) d’Israël ou à Gaza et en Cisjordanie. Un des exemples qui illustrent cette politique est le mur en Palestine qui est en réalité un mur démographique par lequel on cherche à faire diminuer la population palestinienne de par un système de lois discriminatoires et une aggravation des conditions de vie, en vue d’un but géopolitique central : avoir le plus de terres avec le moins d’arabes possible.

La barrière, et le régime militaire qui l’accompagne, créent des cantons invivables qui poussent les palestiniens à quitter leurs villages. Car, à cause des barrages multiples et des interdictions de circuler, il devient de plus en plus difficile pour les palestiniens de cultiver leurs terres (qui se retrouvent parfois de l’autre côté du mur), ou de gagner la grande ville pour travailler, visiter leur famille ou se faire soigner. Entre les enclaves palestiniennes s’étalent les colonies juives qui rendent le territoire palestinien discontinu et dense. Des mécanismes bureaucratiques et sécuritaires, fruits d’une obsession de supériorité et de séparation, contrôlent et surveillent tous les mouvements des palestiniens. Israël, qui régit cet espace, prive les palestiniens d’accès aux hôpitaux, aux universités et aux ressources primaires que sont l’eau et l’électricité. De nouvelles routes, meilleures et situées plus en altitude, sont créées pour les colons juifs, tandis que les routes situées en amont sont réservées aux palestiniens, ce qui rend leurs déplacements considérablement plus longs. Cette réalité affaiblit la communauté et la divise en provoquant des conflits internes. Pour les juifs c’est donc la politique de la vie, pour les palestiniens - celle de la mort, directe ou indirecte.

Un aspect très intéressant de ce livre, écrit dans un style clair et précis, est qu’il montre bien la souplesse des systèmes en Israël, toujours en vue d’un impératif : Juifs – procréez ! Kahn résume que les technologies de reproduction « …ouvrent des possibilités à la collectivité, car elles créent les conditions nécessaires au recrutement, par l’Etat nataliste, d’un maximum d’utérus pour son projet de citoyens juifs » (p. 193). Il s’agit donc bien de citoyens juifs et non pas israéliens. Il faut se rappeler que 20% des citoyens israéliens sont arabes, victimes de discriminations qui restreignent leurs possibilités de vie. Depuis 1948 aucune ville arabe n’a été établie. La population croissante doit donc construire ses maisons les unes sur les autres, sans autorisation, et éventuellement les voir détruites par la police.

Le cas le plus emblématique de cette situation est celui de Jérusalem-Est où on constate un processus de confiscation de maisons et de négation du statut d’habitant. En outre, un bébé à qui donne naissance une habitante de Jérusalem-Est, mariée à un homme qui n’est pas un habitant de la ville, n’a pas droit automatiquement au traitement médical [4].

Dans le troisième chapitre, l’auteure évoque le caractère contradictoire de l’Etat d’Israël – Juif et démocratique. Elle met en évidence le fait que sa législation est hybride – à la fois religieuse et civile, influencée par les droits de l’homme. Cette contradiction est manifeste dans la loi du retour qui postule que tout juif immigrant en Israël est automatiquement naturalisé, alors que le regroupement familial des citoyens arabes est actuellement interdit. On pourrait dire que l’Etat d’Israël est démocratique pour les juifs mais juif pour les arabes. A la baisse de l’immigration juive en Israël ces dernières années se substitue une politique qui encourage le recours à la PMA d’une part et qui mène un « transfert silencieux » des palestiniens d’autre part. Il s’agit bien plus d’une politique, facilitée par le pragmatisme des rabbins, qu’un phénomène religieux facilité par une politique.

De l’analyse des formes de reproduction qu’on trouve dans ce livre, on apprend que la fabrication des parentés multiples par ces techniques permet à un plus grand nombre de femmes juives d’avoir des enfants, de sorte que la parenté juive, transmise ni par les gènes (insémination artificielle), ni par l’accouchement (mère porteuse), est souvent un acte performatif. Cette performance participe au projet sioniste, projet d’un peuplement de terre « vide » par des juifs « civilisés » au détriment des palestiniens « barbares ». Pour comprendre l’obsession de garder une majorité juive en Israël, il faut (aussi) comprendre les fondements colonialistes du sionisme, conception exprimée par T. Herzel lorsqu’il écrit : « Nous serons une partie du mur qui défend l’Europe de l’Asie. L’avant-garde de la civilisation contre la barbarie ». Ce livre permet de mettre en évidence l’entrelacement entre la politique nataliste israélienne – reposant sur des conceptions religieuse et coloniale spécifiques-, le développement de nouvelles techniques de reproduction et l’injonction toujours très forte à la maternité.

[1] Un centre pour 300,000 habitants

[2] Pour les deux premiers enfants nés

[3] On le trouve surtout chez Sergio de la Fargula et Arnon Sofer

[4] Sur Jérusalem Est, voir : Le Monde Diplomatique, Février 2007

Mouvements - 03.04.09

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