Nouvelles données sur les revenus : beaucoup de détails, autant d’interrogations...

L’Insee vient de publier des données détaillées sur les revenus. Un progrès, mais beaucoup reste à faire pour pouvoir débattre sérieusement des inégalités et de la pauvreté. Une analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

L’Insee vient de publier le document le plus détaillé disponible en France sur les revenus : "Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2006 et séries longues, Insee résultat n°92, avril 2009. Cette publication présente de très nombreuses données sur les revenus, les niveaux de vie (après impôts et prestations sociales) et la pauvreté en France. Les revenus du patrimoine sont notamment mieux appréhendés.

Pour autant, les données présentées posent un certain nombre de problèmes importants. Connues avec six mois de retard du fait d’importants changements de méthode, on ne peut donc débattre des revenus qu’avec trois ans de retard : autant dire qu’il est impossible de discuter des effets des politiques publiques récentes. Il est d’ailleurs tout autant impossible d’analyser l’évolution des inégalités et de la pauvreté, car l’Insee a changé deux fois de méthodologie en 10 ans (en 2002 et 2005) et ne présente pas de données rétropolées. D’ici quelques semaines l’institut devrait publier des données pour 1997 uniquement. On ne pourra donc jamais débattre avec précision de l’évolution annuelle des revenus en France... A cela s’ajoute le fait que l’Insee ne publie aucun élément sur les plus hauts revenus en s’arrêtant aux 5 % les plus aisés, alors que pour partie c’est au-delà de ce niveau (les 1 ou 2 % supérieurs) que les revenus progressent le plus.

Par ailleurs, l’étude des données présentées suscite bien des interrogations. Ainsi, pour l’Insee, les revenus des ménages agriculteurs sur petite exploitation sont supérieurs de 14 % (2 500 euros annuels) aux revenus des agriculteurs de grande exploitation... Qui peut sérieusement affirmer que c’est le cas en pratique ? D’une manière plus générale, les revenus des indépendants sont très souvent minorés car ils déduisent des charges que les autres catégories ne peuvent pas déduire.

Autre grande interrogation : l’évolution des revenus des 5 % les plus aisés, qui auraient baissé de 500 € (-1 %) entre 2002 et 2004. Qui peut là aussi croire qu’il s’agit de la réalité ? Certes la bourse a fortement baissé de 2001 à 2003, mais les salaires et les revenus de l’immobilier ont continué à progresser, les baisses d’impôt sur le revenu élevant encore les niveaux de vie des plus riches.

Le débat public sur les revenus en France avance, mais l’on reste bien loin du compte. Cette situation ne suscite pas de débat dans notre pays, tant l’intérêt pour les éléments factuels de ce type est réduit et leur méconnaissance est grande. Seule une poignée d’experts utilisent ces données. Le brouillard n’empêche pas les prises de position.... La grande majorité des commentateurs profite de ce flou en interprétant les chiffres à sa guise, ceux qui disent que les inégalités et la pauvreté diminuent, de même que ceux qui estiment qu’elles explosent. La vérité est entre les deux, mais on ne sait pas où exactement.

Pour en savoir plus, lire notre article "Qui gagne combien ?"

Observatoires des Inégalités - 12.04.09