Ils s’étaient donné rendez-vous de bonne heure, avaient tendu quelques bâches sous lesquelles s’abriter et une banderole proclamant «Sony nous a tués». Puis ils sont partis en cortège, chacun portant une croix sur l’épaule avec son nom, sa date d’entrée dans l’entreprise, et celle de cette vilaine journée durant laquelle ils porteront le deuil d’une époque enterrée. «Vingt ans, c’est une moitié de vie», murmure une ancienne employée de l’administration en s’essuyant les yeux. «Je suis très triste, et amer aussi», confie le maire socialiste qui est venu se joindre à la marche. Il voit les 311 emplois perdus. Il voit aussi le départ d’une entreprise qui avait accompagné tout le développement économique du village.
En 1983, lorsque Sony inaugure l’usine, Pontonx est un gros bourg rural de 1600 âmes en bordure de forêt. La commune a été choisie pour l’assemblage de cassettes vidéo VHS, puis plus tard, dans les années 1990, pour la fabrication des bandes. L’essor du site favorise l’arrivée de nouvelles populations. 2500 habitants vivent désormais sur place. La municipalité a créé une crèche, une médiathèque, un cinéma, un centre de loisirs. Mais l’aire du DVD signe le début des ennuis. Au tournant des années 2000, l’activité s’étiole. Un plan de cession est envisagé l’an dernier, puis finalement abandonné à l’automne, et c’est la fermeture qui est annoncée.
Ce qui fait mal aux salariés, c’est de voir que dans le même temps, l’industriel a investi en Slovaquie pour des télés à écran plat, un marché d’avenir, dans un pays à bas coût. «Notre situation est encore plus inadmissible quand on sait que l’entreprise fait des bénéfices», insiste Viviane, du contrôle qualité. D’autant que ceux de Pontonx ont par contre dû se battre pied à pied pour le moindre sou du plan social. Le 12 mars dernier, l’exaspération gagne. Ils inaugurent le bal, et retiennent leur PDG durant une nuit. «Une séquestration ? C’est un grand mot, nuance une salariée au sourire fatigué. Disons qu’on l’a invité à réfléchir un peu plus intensément à nos demandes». Depuis, un peu partout en France, la méthode a essaimé. «Il faut comprendre, dit-elle. Les gens sont tellement désespérés que c’est peut-être la seule façon de se faire entendre».
«C’est pas la rétention qui fait tache d’huile, mais la façon de faire des patrons, estime Jean Cazaux, du comité de soutien. Tout le monde parle de dialogue social, mais personne ne joue le jeu. Les véritables décideurs, ceux qui ont le fric, ils ne sont pas en face des salariés. On ne nous envoie que des directeurs qui ont des ordres et aucune marge de manœuvre, alors que pendant ce temps les autres profitent de la crise pour restructurer et partir vers des activités plus rentables».
Au café du village, les anciens regardent passer la manifestation en égrainant les prénoms. Plus tard, les croix sont plantées au pied des grilles, et chacun vient jeter sa tenue de travail dans le grand feu. «On n’a pas beaucoup d’espoir, reconnaît une jeune licenciée. Il faudrait, pour retrouver du travail. Mais en étant réaliste on se dit que ça va être difficile». Deux repreneurs sont pourtant toujours en lice, mais personne ne semble beaucoup y croire. Elle dit qu’elle veut rester dans le coin, mais que l’entreprise de son mari ne va pas bien non plus. Elle a deux enfants. Et elle dit que «ça fait peur».
Libération - 18.04.09
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