François Leclerc
La bataille que les Chinois ont engagée contre la suprématie du dollar en tant que principale monnaie de réserve et d’échange commercial ne fait que commencer. En réalité, elle a débuté avant le dernier G20, en Asie, à la suite de la précédente crise des années 1997 et 1998. Tous les commentateurs avisés s’accordent à penser qu’il va s’agir d’une nouvelle longue marche, durant probablement plusieurs décennies. Sans attendre sa conclusion, de premiers pions ont été avancés, une fois réalisé le coup d’éclat initial de la publication de l’article du gouverneur de la banque centrale, qui sera retenu par l’histoire, avec comme objectif, qui a été atteint, de polariser l’attention à la veille de la tenue du G20.
Ce qui est sorti de ce sommet n’était pas à la hauteur du débat que les Chinois souhaitaient engager, ayant pourtant clairement expliqué qu’ils n’étaient pas pressés et que des étapes pouvaient être envisagées, en vue de progressivement établir les DTS dans leur nouveau statut de monnaie de réserve, au détriment du dollar. Le veto absolu des Américains à ce sujet, ainsi que la timidité excessive des européens, ont eu pour conséquence son escamotage, tout du moins dans les propos tenus en public, ainsi que dans les déclarations finales.
Le rôle grandissant du FMI, résultant de l’accroissement de ses ressources a seul été relevé, ainsi que l’adoption d’une date butoir de modification à dose homéopathique des droits de vote en son sein en faveur des pays émergents. Sans remettre en cause son contrôle de fait par les USA. Avec comme hochet la possibilité que le prochain président du FMI soit choisi dans les rangs de ces derniers pays.
Ce qui a été une véritable fin de non-recevoir à leur égard n’a certainement pas surpris les autorités chinoises, engagées dans une partie complexe, à la fois à court et à long terme. Cherchant à combattre la brutale décélération de sa croissance économique, et ses effets sociaux dévastateurs, à relancer en interne la machine, tout en poursuivant des objectifs fondamentaux, le développement de son commerce et de ses échanges extérieurs, la sûreté de ses approvisionnements en matières premières, ainsi que la préservation de ses avoirs en devises étrangères, principalement en dollars.
Que s’est-il passé depuis ? L’interprétation des données relatives aux transactions sur les bons du Trésor américains étant pour le moins complexe, cette question ne sera pas évoquée dans l’immédiat, afin de se concentrer sur d’autres aspects de la situation, non moins décisifs à terme bien que moins brûlants dans l’immédiat.
De multiples accords de swaps de devises ont été annoncés en un très court laps de temps. Ils concernent pour l’essentiel l’Amérique Latine et l’Asie. Tous ont en commun d’écarter l’utilisation du dollar des transactions commerciales bilatérales entre la Chine et un nombre de plus en plus grand de pays. En Amérique Latine, l’Argentine et le Brésil, les deux piliers du Mercosur, se sont engagés dans cette voie. En Asie, il s’agit de l’Indonésie, de la Corée du Sud, de la Malaisie et de Hong Kong (qui a pour monnaie le dollar de Hong Kong). Le Bélarus a également adopté un tel accord de swap de devises. Il s’agit, exprimé en dollars, de montants potentiels atteignant déjà un montant de près d’une centaine de milliards de mise en œuvre de devises.
Ces accords contribuent non seulement à écarter le dollar d’un nombre grandissant de transactions commerciales, prémunissant les pays qui les activent des problèmes de change qui en résultent, mais ils ont également pour conséquence de faire progressivement émerger le yuan comme monnaie de référence des échanges commerciaux internationaux, à un niveau certes encore modeste. Porté par le développement du commerce international chinois, à l’export comme à l’import, qui ne peut que reprendre lorsque la crise actuelle ne sera plus dans son stade aigu actuel, le yuan va petit à petit devenir une sorte de yuan international, ce qui de facto posera à terme la question de sa convertibilité aux autorités chinoises. La voie du grignotage de la position hégémonique du dollar est désormais toute tracée. L’euro n’y contribue plus seul.
D’autres accords ont déjà été signés par les Chinois, adaptés à l’économie de pays détenteurs de matières premières. C’est le cas avec l’Equateur, membre de l’OPEP et producteur de pétrole, qui vient de signer un accord lui permettant de bénéficier d’un financement d’un milliard de dollars, qu’il va progressivement rembourser avec des livraisons de pétrole à la Chine.
Les autorités chinoises, enfin, ont crée un fonds d’investissement et de coopération, doté de dix milliards de dollars, destiné à développer avec les pays de l’ASEAN des infrastructures favorisant les échanges entre ceux-ci et la Chine, tandis qu’ils ont alloué une somme de quinze milliards de dollars, afin de consentir aux mêmes pays des prêts à 3 ou 5 ans, offrant à ces derniers, qui gardent un souvenir cuisant du FMI, une alternative financière.
Mais ce panorama serait tout à fait incomplet, s’il n’était pas fait mention d’un autre phénomène majeur touchant aux échanges commerciaux. En Amérique Latine, l’ALADI, qui regroupe 12 Etats membres du sous-continent, a été fondée en 1980 afin de développer les échanges commerciaux entre ceux-ci et d’engager la mise en place progressive d’une zone de libre-échange. L’Argentine ayant passé en 2008 un accord avec le Brésil en vue de se passer du dollar dans ses échanges commerciaux (dont il va falloir examiner de près la réalisation), il est question que cette procédure soit étendue, question qui sera mise à l’étude lors de la prochaine réunion, en mai ou juin prochain, de l’ALADI.
Beaucoup plus avancé en Asie, le projet d’un FMI régional pourrait prendre corps assez rapidement. Il s’appuierait sur l’initiative de Chiang Mai (une ville de Thaïlande), la création en 2000, aux lendemains de la crise asiatique de 1997-1998, d’un réseau d’accords multilatéraux de swaps de devises, qui avait pour vocation la création d’une zone de libre-échange asiatique. La décision en avait été prise par ce que l’on appelle l’ASEAN+ 3, le regroupement avec les Etats membres d’Asie du Sud-Est de l’association de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud.
A l’époque, l’initiative de Chiang Mai a été barrée par les Etats-Unis et n’a pas connu beaucoup de concrétisation, la Chine ayant eu à son égard une attitude ambiguë, notamment en raison de ses rapports avec le Japon. Aujourd’hui, la réactivation de ce qui pourrait devenir un FMI asiatique est envisagée. Sans que tous les contours de cet organisme n’aient encore été discutés, il aurait été déjà décidé de le doter ultérieurement d’un budget de 120 milliards de dollars.
La question est bien entendu de savoir à quel rythme ce projet pourrait avancer, ainsi que l’attitude que les Etats-Unis pourraient adopter à son égard. Certains experts prédisent un assouplissement de leur politique, considérant que les Américains pourraient voir d’un bon œil l’apparition d’un pôle financier venant renforcer l’action du FMI. Si c’était le cas, cela permettrait aux pays principaux pays membres de ce pôle, à commencer par la Chine (qui serait avec le Japon le principal pourvoyeur de fonds), d’obtenir en son sein un pouvoir que les Américains se refusent à lui accorder au sein du FMI.
Tous ces accords avancent à leur rythme, mais la machine est en marche et le dollar est nécessairement sur la défensive.
Blog de Paul Jorion - 14.04.09
À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.
14/04/2009
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