À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

04/05/2010

Désintox : les Grecs et la retraite à 53 ans

L’information telle qu’elle a été relayée par les médias :

Depuis quelques jours, de nombreux commentaires hostiles à la Grèce fleurissent sur les blogs et dans les commentaires d’articles de presse en ligne. La cause ? Plusieurs articles de journaux et émissions de radio ont appris aux Français que les Grecs partaient à la retraite... à 53 ans ! Cette affirmation a suscité une vague de colère : pas étonnant qu’ils soient dans une situation de faillite, ces fainéants, puisqu’ils partent en retraite sept ans avant nous !

La source de cette information : une dépêche, reprise en choeur par la quasi-totalité des journaux, indiquant que dans une interview accordée au Financial Times le ministre grec des affaires sociales avait déclaré que l’âge moyen de la retraite en Grèce allait passer de 53 ans à 67 ans. Voici quelques extraits prouvant qu’une majorité de journalistes s’est contentée de recopier cette dépêche, parfois à la virgule près, induisant ainsi en erreur une bonne partie de leurs lecteurs :

« Le ministre des affaires sociales, Andreas Loverdo, a également évoqué une réforme des retraites dans un entretien au Financial Times. (...) L’âge moyen de la retraite passerait alors de 53 ans à 67 ans » (Le Monde.fr).

« Le ministre des affaires sociales, Andreas Loverdo, a quant à lui évoqué une réforme des retraites dans un entretien au Financial Times. (...) L’âge moyen de la retraite passerait de 53 ans à 67 ans » (Le Monde.fr).

« Le ministre des Affaires sociales, Andreas Loverdos, a évoqué en outre une réforme radicale des retraites. Dans un entretien au Financial Times, il indique que l’âge moyen de la retraite passerait de 53 ans à 67 ans » (Les Echos.fr).

« Le ministre des Affaires sociales, Andreas Loverdos, a évoqué en outre une réforme radicale des retraites. Dans un entretien au Financial Times, il indique que l’âge moyen de la retraite passerait de 53 ans à 67 ans » (L’Express.fr).

« Le gouvernement aurait accepté (...) d’augmenter l’âge moyen de la retraite de 53 à 67 ans » (Le Figaro.fr).

« Les autres mesures de ce plan de 24 milliards d’euros comprennent un relèvement de l’âge moyen de la retraite qui passerait de 53 ans à 67 ans, indique le FT » (Reuters France). [N.B. : FT= Financial Times]

Selon Daniel Scheidermann, qui évoquait la dépêche Reuters dans l’émission Arrêt sur images du 30 avril 2010, consacrée à la Grèce et aux retraites, cette information a été répétée telle quelle « sur toutes les radios françaises ».

Pour montrer l’effet produit par cette annonce, c’est-à-dire ce que la plupart des Français moyens ont compris après avoir lu ou entendu cette information, il m’a semblé intéressant de reproduire quelques extraits d’un article de Moneyweek.fr, site sur lequel « L’actualité économique, financière et boursière » est « commentée et décryptée par des spécialistes » :

« Imaginez un instant. Vous êtes un fonctionnaire grec, de 52 ans, (...) vous allumez la radio (...). D’une voix monocorde, le présentateur vous annonce que le gouvernement, sous la pression conjuguée du FMI et de l’Allemagne, vient de faire passer l’âge légal de la retraite de 53 ans à 67 ans… Vous qui pensiez prendre une retraite – bien méritée – dans quelques mois, vous voilà reparti pour 14 années de travail ».

Bref, les Grecs, qui pouvaient bénéficier d’une retraite à taux plein dès 53 ans, vont devoir renoncer à leur avantage scandaleux, et travailler beaucoup plus longtemps, comme partout ailleurs en Europe. Ce discours, qui résulte d’un recopiage bête et méchant par les journalistes de la dépêche évoquée plus haut, se propage aussitôt comme une trainée de poudre sur la toile et dans tous les bistrots, accompagné des éternels clichés sur la paresse des Méditerranéens (clichés qui entre parenthèses ont beaucoup de succès en ce moment outre-Rhin).

Ce qu’il en est véritablement des retraites en Grèce :

Selon la déclaration du ministre grec Andreas Loverdos, les réformes qui vont être menées dans son pays vont permettre de faire passer l’âge moyen du départ à la retraite de 53 à 67 ans.

Mais si l’on consulte les chiffres européens concernant l’âge légal du départ à la retraite, par exemple sur le site de l’Observatoire des Retraites, on peut constater qu’il est en Grèce de 60 ans pour les femmes, de 65 ans pour les hommes (soit cinq ans de plus qu’en France pour ces derniers). L’âge moyen de sortie du marché du travail, en 2005, était quant à lui de 61 ans pour les femmes et de 62,5 ans pour les hommes en Grèce. Si l’on s’amuse à comparer avec les chiffres qui concernent les Français (si prompts à donner des leçons aux Grecs), leur âge moyen de sortie du marché du travail est de 59,1 ans pour les femmes et 58,5 ans pour les hommes (source : Eurostat, 2005). Par conséquent, selon les chiffres de 2005, les femmes travaillent en moyenne deux ans de plus en Grèce qu’en France, quatre ans de plus pour les hommes.

Mais alors... à quoi correspond l’âge de 53 ans donné par le ministre grec ?

L’âge de sortie du marché du travail aurait-il chuté de près de huit ans entre 2005 et 2010 ? Si c’est le cas cela signifie que la situation est désastreuse, que de nombreux licenciements ont frappés les Grecs au cours de cette période, et qu’ils sont une majorité à toucher des pensions misérables, étant sortis du monde du travail sept ans avant l’âge légal de la retraite pour les femmes, dix ans avant pour les hommes. J’ose espérer que cette version des faits n’est pas la bonne ! N’étant ni journaliste ni expert (ce qui paraît ne pas forcément aller de paire) je ne suis pas en mesure d’en vérifier la pertinence.

S’agit-il d’une bête faute de frappe ? Le ministre évoquait-il l’âge de 63 ans de façon a faire une moyenne entre l’âge légal pour les femmes (60 ans) et celui pour les hommes (65 ans) ? C’est très plausible, mais alors pourquoi est-ce qu’aucune dépêche n’a rectifié le tir ? Daniel Schneidermann, dans l’émission évoquée plus haut, déclarait à juste titre : « Si ce chiffre est faux c’est vertigineux sur l’ignorance de tous les agents de la chaîne de l’information ». Et Jean-Luc Mélenchon de rajouter : « (...) on a déjà vu des pontifes de cette sorte, notamment anglo-saxons, raconter n’importe quoi et la presse française béante d’admiration n’allant vérifier rien du tout ».

La rédaction d’Arrêt sur images a tenté de vérifier l’information donnée par les médias... sans parvenir à comprendre à quoi correspondait cet âge de 53 ans. Elle relève toutefois qu’en février 2010, d’après une dépêche Reuters, « le ministre grec du Travail » envisageait de « porter l’âge de départ à la retraite de 61 à 63 ans à l’horizon 2015 », avant d’en conclure qu’il est « difficile d’y comprendre quelque chose, et étonnant qu’aucun des médias en ligne ou des radios tambourinant cette nouvelle ne se soit arrêté un instant pour réfléchir à la signification des chiffres annoncés ».

N’ayant moi non plus trouvé aucune signification à cet âge de 53 ans, il me semble qu’une dernière solution doit être envisagée, à savoir la possibilité qu’il s’agisse d’un effet d’annonce destiné à rassurer les marchés. Le ministre grec n’avait de toute façon que très peu de chances de voir sa bourde relevée dans les médias, comme en témoigne le fait qu’une seule personne (du moins à ma connaissance) ne l’a fait jusqu’à présent : Daniel Schneidermann. Il est d’ailleurs revenu sur cette affaire dans un article, s’étonnant du fait qu’une telle information ait pu être martelée « sans que personne ne s’interroge ».

Une chose est sûre c’est que si le gouvernement grec peut décider de reculer l’âge légal de la retraite de 60-65 à 67 ans, il n’est absolument pas en mesure de garantir du travail aux Grecs jusqu’à de tels âges. Comme on l’envisage aujourd’hui en France, il est donc question de faire des économies sur le dos des Grecs les moins favorisés, ces derniers étant amenés à quitter le monde du travail bien avant d’avoir pu cotiser suffisamment pour être en mesure de toucher une pension décente...

Cette affaire donne sérieusement à réfléchir sur la nature du travail accompli par les journalistes... Est-il normal qu’ils soient si nombreux à véhiculer de telles informations sans les vérifier, sans même chercher à les comprendre ? Suffit-il de recopier et répéter des informations données par des agences de presse pour faire du journalisme ? La tâche d’un journaliste n’est-elle pas d’exercer un regard critique sur ces dernières et de les expliquer aux citoyens si nécessaire ?

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