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30/03/2009

Suicide : la vie brisée d'un syndicaliste

Philippe Widdershoven, cinquante-six ans, s’est donné la mort la semaine dernière. Directeur informatique, passé à la CGT, du groupe de porcelaine Deshoulières touché par un plan social, il a laissé une lettre qui met en cause la nouvelle direction.

Chauvigny (Vienne), envoyé spécial.

C’est l’histoire d’un haut cadre devenu cégétiste, d’un type respecté par ses collègues et son ancien patron, d’un père de famille qui a décidé de se donner la mort, mardi 24 mars. Le corps de Philippe Widdershoven, cinquante-six ans, directeur informatique du groupe de porcelaine Deshoulières à Chauvigny (Vienne), a été retrouvé dans l’étang de Morthemer, la petite commune où il habitait. Le même jour, Dominique Multeau, son prédécesseur à la tête du syndicat, a trouvé sur la table du local de la CGT une lettre dans laquelle il met nommément en cause la nouvelle direction de l’usine. Samedi, une centaine de proches et de collègues étaient réunis aux obsèques, à Morthemer. « Beaucoup de personnes licenciées au cours du dernier plan social étaient là, expliquait, les yeux creusés, Nadine Baurier, trente-six ans, dont douze passés à l’émaillage chez Deshoulières. Ce sont eux qui se sont le plus rendu compte de ce que Philippe avait fait pour eux. On est paumés sans lui. »

Un mec de gauche, qui, avant de nous rejoindre, nous filait déjà plein d’infos

Philippe Widdershoven est entré chez Deshoulières en 1979. « La première fois, il m’a dit "appelez-moi Widder", et c’est resté », a raconté Yves Deshoulières, l’ex-patron, écarté en 2002, dans son discours à l’église. Il occupe alors le poste de chronométreur. « Chronométreur ? Ceux qui sont chargés de fliquer les ouvriers. Ils chronomètrent le temps de production pour calculer le prix de revient des différentes pièces, lance Dominique Multeau, un sourire triste aux lèvres, ses yeux bleus parfois embués de larmes. Mais à l’époque, c’était déjà un bon copain, poursuit le syndicaliste. Un mec de gauche, qui, avant de nous rejoindre, nous filait déjà plein d’infos. » Et les infos de « Widder » sont inestimables. Car l’homme, vite promu, accède rapidement au poste de directeur informatique. « C’est simple, c’était celui qui connaissait le mieux l’entreprise, aux niveaux technique et humain », estime Yves Deshoulières.

« Très souvent, Widder arrivait le matin dès 6 h 30. Il s’occupait de tout et de tout le monde », raconte Hélène Querioux, trente-deux ans, responsable emballage-expédition. Dominique Multeau se souvient : « Il a participé au montage de plusieurs sites. Une fois, ils lui ont même doublé son salaire du mois. » Yves Deshoulières poursuit : « C’est lui que j’ai envoyé pour mettre de l’ordre dans la filière de distribution aux États-Unis. » L’employé modèle en somme, qui se forme tout seul, fait tout au moindre coût et ne lâche jamais l’affaire. Son engagement syndical sera du même ordre.

« Un type très compétent, qui a gratté le plus possible pour sauver des têtes pendant le plan social »

En 2004, deux ans après le rachat de « La Poterie » par un oligarque russe, Widder adhère à la CGT, se fait élire dans la foulée. « Et un cadre de ce niveau à la CGT, c’était une première chez Deshoulières ! », estime Dominique Multeau, qui l’a aidé à faire ses armes syndicales. « Il a vu qu’on allait dans le mur, ça l’a révolté et il s’est engagé », raconte Sonia Belouin, trente ans, employée aux « méthodes et sécurité ». Le jour des obsèques, lunettes noires sur le nez, la voix étranglée, la jeune femme évoquait « un type très compétent, qui a gratté le plus possible pour sauver des têtes pendant le plan social. Grâce à lui, le nombre de départs a été réduit de 82 à 75 personnes. » Daniel Rufin, secrétaire CFDT (majoritaire) du CE, parle de son côté d’« un homme très respectable et très respecté, qui, pourtant, ne faisait jamais de bruit ». « Discret », c’est le terme qui revient le plus dans la bouche de ceux qui l’ont connu. Et qui explique pourquoi il est difficile d’en savoir plus sur les circonstances de sa mort. « Philippe était très pessimiste sur l’avenir de la boîte, mais il ne racontait pas grand-chose », déplore Dominique Multeau, qui lâche, dans un souffle : « Je lui en veux pas de pas m’avoir parlé. Mais moi, putain, qu’est ce que je m’en veux de n’avoir pas pu l’aider. »

« Brillant » et « discret », « gentil » et « charismatique » : apparemment, Philippe Widdershoven était tout cela à la fois. Et plus encore : « des dérapages contrôlés sur le parking », « la rédaction d’un journal satyrique, appelé Apilcodoc » ou « un vrai bordel dans son bureau et dans ses poches, pleines de notes écrites sur des petits bouts de papiers ». Mais tout le monde fait état d’une perte qui sera difficile à digérer. « Et vous imaginez au niveau syndical ? soupire Dominique Multeau. Sans lui, la section est décapitée. »

« Nous sommes bouleversés par cet acte absolu, mais aussi révoltés par cette société »

Samedi midi, une cérémonie a donc eu lieu à Morthemer. Juste à côté du village, sur la route de Poitiers, il y a le site Buroform, une entreprise de mobilier de bureau. Dans ce désert syndical, « Widder » a aidé à la création d’une section CGT, il y a quinze jours. Une dernière pierre militante, posée juste avant sa mort. « Nous sommes bouleversés par cet acte absolu, mais aussi révoltés par cette société », a déclaré Francis Guionnet, ancien secrétaire de l’Union locale de Chauvigny.

L'Humanité - 28.03.09

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