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18/04/2009

Debout les patrons de PME damnés de la terre !

Lors du débat récent sur la rémunération des grands patrons, le MEDEF avec l’aide des derniers propagandistes libéraux invoquait la figure de l’entrepreneur pour défendre le principe de totale liberté des rémunérations et de non ingérence de l’Etat dans la vie des entreprises. Cet amalgame entre les patrons-propriétaires de PME et les cadres dirigeants des multinationales n’a pas choqué grand monde, à commencer par la CGPME.

Pourtant, comme le signalait Philippe Trouvé dans une tribune parue dans le Monde le 7 avril dernier, les deux patronats forment deux groupes sociologiques distincts. Les premiers sont des patrons «réels», «de terrain», les seconds ne sont que des «gestionnaires» ou des «technocrates».

Le débat a été lancé sur le terrain économique par Frédéric Lordon dans un article déjà ancien « le paradoxe de la part salariale » dans lequel il émettait l’hypothèse d’une exploitation du petit capital par le grand, thèse qu’un autre économiste-blogueur, Jean Peyrevade a récemment réfuté au motif que le capital ne peut se retrouver dans une telle situation de domination.

La question n’est pas sans enjeux concret. S’il apparaissait effectivement que le patronat des PME et celui des dirigeants managériaux des grands groupes formaient deux groupes sociaux distincts, vivant dans des univers différents et animés par des intérêts divergents, une fracture de type « lutte des classes » pourrait bien apparaître, ce qui pourrait favoriser un vrai renversement de logique.

Les thèses en présence :
Frédéric Lordon cherche une explication à la stagnation du rapport entre la part des salaires et des profits dans le partage de la valeur ajoutée depuis le début des années 90, alors que depuis cette date les salaires ont été à la fois exposés à la concurrence des pays émergents et à la pression du capitalisme actionnarial dans une mondialisation qui tourne désormais à plein régime.
L’explication pour Lordon est à rechercher dans le jeu des relations client-fournisseur.
Pour n’être pas aussi directement soumis que leurs donneurs d’ordre à l’impératif de rentabilité des capitaux propres, les sous-traitants non cotés n’en sont pas moins sommés d’apporter leur contribution aux objectifs actionnariaux de leurs commanditaires. Aussi sont-ils harcelés pour extraire toujours davantage de valeur, sans la moindre chance de la conserver pour eux, mais avec l’obligation de la passer à leur donneur d’ordre, qui, lui-même fournisseur d’un client plus haut que lui, la fera passer à son tour en y ajoutant ses propres gains de productivité, et ainsi de suite jusqu’au sommet de la chaîne de sous-traitance, là où s’établit le contact direct avec le pouvoir actionnarial, à qui la somme agrégée des contributions ainsi « remontées » est finalement remise.
Ainsi, la pression actionnariale se diffuse dans tout le tissu productif, comprimant l’ensemble des salaires mais aussi mettant à contribution le niveau de profit du capital dans les étages intermédiaires, les PME et notamment les entreprises sous-traitantes. Selon ce modèle explicatif, si le partage de la valeur a été grandissant en faveur du profit dans les entreprises cotées, le mouvement se serait opéré en sens inverse dans les PME, les entreprises ayant été contraintes de prendre sur leurs marges pour satisfaire aux exigences de réduction des coûts des donneurs d’ordre.
Ce schéma ne convainc pas du tout Jean Peyrelevade. Dans sa réponse, il indique en préambule que, les éléments statistiques n’existant pas, nous sommes réduits aux conjectures sans rien pouvoir démontrer ou infirmer avec certitude. La théorie de Lordon lui semble «peu plausible» car :
Si le “taux de profit brut” est supérieur dans le grand capital et stable sur l’ensemble, il est forcément inférieur dans le “petit capital”. En bref, la part salariale de la valeur ajoutée devrait avoir augmenté au sein des sociétés non cotées ! Nous passons d’un paradoxe à l’autre : le “grand capital” exploiterait le “petit capital” plus durement que les salariés du même “petit capital”. Par quel miracle ? L’histoire ne le dit pas.
En revanche, il en propose une autre théorie :
Dans l’ensemble des pays développés, la part de l’excédent brut d’exploitation dans la valeur ajoutée a sensiblement augmenté depuis une quinzaine d’années, au détriment de la part salariale. Partout, ou presque partout. Sauf en France, où elle est restée stable.
Aussi, les montagnes de dividendes des sociétés cotées proviendraient exclusivement de leur développement à l’international. En aucun cas d’un surcroît d’exploitation du travail ou du petit capital français. L’explication est bien pratique et devrait ravir les représentants du MEDEF car elle revient à dire « Pas touche à mes profits. Ils sont faits à l’étranger pour mes actionnaires étrangers. Ils ne nuisent à personne. C’est tout bénef pour le pays .


N’ayant pas bien compris par quel argument Peyrelevade a pu aussi facilement écarter la théorie Lordon, je suis revenu à la charge dans les commentaires, ce qui a permis à Peyrelevade de livrer enfin le fond de sa pensée :
Il est plausible que le “grand capital” cherche à augmenter son taux de profit en pesant sur ses propres salariés et sur ses sous-traitants. Il est peu plausible que le “petit capital”, pressuré par le grand, accepte une diminution de son taux de profit sans chercher d’abord à faire supporter le sacrifice par ses propres salariés. Le déplacement du partage de la valeur ajoutée au profit des salaires au sein des PME est donc, à mes yeux peu, plausible.
Une fracture sociale au sein du patronat ?
Peyrelevade, un homme qui a toujours évolué dans l’univers du capital, pense que le taux de profit est une exigence intangible non susceptible de restriction, et que l’on peut pressurer sans limite le travail pour délivrer la rentabilité voulue. Lordon, lui, semble supposer que le grand et le petit capital ne vivent pas dans le même monde. Le petit, au contraire du grand, doit composer avec les limites de l’économie réelles : Lorsque les salaires sont déjà au plus bas et que tous l’essentiel des gains de productivité ont déjà été réalisés, il faut, si nécessaire, prendre sur le taux de marge pour servir les prix demandés par les donneurs d’ordres.

Puisque les statistiques ne permettent manifestement pas de conclure définitivement ce débat passionnant, appelons-en donc à l’expérience de nos lecteurs. Après tout, peut-être certains patrons ou cadres de PME pressurés par les exigences du capitalisme actionnarial ont-ils le loisir de consulter les blogs ! La question est d’importance car elle fait apparaître l’hypothèse d’une divergence d’intérêts entre les petits patrons et les dirigeants des grands groupes.

Si la thèse de Lordon était confirmée par les faits, l’ennemi pour les petits patrons ne serait plus (seulement) l’Etat qui les écrase de taxe et les étouffe par trop de règlementations, mais les règles du jeu imposées par les conseils d’administration des grandes firmes qui s’avèrent impraticables et qui les pressurent comme de la petite main d’œuvre.

C’en serait alors finit des beaux discours du MEDEF qui prétendent représenter l’ensemble du patronat, de l’artisan à la multinationale, tous réunis dans la figure mythique de l’entrepreneur. Les revendications du MEDEF pour toujours plus de liberté pour les entreprises, pour un monde toujours plus ouvert et concurrentiel, pour légitimer les profits et les rémunérations sans limites, apparaîtraient alors, non plus comme l’expression de l’intérêt des entreprises en général, mais comme l’expression de simples intérêts de classe des grands gagnants du système, ceux qui se trouvent à la jonction entre les sphères productives et financières.

Si les patrons de PME arrivaient à penser que leur intérêt se situe moins dans l’approfondissement infini du libéralisme et de la mondialisation, mais dans une concurrence mieux régulée et une pression actionnariale moins contraignante, le rapport de force pourrait sérieusement être modifié et la capitalisme aurait quelque chances d’être réellement «refondé». Le débat quitterait le terrain idéologique et l’opposition liberté-interventionnisme pour se déplacer sur le terrain strictement économique autour de nouvelles questions comme : Qui profite réellement du système actuel ? Comment assurer le développement des vraies entreprises ? Comment mieux rémunérer les vrais entrepreneurs ?

Marianne2 - 18 Avril 2009

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