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07/05/2010

Roms: l'intégration manquée

Marie Kostrz

Quatre ans après son arrivée dans le Pas-de-Calais, la communauté rom de Wimille a été expulsée ce mercredi 5 mai vers la Roumanie. Nous l'avons rencontrée.

Ce reportage a été réalisé début mai, avant l'expulsion du camp de Roms de Wimille.

C'est ce qu'on appelle un délaissé d'autoroute: une large bande de terre coincée entre un rond-point et une voie rapide. Sans cesse, des voitures surgissent à ses abords et s'engagent sur l'autoroute A16, en direction de Calais. Dissimulés derrière une rangée d'arbres, plusieurs dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants vivent sur ce terrain appartenant à l'Etat. Sans eau courante, sans électricité, sans tout-à-l'égout. A l'entrée du camp, une nuée d'enfants piaillent et jouent ensemble. Certains ont des chaussures, d'autres sont pieds-nus. Un mince filet d'eau sale ruisselle quelques mètres plus loin. Des bouteilles en plastique coupées en deux flottent à la surface."C'est ici que nous puisons l'eau pour la vaisselle et la toilette", indique Adrian, âgé d'une vingtaine d'années. Bienvenue dans la communauté rom de Wimille.


Ce groupe d'une cinquantaine de personnes d'origine roumaine n'est cependant plus dans le Pas-de-Calais pour longtemps. Ce 5 mai, les dernières familles doivent embarquer dans un avion, direction la Roumanie.

Le 29 mars dernier, la police des airs et des frontières (PAF) a encerclé le camp à 3h30 du matin. "Vers 6 h, les policiers ont frappé très fort contre les parois de nos caravanes. Puis, ils ont emmené tous les hommes", précise Adrian. Quinze heures de garde-à-vue plus tard, tous sont relâchés, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) en poche, leurs papiers d'identité confisqués. Le lendemain, les femmes du camp sont interpellées à leur tour. Verdict: les Roms ont un mois pour quitter la France. Ce délai expiré, ils pourront être transférés au centre de rétention administratif (CRA) de Coquelles, près de Calais, situé à quelques kilomètres du camp.

Les associations, un soutien salvateur

A la veille de l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne, en janvier 2007, cinq familles roms avaient décidé de profiter de leur toute nouvelle liberté de circulation dans l'espace communautaire. En décembre 2006, elles délaissent Barbulesti, leur village, ravagé cette année-là par de spectaculaires inondations. Après un détour par Mulhouse, elles rejoignent les terres humides du Pas-de-Calais."On croyait qu'il n'y aurait pas de racisme ici", justifie Adrian. "En Roumanie, nous les Roms n'avons aucun droit."

Un hiver passé sous des tentes Quechua et cinq expulsions plus tard, la communauté de Roms est finalement parachutée en 2008 sur le délaissé d'autoroute. Hervé Malherbes, ancien sous-préfet, leur donne en effet l'autorisation d'y installer leurs caravanes, achetées par des associations. Elles seront même affrétées par camion sur le nouveau terrain.

"Quel gâchis", lâche Jeadette Vaillant, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) de Boulogne-sur-mer, en songeant à l'expulsion. Depuis le printemps 2007, l'organisation se bat pour que les droits des Roms soient davantage respectés. Progressivement, certains habitants se mobilisent pour aider les nouveaux arrivants. En 2008, l'association Agir avec les Roms est créée. "Nous voulions les informer sur leurs droits et les soutenir sur le plan humanitaire", explique Job Selleret, l'un de ses fondateurs. Un collectif réunit également diverses associations venant en aide aux Roms de Wimille, parmi lesquelles la Fondation Abbé Pierre.

Une intégration scolaire réduite à néant

Alina, inscrite en CP, montre fièrement son cartable Titeuf, rempli de livres et de cahiers. La fillette est inscrite depuis 2008 à l'école de Wimille, comme quatorze autres enfants du camp. Deux ans après son arrivée en France, elle n'était toujours pas scolarisée. Grâce aux associations, les enfants ont finalement pu rejoindre les bancs de l'école. "Au départ, le maire de la ville s'y opposait", précise Jeadette Vaillant. "Nous avons écrit à la Défenseure des enfants, qui a envoyé une lettre au maire. L'école les a finalement accueillis, car elle n'avait pas le choix." La France est en effet signataire de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, dont l'article 28 stipule le droit à l'éducation.

Abel, âgé de huit ans, est lui aussi très content d'aller à l'école. "J'apprends toutes sortes de choses, je fais des mathématiques, je joue avec mes copains", décrit-il, enjoué. "C'est important, car plus tard je veux avoir un métier." Mais son expulsion de France remet sérieusement en cause ses perspectives d'avenir. "Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à aller à l'école", ajoute-t-il.

La LDH et Agir pour les Roms sont dépités. Depuis deux ans, ils ont soutenu la scolarisation des quinze enfants. En 2008, l'abbé Boutoille, célèbre pour son soutien aux clandestins de Calais, leur avait prêté une salle de sa paroisse. Pendant six mois, des volontaires ont pré-scolarisé les enfants. "Nous leur avons appris à bien se tenir en classe, à rester sages, car la plupart d'entre eux n'étaient jamais allés à l'école", résume Jeadette Vaillant. Aujourd'hui, les enfants sont intégrés, parlent le français couramment.

Les parents aussi ont compris que l'école était vecteur d'intégration: "Sans éducation, il ne pourront jamais avoir de métier", affirme Marcos, un homme du camp. Eric Rouhier, sous-préfet à l'origine de l'expulsion, n'est pas du même avis. Le 24 avril dernier, il déclarait à La Voix du Nord: "Je ne pense pas que ces gens ont une volonté très forte d'intégration, contrairement à ce que disent les associations." Contacté, il n'a pas souhaité s'exprimer davantage.

Pour Marie-Hélène Calonne, avocate au barreau de Boulogne-sur-Mer et engagée aux côtés des Roms, le problème est toujours le même. En tant que citoyens européens, les Roms ont les mêmes droits que tout autre ressortissant. "La différence, c'est qu'il faut toujours se battre pour faire respecter ces droits. Un maire refuserait-il à un enfant belge d'aller à l'école?"

Le collectif Romeurope, qui défend les droits des Roms en France, dénombre environ 5000 enfants non scolarisés dans le pays.

La mendicité, seule source de revenus

Mais jusqu'à présent, les Roms n'ont pas accès à toutes les catégories d'emploi. Certains hommes du camp ont bien trouvé un employeur prêt à les embaucher. "J'ai essayé, mais je n'ai jamais pu obtenir de permis de travail", se souvient l'un d'entre eux.

Seule source de revenus des Roms: la mendicité. Ils ne reçoivent aucune aide financière de l'Etat, ni des collectivités locales, hormis une participation ponctuelle du Conseil général pour la cantine des enfants. Cette activité n'est évidemment pas du goût de tous. En 2007, le maire PS de Boulogne-sur-Mer, Frédéric Cuvillier, a pris un arrêt anti-mendicité. "Nous avons fait appel. Le tribunal de Lille et le conseil d'Etat ont tous deux rejeté cet arrêté", se rappelle Marie-Hélène Calonne, avocate.

Le maire est exaspéré par la situation: "Non, il n'y a aucune volonté d'intégration des Roms. Jamais je n'aiderai une population qui exploite les femmes et les enfants en les poussant à mendier!" Pour Yonel, père de 5 enfants, la situation n'est pas si simple: "Cela ne nous fait pas plaisir de mendier, mais si nous voulons nourrir les enfants, nous n'avons pas le choix!"

Les OQTF ou comment détériorer les conditions de vie des Roms.. et les pousser à partir

En face du camp, près des poubelles, deux toilettes ont été installées par les associations. Quand les Roms abordent leurs conditions de vie, le ton monte. "Nous vivons comme des chiens, la ville ne nous aide pas. Heureusement que les associations sont là!" s'exclame un homme plus âgé. "Jamais l'eau courante ni l'électricité n'ont été installées."

Depuis l'arrêté d'expulsion, les conditions de vie se sont largement dégradées dans le camp. "Chaque jour, la police vient nous voir. Elle nous demande quand nous partirons, et nous menace d'aller en prison", témoigne Marios. "Nous n'osons plus aller en ville pour mendier, nous avons peur d'être emprisonnés".
Sans aucune ressource, la communauté dépend exclusivement de l'aide alimentaire apportée par les associations. "Quand nous mendions, nous pouvons manger trois fois par jour. En ce moment, on ne mange que deux fois", soupire Yonel.

Sur le camp trônent une dizaine de vieilles caravanes délabrées. Sans revêtement ni ossature métallique, elles ressemblent davantage à des maisons en carton, prêtes à s'envoler à la première bourrasque de vent. "Nous avons vendu le métal des caravanes pour acheter à manger", justifie Adrian.
Harcèlement policier, faim, insalubrité: la recette est parfaite pour faire déguerpir la petite communauté. "Certaines familles sont déjà parties. Nous rentrons en Roumanie, se désole Yonel. Nous ne pouvons plus rester ici."

Une "catastrophe humanitaire"

Il est bientôt 18h sur le camp. Une voiture se gare à proximité des caravanes, un groupe se forme aussitôt autour du véhicule. Régine Balu, médecin, en sort, accompagnée d'un confrère. Depuis trois ans, cette gériatre retraitée se rend tous les mercredis sur le terrain de Wimille, afin de soigner les Roms. Au total, trois autres médecins et une infirmière les assistent. Ils interviennent avec la Fondation Abbé Pierre, qui fournit les médicaments distribués aux malades.

Pour décrire la situation sanitaire du camp, Régine Balu ne mâche pas ses mots: "C'est une catastrophe humanitaire." La médecin liste quelques-uns des problèmes rencontrés: état dentaire catastrophique, problèmes digestifs, parasitoses à répétition, morsures de rat. "Beaucoup de bébés ont appris à marcher dans la boue, tient-elle à préciser. Ils vivent dans des conditions épouvantables."

Comme à Calais pour les clandestins, un forfait "soins urgents" a été mis en place à l'hôpital de Boulogne, où les Roms peuvent être suivis gratuitement.

Chloé Faouzi, coordinatrice de Romeurope, assure que le camp de Wimille est représentatif des conditions de vies de la majorité des Roms installés en France. Selon elle, la paupérisation de cette population s'accroît.

Les magasins vont bientôt tirer leurs rideaux. Yonel s'engouffre dans la voiture de Jeadette Vaillant. Tous deux vont aller acheter des packs d'eau au supermarché. L'homme est morose. Dans quelques jours, il sera de retour en Roumanie. "C'est sûr, nous reviendrons, nous n'avons plus rien là-bas." Si les Roms préfèrent la France à leur pays d'origine, ils ont à présent un avis plus modéré sur l'Hexagone qu'à leur arrivée: "Liberté, égalité, fraternité, récite-t-il. Pour les autres oui, mais pas pour nous."

Photos: Marie Kostrz

http://www.youphil.com/fr/article/01963-roms-l-integration-manquee?ypcli=ano

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