Françoise Guillemaut, docteur en sociologie (Université Toulouse Le Mirail), est l'une des fondatrices de l'association Cabiria, association de santé communautaire pour les personnes prostituées. Elle nous a autorisé la publication de quelques articles concernant ses recherches autour des femmes, des migrations et du travail du sexe.
Voivi un premier article présenté à:
«Mobilités au féminin» Journées de rencontres internationales, Tanger, 16 - 19 novembre 2005,
Laboratoire Méditerranéen de Sociologie (Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme, Aix-en-Provence, France)
Résumé
Cet article propose de rendre compte d'une recherche sur les femmes migrantes, le trafic et la prostitution. Elle a été menée dans un cadre Européen (Daphné, violences contre les femmes) de 2002 à 2004, avec l'Autriche, l'Espagne, l'Italie et la France. Elle fait suite à d'autres travaux sur le même thème, initiés en 1999. L'idée centrale est d'étudier les phénomènes (la mobilité, la prostitution, le trafic d'êtres humains) du point de vue de l'expérience des femmes, à partir de l'observation du terrain, mis en perspective avec les politiques publiques Européennes sur ces sujets. Les questions centrales sont:
- Qui sont les femmes concernées? origine géographique, sociale et expérience migratoires.
- Quels sont les contenus, explicites et implicites des politiques publiques?
- Quelles sont les conséquences de ces politiques pour les personnes concernées?
- Quelles sont les stratégies des femmes migrantes dans ce contexte?
Enfin nous ouvrirons la discussion sur l'hypothèse que les migrations et travail du sexe peuvent être vus comme des formes de micro-résistances, qui, par leurs poids numériques, leurs durées et leurs répétitions, devrait nous interroger. Car, paradoxalement, dans la réalité vécue par ces femmes, cette migration leur permet de développer de l'expérience, des compétences, de l'autonomie et du pouvoir personnels.
Introduction
Vers la fin des années 90, la présence des personnes étrangères sur les trottoirs des villes alerte les médias, l'opinion publique et les décideurs politiques. Le phénomène est perceptible dans toute l'Europe où la proportion des femmes étrangères dans la prostitution double, passant de 30 % environ à 60-70 % selon les villes. La question du trafic devient alors centrale.
Des estimations de "l'US Department of States" de juin 2003 (1) estimait entre 800 000 et 900 000 le nombre de personnes victimes de trafic dans le monde. Plus près de nous, l'UNICEF, l'UNOHCHR, l'OSCE et l'ODIHR (2002), estimait que 100 000 femmes Albanaises entre 15 et 35 ans auraient été trafiquées vers l'Europe de l'Ouest ou d'autres pays des Balkans, entre 1990 et 2000. Pour la même période, le Ministère de l'Intérieur Albanais estime leur nombre à 5 200 (2), alors qu'un rapport Ministériel donne le chiffre de 8 000 entre 92 et 98 (3). Loin de ces données fantaisistes, et bien qu'un comptage soit quasiment impossible, on peut considérer que le phénomène est significatif.
Nous proposons ici d'interroger la notion de trafic à partir de la description de l'expérience vécue par les femmes elles-mêmes et au travers de l'analyse des conséquences pour les femmes des politiques publiques de lutte contre le trafic en France. Nous pourrons ainsi réfléchir sur le contexte dans lequel ces politiques se développent.
1. Les dispositifs institutionnels de lutte contre le trafic
Depuis la fin des années 90, un champ nouveau se crée (ou se recrée), celui de la lutte contre le trafic. Protocoles, recommandations, colloques, et programmes abondent. Ces derniers sont en général menés conjointement par les Institutions Européennes ou Onusiennes, les États et les ONG. Les textes qui organisent la lutte contre le trafic forment une construction hiérarchisée et se déclinent à tous les niveaux, international (protocole de Palerme, OIM), Européen (Parlement, Commissions Européennes, OSCE) et national (les différentes lois, pour la France la loi de Sécurité Intérieure et celle sur les restrictions à l'immigration).
Le protocole de Palerme, texte international de référence (4), a été négocié en parallèle avec la convention des Nations Unies du même nom contre la criminalité transnationale organisée. Le protocole traite plus spécifiquement de certaines activités menées par les groupes criminels organisés, en l'espèce la traite des personnes. Tout comme la convention de Palerme, il s'agit avant tout d'un instrument de droit pénal, mais il comprend également des mesures de prévention et de protection des victimes. «L'expression "traite des personnes" désigne le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes; Le consentement d'une victime de la traite des personnes à l'exploitation envisagée, [...] est indifférent lorsque l'un quelconque des moyens énoncés [ci-dessus] a été utilisé» (article 3 du Protocole).
La notion de trafic est ainsi définie par deux éléments: le mouvement (franchissement de frontières) et l'exploitation (sexuelle ou par le travail), par la force, la duperie ou la coercition. À partir de ce texte, le trafic est un problème de criminalité associé à la migration clandestine et à l'exploitation d'autrui et un problème moral (prostitution). Notons que le consentement de la victime est indifférent pour définir le délit de trafic, ce qui signifie que toute personne qui a payé ou qui paie des intermédiaires pour franchir des frontières peut être considérée comme une victime de trafic.
Le protocole propose aux états signataires les modalités de protection des victimes de trafic. Si elles dénoncent leur proxénète ou trafiquant, elles peuvent prétendre à un titre de séjour temporaire, et ce pour le temps de la durée de l'enquête contre les criminels. La "résolution législative du Parlement Européen sur la proposition de Directive du Conseil relative aux titres de séjour de courte durée, délivrés aux victimes de l'aide à l'immigration clandestine ou de la traite des êtres humains qui coopèrent avec les autorités compétentes" (daté de 2002). propose qu'"un délai de réflexion de 30 jours [soit] accordé à la victime, pour prendre la décision de coopérer avec les autorités compétentes concernées [...] Et elle est alors remise à une organisation gouvernementale appropriée ou à une organisation non gouvernementale reconnue". Il est précisé dans ce texte que "l'existence d'une volonté claire de coopération manifestée par la victime est concrétisée soit par une première déclaration substantielle aux autorités chargées de l'enquête ou des poursuites, soit par le dépôt d'une plainte, soit encore par tout autre acte prévu par le droit de l'Etat membre".
En France, à la suite de ces résolutions supra nationales, l'Assemblée Nationale à gauche, sous le gouvernement Jospin, adopte une loi en janvier 2002, qui prend en compte les différentes formes d'esclavage moderne (exploitation par le travail ou par la prostitution) et crée le délit de traite des êtres humains suite au rapport des députés Vidalies et Lazerge (2002) sur l'esclavage moderne.
Mais, après le changement de gouvernement et d'Assemblée en avril 2002, le ton change. Deux lois de sécurité intérieure sont votées, créant plusieurs nouveaux délits, dont le délit de racolage.
Les articles de la loi LOPSI (Loi d'Orientation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure) de juillet 2002 et LSI (Loi de Sécurité Intérieure) de mars 2003, qui concernent la prostitution prévoient que ce délit de racolage (actif ou passif) implique 2 mois de prison ferme, 3 750 ? d'amende pour toute personne, et l'expulsion pour les Étrangères, sauf si elles dénoncent leurs proxénètes. Auparavant, seul le racolage dit "actif" était sanctionné d'une simple amende de police; les poursuites étaient exceptionnelles, cet article étant plus ou moins tombé en désuétude. Du point de vue de la répression, le proxénétisme seul était visé, avec un arsenal de répression de toutes ses manifestations unique en Europe (Cazals, 1995, Ouvrard, 2000).
Les lois LSI et LOPSI affichent deux objectifs. Le premier est le démantèlement des réseaux mafieux: les femmes étrangères sont les cibles prioritaires. "Notre principale cible, ce sont les étrangères" disait-on au ministère en janvier 2003 (Le Monde, 16.01.03). L'esprit de la loi est que, si on arrête les personnes prostituées, et qu'on les place en garde à vue, on les protège des proxénètes, et on peut, grâce à leurs témoignages démanteler les filières mafieuses. On peut ensuite les reconduire dans leur pays d'où elles ont été trafiquées. Le second objectif est la restauration de l'ordre public, en réponse aux riverains, dérangés par les nuisances liées à la prostitution.
D'une commune à l'autre, les moyens de rétablir l'ordre public oscillent entre prévention et répression. Un certain nombre de mairies de droite comme de gauche ont d'ailleurs devancé la loi en instaurant des arrêtés anti-prostitution dès l'été 2002.
La loi prévoit l'attribution d'un titre de séjour temporaire aux prostituées qui dénoncent les réseaux et portent plainte. Ce titre de séjour, d'un à trois mois renouvelable, ne donne pas systématiquement de droit au travail, n'est valable que le temps de l'enquête, n'est renouvelable que si le prévenu est condamné.
Dans son discours aux préfets le 26 septembre 2003, le Ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy rappelle que «La loi pour la sécurité intérieure permet de les protéger [Les prostituées étrangères]. Celles qui dénoncent leur proxénète bénéficient d'un titre de séjour et d'une aide à la réinsertion avec l'appui d'une association. Celles qui refusent de dénoncer leur proxénète seront reconduites à la frontière lorsqu'elles sont étrangères. C'est aussi une manière de les protéger puisque je vous rappelle que le retour au pays fait partie des objectifs de la convention de Palerme sur la traite des êtres humains.[...] Il faut reconduire systématiquement celles qui refusent de dénoncer leurs proxénètes et qui sont en situation irrégulière ou à qui vous avez retiré leur titre de séjour.»
Rappelons qu'en parallèle les conditions d'accès et de séjour des étrangers en France se durcissent et le nombre de clandestins s'accroît.
Les discours institutionnels, largement relayés par les médias, ont justifié la lutte contre le trafic, en présentant les femmes comme des victimes à protéger des violences des trafiquants. Or, en France, aucune arrestation ou inculpation pour trafic d'êtres humains n'a été signalée depuis la promulgation de la loi LOPSI, qui devait être un outil de lutte contre le trafic et de protection des victimes (Damiens, 2005, Monnet, 2005). En revanche, des centaines de femmes ont été interpellées, mise en garde à vue ou en détention préventive pour racolage et présence illégale sur le territoire: 1 594 procès verbaux entre janvier et mai 2004 et 1 376 pour la même période en 2005, selon le ministère de l'intérieur.
On peut alors essayer de s'interroger sur les raisons de l'échec des politiques publiques en matière de lutte contre le trafic d'être humains et tenter de comprendre leur sens, à partir de l'expérience des femmes elles-mêmes et en procédant à une analyse de la notion de trafic.
2. Du côté des femmes...
Rappelons nous que la migration et travail du sexe ne datent pas d'aujourd'hui, et que la notion de trafic rappelle celle de la traite des femmes du début du siècle, (Corbin, 1978; Solé,1993; Chaumont, 2004; Doezema, 2000).
Nous parlerons de «femmes», plutôt que de «victimes», «migrantes» car les circonstances de la vie les conduisent à quitter leur pays. Nous posons «prostituée» comme adjectif de «femme», pour souligner que «prostitué» n'est pas une identité, mais une activité (Pheterson, 2001). Ajoutons que dans la majorité des cas, les femmes elles-mêmes ne s'identifient pas comme «prostituées». Leur activité est, pour elles, un moyen le plus souvent temporaire (plus ou moins long) pour gagner leur. Elles ne se sentent pas «migrantes», mais Albanaise, Équatorienne, Ghanéenne, etc...
2.1. La diversité et l'historicité des processus migratoires
Si l'on remonte aux années 70, on peut remarquer que la migration pour le travail du sexe en France, est alors essentiellement le fait des transgenres et des travestis du bois de Boulogne venant d'Amérique Latine à Paris. Les femmes Latino-Américaines et de la République Dominicaines sont arrivées un peu plus tard, plutôt en Espagne, en Autriche et en Suisse. Leurs modes migratoires sont assez autonomes. Le schéma le plus courant est de réunir les moyens nécessaires au voyage auprès des proches et de la famille et de rallier un point de contact avec une personne connue qui avait migré quelque temps auparavant. Les femmes et les hommes utilisent les mêmes modes migratoires, et et disposent de capacités d'autonomie dans ces processus.
Les Algérien-ne-s sont arrivé-e-s au début des années 90, et plus particulièrement après 92 suite aux bouleversements liés aux troubles politiques en Algérie. Des femmes qui ne pouvaient plus travailler dans les administrations, le commerce ou les usines, à cause de la violence qui s'exerçait contre elles, et qui avaient des charges de famille, se sont exilées à Marseille, où elles n'ont souvent pas eu d'autre possibilité que la prostitution de rue (en 1996, on comptait environ 40 % d'Algériennes parmi les personnes prostituées à Marseille). Les hommes, plus jeunes, sont allés à Paris, Lyon ou Marseille, comme travesti. Ici, la différence entre les hommes et les femmes semble résider dans le fait que les femmes, plus âgées, ont des charges familiales plus lourdes. Les femmes Marocaines ont plutôt migré vers l'Espagne. Tous et toutes sont venu-e-s de manière indépendante.
On peut diviser les femmes Africaines en deux groupes: Les plus anciennes (Cameroun, Ghana) et les plus récemment arrivées (Nigeria, Sierra Leone, Libéria). Les premières sont arrivées dans les années 95 en Italie, en France ou en Espagne. Elles ont très vite développé des stratégies pour être régularisées. Elles travaillent de façon indépendante, et ce qu'elles gagnent sert à investir au pays d'origine et à assurer la scolarité des enfants. Elles ont souvent plus de 25 ans.
Les secondes sont arrivées en 2000. Elles ont dû quitter leur pays par l'intermédiaire de passeurs à cause de la sévérité de la fermeture des frontières d'Europe. Certaines sont passées d'abord par l'Espagne ou l'Italie, après un périple dans différents pays d'Afrique subsaharienne jusqu'au Maroc. D'autres ont eu la "chance" de pouvoir prendre un avion depuis une ville Africaine et sont arrivées dans une capitale Européenne. Elles ont en majorité entre 20 et 30 ans.
Les femmes de l'Europe de l'Est ont commencé leur arrivée en France vers 1998 et 1999 pour ce qui concerne Lyon et Toulouse. Là aussi on distingue plusieurs processus que nous avons décrits dans nos travaux précédents (Guillemaut 2002). En particulier, les femmes que nous rencontrons sont dans des problématiques différentes selon qu'elles viennent des pays du nord ou du sud de la région qui englobe les Balkans, l'Europe centrale et les ex-républiques soviétiques.
Les femmes des régions de l'ex-URSS et des régions plus au nord semblent avoir des stratégies plus autonomes: elles passent des "contrats" avec les hommes, et une fois le contrat rempli, se considèrent libres de toute obligation. Les femmes qui viennent des régions plus au sud, semblent plutôt dans des démarches de type "matrimoniales": elles croient au "prince charmant" et se font abuser par des hommes, qui les séduisent puis les maltraitent. De ce fait, leurs expériences et moyens pour se défendre face à la pression des hommes sont très différents. Plus précisément, si la jeune femme a un engagement émotionnel vis-à-vis de celui qui exploite son travail de prostitution, alors, sa capacité à s'en libérer sera amoindrie. On est là typiquement dans le registre de la dynamique des violences conjugales. En revanche, pour une jeune femme qui se sentira dans un engagement contractuel, elle pourra se donner les moyens d'agir pour se défendre sans ambiguïté, y compris en cas de menace de violence.
Il apparaît que pour beaucoup de femmes, la décision du départ se soit faite de manière autonome, et avec l'assentiment de la famille. Certaines ont été abusées ou contraintes lors du processus migratoire. Certaines sont parties en sachant qu'elles allaient travailler dans l'industrie du sexe en Europe, d'autres ont été abusées sur la nature du travail.
En brossant un rapide tableau des origines et des processus migratoires, on peut tout d'abord remarquer la diversité des formes de la migration et des moyens pour arriver en Europe et si possible y rester.
Le schéma ci-dessous rend compte de cette diversité. Le processus migratoire peut être analysé sur un continuum; entre les deux extrémités de ce continuum, nous trouvons diverses expériences. Les modalités de migration situées aux deux extrêmes du continuum ("rapt" et "ami-e-s, solidarité") sont les moins fréquentes, quoique les modalités de voyage grâce à des réseaux relationnels de solidarité soient plus fréquentes que les "rapts". Cette dernière catégorie recoupe les situations d'abus et de mensonge à l'encontre des femmes et de leurs familles, et non pas des enlèvements dans l'espace public. Nous trouvons aussi des femmes traitant avec les gens qui facilitent leur voyage à l'étranger comme avec leur agent de voyage, service qui coûte cher mais qui est habituellement très fiable pour elles. Elles ont essentiellement négocié avec des agences de "passeurs", qui, dans leur pays d'origine ont pignon sur rue (Oso, 2003). D'autres femmes ont des liens d'amitié ou de solidarité avec ceux que nous désignons comme leurs proxénètes, d'autres des relations d'obligation, de service ou de loyauté.
Ces catégories ne sont pas étanches et peuvent se recouper. Une femme peut changer de catégorie, en fonction des circonstances de son processus migratoire. Dit autrement, ce schéma ne fige pas les situations, il tente d'expliciter leur diversité.
CONTINUUM DES CONDITIONS DU PROCESSUS MIGRATOIRE DES FEMMES
(F. Guillemaut-M. Schutz Samson- 2004)
La majorité des femmes arrivées dans les quatre pays de l'étude depuis ces dernières années ont des dettes de passage, qui s'échelonnent entre 2 000? et 45 000?. Ces dettes sont variables en fonction du pays d'origine, de la «prestation» achetée: visa, contrat de travail, passeport, voyage, passage illégal de frontières, etc., et du type de négociation.
La dette a pu être contractée par la femme elle-même, mais bien souvent, la famille est aussi impliquée. Soit parce que des membres de la famille ont avancé l'argent qui doit être remboursé, soit parce que la famille s'est portée garante, au pays, de la dette. Ce lien par la dette (debtboundage), qui peut devenir une servitude, est un abus des droits humains. Mais aujourd'hui, dans tous les cas, entrer en Europe de l'Ouest sans intermédiaire est impossible. 30 % des femmes de l'étude disent avoir été abusées sur la nature du travail en Europe, 30 % sur les conditions du voyage ou son coût réel. ILO (2004) a démontré que ce phénomène existe dans tous les domaines du travail informel à travers le monde. Les travailleurs sont tenus par des dettes, et exploités. Dans la majorité des cas la dénonciation de l'abus aboutit au retour plus ou moins forcé de celui ou de celle qui dénonce. On comprend, dans ces conditions, que les dénonciations soient rares. Même si la personne est en situation d'exploitation, elle «préfère» le plus souvent ne pas courir le risque d'être rapatriée. Rappelons que dans les cas de trafic, l'obtention d'un titre de séjour n'est envisageable qu'à l'issue de la condamnation pénale de la personne dénoncée, et à condition que la femme ait cessé son activité de prostitution (5).
Dans tous les cas les femmes ont des obligations financières envers leur famille, que celles-ci soient motivées par la solidarité, le devoir ou la culpabilité ainsi que par une obligation de réussite de leur parcours migratoire. Ceci correspond à ce qu'Abdelmalek Sayad (1999) décrit des migrants maghrébins en France dans les années cinquante.
La majorité des femmes que nous avons rencontrée expriment clairement qu'elles tentent de fuir l'enfermement et la contrainte sociale qu'elles subissent en tant que femmes dans leur pays. 80 % d'entre elles expliquent qu'elles sont parties volontairement. Comme elles ne font pas partie des classes sociales où elles ont la possibilité d'avoir un impact sur l'organisation sociale ou d'influer sur les changements de société dans leur propre pays, même si elles sont diplômées ou qualifiées, elles préfèrent partir. Beaucoup d'entre elles disent qu'elles veulent changer la perception que leur famille pourrait avoir d'elles, et être reconnues comme personne pourvoyeuse de ressource, ce qui à terme leur rapporte un certain pouvoir. Ou bien elles disent aussi qu'elles se sentaient "de trop" en tant que fille, considérée comme non-productives. D'autre encore témoignent qu'elles n'avaient pas d'autre moyen pour échapper aux projets de mariage prévus pour elles. Elles fuient leur pays et tentent une aventure ailleurs. D'autres enfin, expriment leur envie de voyager et de ne pas être limitées dans leurs projets. En règle générale ces jeunes femmes expriment de la satisfaction à être en Europe en regard des conditions de vie qu'elles ont laissées.
CAUSES DE DEPART
Échapper aux discriminations de genre | Mariage forcé, assignation au service domestique ou à la maternité. Non-accès à la formation, au travail, à la propriété des terres et des biens. |
Développer des possibilités économiques pour elles et leurs familles | Les femmes sont de plus en plus souvent principales pourvoyeuses de ressources. Elles souhaitent se constituer un capital pour investir. |
Pression de la famille | Elle peut s'exprimer sous forme de solidarité familiale (une des filles de la famille est sollicitée, choisie ou désignée). L'époux ou le fiancé peut exercer une pression (assortie ou non de violence). |
S'individualiser, augmenter son capital social et culturel | Découvrir d'autres pays, d'autres modes de vie, s'instruire. Développer des projets personnels. |
2.2. Profil socio-démographique
L'ensemble des données est disponible dans le rapport de recherche (Guillemaut, 2004), nous en présentons ici quelques extraits significatifs. Elles ont été recueillies sur un échantillon de 500 femmes parmi les quelques 1 000 femmes rencontrées dans les quatre pays de l'étude. Elles ne reflètent qu'une réalité partielle, non exhaustive de ce que serait la réalité européenne, et sont complétées par les données qualitatives recueillies sur le terrain.
- 20 % des femmes de l'étude viennent d'Afrique anglophone, en majorité du Nigeria, mais aussi du Ghana, de Sierra Leone et du Libéria. Les femmes africaines francophones sont plutôt présentes en France et depuis le milieu des années 90.
- 30 % sont d'Amérique latine, ce sont en majorité des femmes de République Dominicaine, mais aussi des femmes d'Equateur, du Brésil et dans une moindre mesure d'Argentine, du Chili et de Colombie.
- 47 % des femmes de l'étude viennent d'Europe de l'Est en ordre décroissant d'Albanie, de Bulgarie, de Moldavie, de Roumanie, de Russie, d'Ukraine, de Tchéquie, Slovaquie et Slovénie.
Si l'on compare les durées de séjour des femmes par régions d'origine, on peut avoir une représentation des flux migratoires: les femmes d'Amérique latine représentent des migrations plus anciennes avec un flux constant, elles ont entre 25 et plus de 45 ans. africaines francophones et les Ghanéennes sont présentes depuis 10 à 15 ans mais on constate peu de nouvelles arrivées. Les femmes africaines anglophones (Nigéria, Sierra Leonne, Libéria) sont les dernières arrivées, elles ont entre 20 et 30 ans, tandis que les femmes d'Europe de l'Est continuent d'arriver de façon plus ou moins régulière depuis près d'une dizaine d'années, elles ont entre 20 et 35 ans. Quant aux femmes du Maghreb (Algériennes pour la France et Marocaines pour l'Espagne), elles sont présentes elles aussi depuis le début des années 90, elles ont le plus souvent plus de 30 ans.
50% des femmes de l'étude sont célibataires; ce sont surtout les femmes d'Amérique latine (en moyenne plus âgées) qui sont mariées, soit 40% d'entre elles. Les femmes d'Europe de l'Est et d'Afrique sont célibataires respectivement à 62% et 91%. Rappelons que pour les femmes africaines, ce pourcentage concerne les jeunes anglophones, car les femmes des pays francophones (plus âgées) sont plus souvent mariées. Dans la plupart des pays d'origine des femmes, l'injonction au mariage des très jeunes femmes est très forte. Ici, on voit qu'elles partent comme célibataires, et cela vient confirmer l'hypothèse de tentatives d'échapper aux contraintes liées à leur genre. 45% du total n'a pas d'enfant: 65% chez les femmes d'Europe de l'Est, 85% chez les Africaines anglophones et seulement 15% chez les femmes d'Amérique Latine, qui sont, rappelons-le plus âgées en moyenne, comme les femmes Africaines francophones, qui ont elles aussi des enfants. 75% de celles qui sont mères ont un ou deux enfants.
Ces données permettent de déconstruire un certain nombre de préjugés. Par exemple, la plupart des femmes sont issues de milieu urbain (70 %) dans des pays à majorité ruraux (plus de 60 % de la population est rurale dans presque tous les pays d'origine). Elles ont en moyenne un bon niveau scolaire proportionnellement aux conditions d'éducation dans leur pays d'origine. Dans notre échantillon, les jeunes Africaines ont été scolarisées à 81%. Parmi elles, 8% ont le bac (équivalent) et plus, et 17% ont fréquenté le lycée. Selon nos jeunes informatrices nigérianes, l'accès à la scolarité est payant dès le collège (avec un grand niveau de corruption) dans leur pays. Les jeunes femmes d'Europe de l'Est sont, pour 25% d'entre elles titulaires du bac, et parmi ces dernières, la moitié a fréquenté l'université.
Bien que l'on trouve rarement des recherches qui s'intéressent aux femmes comme personnes autonomes, on note que ces données rejoignent des informations recueillies ailleurs: Le rapport Payoke et al (2001-2003) montre lui aussi que dans un des groupes de «victimes» étudié en Belgique, sur 173 femmes, 18% sont d'Albanie, 13% du Nigeria, 12% de Moldavie, 9% de Russie et 8% d'Ukraine. 60% ont entre 18 et 24 ans, 65% sont allées à l'école, et 40% ont un niveau d'étude supérieur, 70% sont célibataires.
On peut remarquer le «jeune âge» de ces femmes (entre 20 et 30 ans), sauf parmi les Latino-Américaines, les Africaines francophones et les Algériennes (qui sont en Europe depuis plus longtemps), et l'on peut s'en émouvoir. Ce serait oublier un truisme basique: les migrants en général sont jeunes lorsqu'ils quittent leur pays.
77 % des femmes envoient de l'argent à leur famille, ce qui était le but initial du voyage. Elles permettent ainsi à leurs proches d'améliorer leurs conditions de vie, de se soigner, de poursuivre leurs études pour les frères, soeurs ou enfants, assurant ainsi une mobilité ascendante de la famille, enfin de monter des commerces ou des entreprises.
Ces informations montrent que les femmes de l'étude ont des profils socio-démographiques assez proches des femmes européennes de l'Ouest. Elles ne sont pas particulièrement plus démunies, en termes de capital socio-culturel, que les femmes des pays riches du même âge. Ceci entre en contradiction avec le fait qu'elles sont communément considérées comme impuissantes et naïves face à leurs conditions de vie. Notre vie quotidienne avec elles nous le rappelle également tous les jours.
3. Ce que les femmes expérimentent des dispositifs de lutte contre le trafic
L'étude de leurs conditions de vie en Europe (Guillemaut, 2004) montre que leurs préoccupations majeures sont l'obtention de titre de résidence et de travail, la peur de la police, le fait de gagner de l'argent et les liens avec leur famille au pays. La peur des violences est en général très prégnante: il s'agit de la violence dans la rue (des clients ou faux clients, des autres personnes prostituées, des voyous de la police...), de la violence dans la vie privée pour celles qui sont dans des situations d'abus (de type pseudo-mariage ou fiançailles) et, dans les pays ou le travail du sexe est réglementé, de la pression des patrons d'établissements.
Les femmes étrangères dans le travail du sexe sont le plus souvent en situation illégale ou précaire (visa tourisme ou autorisation provisoire de séjour d'un mois à trois mois). En France, suite à la mise en application des lois LOPSI et LSI, seules les Étrangères sont interpellées et subissent des violences policières (sauf de rares exceptions). Les contrôles de police sont permanents, car, depuis ces lois tous les corps de la police (BAC ?Brigade anti-criminalité?, CRS ?Compagnie Républicaine de Sécurité-?, BPS ?Brigade de Préservation Sociale?, USIT ?Unité de Sécurité et d'Investigation Territoriale?, Police nationale, municipale...) sont habilités à les contrôler, alors qu'auparavant, leur "surveillance" était confiée à un seul service, appelé les "moeurs" (Brigade de répression du proxénétisme), qui souvent, avait une bonne connaissance du terrain, et pour certains de leurs agents un bon discernement sur les situations rencontrées. La situation de l'ensemble des personnes prostituées s'est dégradée: stress accru dans le travail, violences et agression de la part des clients et des passants qui agissent en toute impunité puisqu'ils savent que ce sont elles les délinquantes et qu'elles ne pourront pas porter plainte.
À Lyon, 350 mises en garde à vue ont été recensées en 2003 et 2004, sur un groupe estimé à 500 personnes environ, et, dans la même période, 400 actes de violence de toutes origines ont été signalées à l'association de terrain par les personnes prostituées (Expuesto, 2005).
À Toulouse, pour la même période, on compte au moins 10 arrestations par semaine, et parfois jusqu'à une vingtaine. Il s'agit véritablement de "rafles". La stratégie de la police et du parquet est visiblement de déférer le plus possible de femmes devant le tribunal, et d'en expulser le plus possible. De janvier 2005 à mai 2005, par exemple, 65 femmes (au moins) ont été déférées devant le tribunal pour racolage. À cette occasion, elles sont le plus souvent reconduites à la frontière avec interdiction du territoire. Parmi ces femmes, une dizaine avaient déposé des plaintes pour viol, agression ou proxénétisme; mais comme elles ont été expulsées les instructions de leurs plaintes ont été interrompues (En tout 28 plaintes de ce type déposées en 2004). Toutes les peines avec sursis prononcées par le tribunal de Toulouse ont été suivies d'appel du parquet pour obtenir de la prison ferme. "Qu'elles sachent qu'elles ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête et qu'elles doivent partir!" vociférait la procureure lors d'un procès (25/11/04, Grisélidis RA 2004)
À Lyon comme à Toulouse et dans d'autres villes, chaque jour et chaque nuit, on assiste à plusieurs arrestations avec violences et menaces de la part de la police: fouille au corps, déshabillage, privation de nourriture, humiliations etc. Les garde à vues peuvent durer jusqu'à 24 heures et se répéter plusieurs fois dans une même semaine. Quel que soit l'endroit de la ville où elles travaillent elles sont chassées par la police, dans les endroits les plus reculés et les plus dangereux. Les interdictions de travailler dans certaines rues changent au gré des humeurs de la police et de la mairie. Les policiers dressent les communautés les unes contre les autres en procédant à des arrestations sélectives et en disant aux unes que c'est de la faute des autres et vice-versa (par exemple aux Françaises que c'est la faute des femmes de l'Est, aux Camerounaises que c'est la faute des Nigérianes etc.).
Trois ans après le vote de la loi les jeunes femmes étrangères continuent pourtant d'arriver sur le territoire, dans des conditions qui se dégradent, et le coût de leur voyage et entrée en Europe augmente.
4. Déconstruire la notion de trafic
En s'intéressant aux expériences vécues par les femmes, on découvre un décalage entre les intentions annoncées par les lois nationales et les textes internationaux et la réalité vécue par les femmes migrantes dans la prostitution. Ces femmes sont des «entrepreneuses d'elles-mêmes», elles poursuivent un projet migratoire personnel. Elles sont confrontées à des violences multiples lors de ce processus migratoire, et ces violences sont renforcées par les conditions d'accueil des pays destinataires; les lois semblent surtout agir contre elles.
4.1. De l'intérêt de la lutte contre le trafic pour les États européens
D'ailleurs, du point de vue des autorités françaises, les lois ne semblent pas apporter les résultats escomptés. Des "hauts fonctionnaires de la police et de la justice parlent d'un bien naturel "temps d'adaptation" quand ils reconnaissent "les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre" des dispositions antiprostitution inscrites dans la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 "..." Cette politique pénale ne semble guère dissuasive. Déjà, la police commence à reprocher à la magistrature de ne pas accompagner son travail de terrain. Et jusqu'au plus au niveau de l'État, entre les ministres de l'Intérieur et de la Justice, l'imparfaite application de la loi est désormais évoquée. "..." Il n'en demeure pas moins, comme le souligne l'OCRTEH, qu'au niveau national, "le nombre de prostituées n'a guère diminué" et que "le système continue"". (Le Figaro, 26.09.03)
À Lyon, aucune des interpellation de personne migrante prostituées n'a donné lieu à l'arrestation de réseaux: Un "réseau" de personnes Italiennes et Nigérianes a été arrêté en 2003, selon la police. Il s'agissait essentiellement d'une affaire dite de "proxénétisme hôtelier", ce qui signifie que des personnes s'étaient organisées pour louer, très cher, des logements à des personnes prostituées étrangères. Cette "affaire" est le résultat de dénonciations et enquêtes anciennes, indépendantes des arrestations pour racolages. Une autre a été évoquée par la presse fin 2004, et vite oubliée. Il s'agissait d'une "filière Roumaine". Dans la réalité de nos connaissances du terrain, les femmes arrêtées se prostituaient bien, et les hommes arrêtés pour proxénétisme international et trafic, ont été rapidement relâchés: il s'agissait d'exilés, qui vivent dans des friches industrielles Lyonnaises (Les fameux "camps de Roms") et cherchent du travail ou mendient en ville. Les mêmes phénomènes sont observés à Paris (Damiens, 2005)
Le Ministre de l'intérieur annonce, fin 2003, "67 proxénètes arrêtés", "13 réseaux démantelés" (libération, 27.09.03), et fait état de 1 103 procès-verbaux au niveau national et 270 procédures engagées à Paris (Le Figaro, 26.09.03). On le voit, la proportion entre le nombre de femmes arrêtées et la lutte contre le proxénétisme n'ont de lien que dans l'esprit de ceux qui le croient. En revanche, "les tribunaux et les prisons sont encombrés" (député UMP cité par Le Figaro, 26.09.03). Les raisons sont diverses.
Nous l'avons vu, L'application de la loi contre les personnes prostituées est mise en oeuvre par l'ensemble des services de police (municipale, nationale, CRS, BAC, USIT etc...), alors que la lutte contre le trafic ne relève que d'un ou deux services, qui de surcroît n'ont pas de compétences extraterritoriales. Il faut ajouter que ces arrestations de proxénètes auraient probablement eu lieu, même sans la loi, puisque les dispositions législatives antérieures permettaient déjà d'agir contre le proxénétisme. «Depuis plusieurs mois, des associations d'aide et de soutien aux prostituées regrettaient que les dispositions concernant la prostitution contenues dans la "loi Sarkozy" de sécurité intérieure de 2003 ne donnent lieu, le plus souvent, "qu'à des procès-verbaux pour racolage", s'en prenant aux prostituées plutôt qu'à leurs proxénètes.
A la fin février, l'OCRTEH a réuni les responsables des Directions et services régionaux de Police judiciaire, des grandes Sûretés départementales, de la Police aux frontières (PAF) ainsi que des officiers de gendarmerie pour "mettre le paquet" contre les proxénètes.
L'objectif visé n'était pas "celui des réseaux, mais des proxénètes de proximité, les petites mains de la profession, ceux qui sont au contact permanent des prostituées, qui les surveillent au jour le jour et qui exercent contre elles les plus grandes violences", a-t-on précisé à l'AFP.» (AFP, 20/03/2005).
Ceci montre qu'il semble y avoir un écart abyssal entre ce qui est décrit des mafias internationales exploitant le trafic des femmes, et la réalité des multitudes de petits passeurs, intermédiaires, et autres acteurs de l'économie illégale.
Ceci permet aussi de mieux comprendre l'inadaptation des dispositifs de lutte contre le trafic, inadaptation qui est due pour une grande part aux objectifs non explicités des politiques publiques (hidden agenda), qui ont plus de rapports avec la protection des frontières qu'avec les droits des femmes (Guillemaut, 2004). Ces politiques répressives s'inscrivent également dans un contexte moral et politique de «tolérance zéro» et servent à légitimer l'installation d'une société policière (Monnet, 2005) qui renforce et légitime la criminalisation des plus pauvres (Wacquant, 2004).
Pour sa part, le Syndicat de la Magistrature, dans sa motion «sexe et justice» du XXXVIIIe congrès en 2003, note que: «L'incrimination du racolage passif vise, au-delà des actes, une catégorie sociale, dont elle aggrave la précarité et la stigmatisation. Elle doit être abrogée et les moyens dilapidés pour la répression doivent être affectés à la lutte contre le trafic des êtres humains. Un statut du travail sexuel doit être envisagé, afin d'établir des règles de protection minimales.»
De ce point de vue, on peut aussi relire les textes internationaux avec un éclairage différent;
Ceux-ci se situent soit dans le champ de la lutte contre la criminalité (migration illégale, crime organisé) soit dans le champ défini comme celui des violences contre les femmes (prostitution, trafic). D'autres perspectives sont en général écartées, telles que l'approche par l'entrée des droits humains (libre circulation des personnes ou protection contre les abus, indépendamment de la prostitution), celle par le travail des femmes, et la division sexuelle du travail et ses conséquences dans la migration et la mobilité, ou encore celle des rapports sociaux de sexe et de l'aspect genré du pouvoir (Wijers, 1998, 1999, 2002).
Cette entrée par les violences contre les femmes et les enfants ou par la lutte contre la criminalité est aussi perceptible dans le vocabulaire utilisé dans ces textes. Tout d'abord femmes et enfants sont toujours associés, renvoyant les premières au statut d'irresponsable équivalent à celui des enfants et à celui d'individu spécifique, à la différence des hommes considérés comme référent général. Ensuite, le seul terme utilisé dans l'ensemble des textes est celui de "victime", auquel s'oppose le "criminel" responsable du trafic.
Quant aux modalités de protection des femmes, il ne s'agit pas de la protection de leurs droits fondamentaux, y compris celui de migrer, ou de leurs droits en tant que groupe social discriminé (conformément à la convention de 51), mais de leur protection en tant que victime individuelle, déplacées malgré elles, et qu'il est donc souhaitable de rapatrier. Ces propositions écartent l'application de l'asile politique (convention de 51) pour les femmes, en les constituant comme une catégorie de victimes à part des hommes, qui eux peuvent être éligibles à cette forme d'asile. Ces victimes que les textes internationaux entendent protéger ne présentent en réalité pour les autorités locales qu'un intérêt dans la "lutte contre la criminalité organisée", le maintien de l'ordre et l'étanchéité des frontières. Leur devenir, les perspectives qui pourraient ou non s'offrir à elles importent peu.
La réponse majeure de l'OIM (Office International des Migrations) aux questions de migration des femmes, de travail du sexe et de trafic réside dans la mise en place de réseaux de rapatriement des femmes et de contrôle des flux migratoires venant de la région orientale de l'Europe. Nous pouvons voir se dessiner leur politique à partir des exemples entre l'espace Schengen et les pays d'Europe de l'Est. Ces centres d'accueil sont gérés soit directement par l'OIM, soit par des ONG, soit par les Etats eux-mêmes. Le principe général du fonctionnement de ces réseaux de centres d'accueil est que lorsque la police procède à l'arrestation d'une femme dans un pays de l'espace Schengen ou dans un pays d'Europe de l'Est, le centre d'accueil le plus proche est sollicité pour héberger cette femme et organiser son rapatriement. Dans ces centres, ces femmes sont enfermées pour des raisons de "sécurité" pour elles-mêmes. Puis elles sont transférées dans le centre OIM de leur propre pays, en collaboration avec la police de leur pays. Là on leur propose soit de réintégrer leur famille, soit de participer "volontairement" à un cycle de réhabilitation sociale (recherche d'emploi et de logement). À ce jour, l'OIM n'a pas publié de résultat tangible de ce dispositif en termes de réintégration des femmes dans leur société d'origine. Le dispositif, pour les relations Est-Ouest, existe depuis 1999/2000 selon les pays.
Ainsi, les femmes migrantes sont-elles construites comme des victimes sans capacité de décision pour elles-mêmes par les travailleurs sociaux et médicaux, issus des classes dominantes, qui s'érigent en spécialistes de la question et trouvent des débouchés professionnels alimentés par les fonds de lutte contre le trafic. L'avis des femmes elles-mêmes sur leur propre situation n'est pas pris en compte.
Le rôle joué par l'OIM et les autres institutions européennes ainsi que les ambassades est prépondérant dans l'élaboration des discours et dans les réponses institutionnelles. Bien souvent, la mise en oeuvre de programmes d'actions nationales de lutte contre le trafic (entendez de lutte contre les risques migratoires) est demandée aux pays, avec l'aide technique et financière des institutions européennes, et conditionne d'autres formes d'aide au développement pour le pays. De même, l'OIM organise avec les pays périphériques de l'espace de Schengen le contrôle des migrants venus de l'orient. Les centres d'accueil dans ces pays sont prévus pour "accueillir" les Kurdes, Irakiens, Iraniens en transit illégal, en collaboration avec la police. Des policiers français sont détachés dans les ambassades pour organiser la formation des polices locales.
De manière triviale, le marché pourrait se résumer ainsi: soit vous nous aidez à contenir les flux migratoires et notre collaboration vous est acquise, soit vous refusez, à vos risques et périls, et nous continuons à exercer des pressions pour une normalisation.
Pour ce qui concerne les migrations en provenance d'Afrique subsaharienne, la politique dominante semble être plus radicale, puisqu'il s'agit de l'organisation de "charters de retour" et le contrôle accru des frontières maritimes en Espagne et en Italie (qui provoque plus d'accidents et de décès de personnes candidates à l'impossible immigration). Les accords de réadmission semblent aussi être réactualisés avec certains pays (Maroc, Mali, Sénégal).
Les politiques publiques visant à protéger les femmes, mais surtout à leur assigner une place de pilier au coeur de la famille ne sont pas récentes. Depuis le XIX siècle, pour lutter contre les risques de voir les femmes devenir indépendantes au travers de l'exode rural et de l'industrialisation, les États ont mis au point des dispositifs publics et sociaux relayés par les femmes oisives des classes moyennes pour contrôler les femmes des classes populaires, leurs déplacements, leurs moeurs.
Appliquée au trafic et à la prostitution la symbolique de la femme garante du foyer ou la tendance fâcheuse à la victimisation des femmes en toutes circonstances devient le mythe de la sécurisation des femmes. Les femmes prostituées migrantes sont des victimes assimilées à des enfants qu'il faut protéger, y compris contre elles-mêmes. Ainsi on propose de les enfermer dans des établissements clos et sécurisés (foyer). Là, s'organisent les stéréotypes de la féminité: activités ménagères, soutien psychologique, travail sur le traumatisme, se préparer à une profession de services (en général travail domestique, soin aux personnes etc....)
Ces centres sécurisés sont une forme de la négation du besoin de mobilité des femmes, pour les ramener à leur fonction symbolique et essentialisée. De là les femmes sont préparées à rentrer dans leur pays, afin d'y réintégrer leur famille.
L'un des objectifs majeurs sous-entendus dans l'ensemble de ces textes semble être d'empêcher toute forme de mobilité par la répression, ainsi que de contrôler l'immigration des femmes et de les maintenir dans leur famille et dans leur pays, afin de les "protéger" des violences liées à leurs tentatives migratoires (6). On peut aussi faire l'hypothèse que les contradictions des politiques publiques (comme la criminalisation de celles qui sont par ailleurs désignées comme des "victimes"), au-delà de cette première lecture, pourraient révéler la volonté non explicite de maintenir un secteur d'économie informelle, qui alimente le fonctionnement de l'économie légale, en maintenant un volant de main-d'oeuvre sans droits, puisque l'on sait que, en fonction des pays, ces femmes alternent entre le travail domestique et le travail du sexe (Oso, 2003; Anderson, O'Connel, 2003)
4.2. Rapports sociaux de sexe, trafic et travail
Bien souvent les femmes que nous rencontrons avaient la volonté de quitter leur pays, mais n'en n'avaient ni les moyens légaux ni les moyens financiers. De fait, des réseaux de passeurs sont organisés dans certaines régions où la migration s'effectue dans des conditions difficiles, dangereuses et chères. Il n'empêche, les femmes qui viennent en Europe "préfèrent" parfois ces risques à leurs conditions de vie chez elles: impossible mobilité sociale et économique, appropriation des femmes par les hommes, ce qui leur enlève toute chance de vie autonome, situation économique désastreuse au regard des pays riches, situation de guerre civile.
Depuis longtemps ces personnes font appel à des tiers pour migrer (achat de visas, de contrats de travail, endettement pour payer le voyage...). Ce qui a changé, ce sont essentiellement les conditions d'entrée dans l'espace Schengen, et la fermeture du marché du travail légal pour les migrant-e-s. La manière dont s'organise le "trafic" correspond schématiquement à la division sexuelle du travail ordinaire (Tabet, 1979, 1987, 1998; Guillaumin, 1992), que l'on retrouve dans les secteurs légaux de l'économie ou de la politique: aux hommes les circuits d'information, les moyens de transport, les outils (pour la fabrication de vrais-faux papiers), les armes (la violence), et enfin les capitaux. Aux femmes, le travail sans droit. le "trafic" ne fait pas exception. Mais comme c'est par excellence un secteur non régulé par les lois, les abus y sont beaucoup plus visibles qu'ailleurs.
Or la re-émergence de la notion de trafic et sa réalité sont concomitantes de l'accélération de l'appauvrissement des pays d'Afrique, ainsi qu'aux dégradations économiques et en matière de droits des femmes des pays de l'ex-bloc soviétique après la chute du mur de Berlin, et enfin aux restrictions à l'entrée en Europe de l'Ouest. C'est aussi le résultat de l'absence d'aide au développement centré sur les droits des femmes, ou pire, de l'aide au développement, qui, depuis 30 ans, a retiré aux femmes un certain nombre de prérogatives économiques, de commerce ou de production. Ceci parce que les agents des organisations internationales ont favorisé le contrôle des ressources par les hommes en traitant exclusivement avec eux, y compris dans des domaines contrôlés traditionnellement par les femmes.
Certains hommes candidats à l'impossible immigration se réorganisent en fonction de l'un des critères culturels les plus répandus: le contrôle des femmes.
La majorité des femmes que nous avons rencontrées ont elles-mêmes décidé de quitter leur pays. Et c'est lors de leur processus migratoire qu'elles se sont heurtées à la violence, à la contrainte et à l'impossibilité matérielle d'exercer une autre activité que le travail domestique clandestin (aux conditions que l'on connaît) ou la prostitution (Agustin, 2002; Guillemaut, 2002). La plupart d'entre elles ne souhaitent pas rester dans la prostitution, mais, par-dessus tout, elles ne veulent pas être renvoyées chez elles, quel que soit le prix à payer. C'est une des raisons qui les maintiennent de force dans des situations de domination, de clandestinité ou de contrainte, parce qu'elles n'ont, en l'état actuel des législations pas d'autre possibilité.
Certaines d'entre elles, qui ne sont pas dans des dispositifs de dépendance ou de contrainte, ou qui se sont acquittées de leur dette de voyage, travaillent pour elles-mêmes et le plus souvent pour leur famille au pays. Beaucoup de celles que nous connaissons ont des biens ou des commerces dans leur pays, après quelques années de travail en Europe, et elles ont permis à leurs enfants de faire des études et ont ainsi assuré leur mobilité sociale et celle de leur famille. D'autres qui ont voulu quitter la prostitution n'ont pu le faire qu'à travers le mariage et la maternité (toujours en regard des contraintes pour l'obtention des papiers), ce qui, en termes de stratégie résonne comme plus légitime, mais pose la question d'une nouvelle dépendance. Notre étude en France montre que, sur 10 femmes qui se sont mariées avec des Français au cours des six derniers mois de l'année 2003, 8 ont été, dans l'année suivant leur mariage, victimes de violences conjugales. (Guillemaut, 2004). Ceci tend à démontrer comment le système légal (supposé neutre) pousse les femmes à la vie de famille et à l'abandon de tentatives pour être indépendante.
Le débat sur la prostitution est particulièrement vif et polémique, en particulier sur la notion de "choix". L'idée la plus répandue est que ces femmes n'ont pas choisi la prostitution, mais sont au contraire victimes des proxénètes qui les exploitent. Or, si l'on observe l'histoire des femmes au travail, on se rendra compte que les notions de "choix" et de "liberté" sont extrêmement réduites en ce qui les concerne. En règle générale, les femmes "optent" pour telle option plutôt qu'une autre en fonction du contexte social, économique et personnel dans lequel elles se trouvent. Les contraintes structurelles sont en général plus lourdes que la liberté. Le libre-arbitre réside alors dans la manière dont elles vont "céder" face à telle ou telle option en fonction des contraintes (nous faisons ici référence à l'article fondateur de Nicole Claude Mathieu "Quand céder n'est pas consentir"; Mathieu, 85).
Ceci concerne la majorité des femmes, et plus particulièrement les femmes migrantes. Certaines d'entre elles optent pour le travail du sexe, certaines y sont contraintes par la tromperie, la violence ou la menace de tiers (le plus souvent conjoint ou petit ami). Entre les deux types de situations, on trouve une palette de circonstances, dans lesquelles les femmes migrantes développent des stratégies d'adaptation ou de résistance variées.
Le travail du sexe peut alors être compris, non pas nécessairement comme un outil de libération, mais au minimum comme une stratégie, une tactique pour "détourner" un rapport de domination structurel, qu'à leur niveau individuel elles ne peuvent pas changer. Leur "adaptation" aux rapports sociaux de sexes inégaux et/ou aux rapports inégaux entre le Nord et le Sud ou l'Est et l'Ouest leur permet au moins de gagner leur vie. On retrouve ici une illustration de l'analyse en termes d'intersection entre "race", genre et classe.
La prostitution n'est peut-être pas un "métier" (au sens de techniques et savoirs inscrits dans un référentiel), comme ne le sont pas d'ailleurs bien d'autres activités réservées aux plus pauvres, mais, en tant qu'activité génératrice de revenus, elle peut être considérée comme un travail. Ce faisant, avant de jeter l'opprobre sur les femmes prostituées ou de leur imposer notre compassion victimisante, on pourrait se demander quelles pourraient être les autres options possibles pour elles, et surtout, ce que nous ferions si nous n'étions pas du "bon côté" dans l'histoire du colonialisme et du capitalisme.
Par ailleurs, il apparaît que le processus migratoire transforme ou conforte ces femmes dans leurs projets (Bisillat, 2000). L'argent qu'elle gagne leur permet, pour certaines, de monter une entreprise chez elles, pour d'autre d'acheter des biens immobiliers, pour d'autre encore de faire du commerce. Dans un certain nombre de cas, leur statut vis-à-vis de leur famille change; en tant que pourvoyeuses principales de ressources, après plusieurs années, elles gagnent du respect et du pouvoir, donc du même coup de l'autonomie.
Conclusion
La question du trafic est largement débattue aujourd'hui en Europe, mais rarement définie. Le point de vue et l'expérience vécue par les femmes elles-mêmes sont, peu ou pas documentés. C'est pourtant lorsqu'on explore leurs histoires plurielles que l'on peut déconstruire cette fausse notion de "trafic". Cette dernière ressort des catégories de langage de la police des frontières et de la justice pénale, elle est reprise à dessein dans les politiques publiques, et elle s'enracine dans les mythes du tout sécuritaire (Monnet, 2005; Wacquant, 2004; Wijers, 1999; Chaumont, 2004).
Concernant l'exploitation sexuelle des femmes migrantes, et les politiques publiques, on pourrait se demander ce qui crée les conditions de leur exploitation. La part visible du phénomène est celle qui est montrée: le trafic, les réseaux, les proxénètes. Mais ces derniers n'existent pas "en soi" hors de tout contexte social économique et politique.
- Les inégalités genrées face au travail, à l'accès aux capitaux, mettent les femmes en position de subordination de façon structurelle, dans tous les secteurs de l'économie.
- Les politiques migratoires restrictives créent un "marché" pour les passeurs en dehors de toute régulation.
- Le populisme des médias les enferme dans des stéréotypes de victimes impuissantes et naïves, ce qui contribue à leur stigmatisation. Comme on les regarde comme des victimes, on leur dénie tout droit d'être active dans leur processus migratoire.
Ce voyage dans les méandres des politiques publiques, de la violence d'Etat, et au travers de l'expérience de ces femmes peut nous conduire à explorer des questions théoriques majeures, parmi lesquelles:
- Le fait que les femmes migrantes deviennent vraisemblablement pourvoyeuses principales de ressources pour elles et pour leurs familles (Oso, 2003). Le renforcement de la féminisation des migrations n'est pas un phénomène totalement nouveau (Bozon, Locoh, 2000). Ce qui se dessine comme en transformation depuis les années 90, c'est que le taux d'activité des femmes migrantes augmente (Roulleau Berger, 2004). Ce sont sans conteste ces "nouvelles" migrantes que nous avons rencontrées dans notre étude, loin des clichés stéréotypés des médias. Face à la fermeture du marché du travail et aux restrictions d'entrée en Europe, elles n'ont bien souvent qu'une alternative professionnelle: travail de service aux personnes (ménage, soins...) ou travail du sexe (ILO, 2004).
La Banque Mondiale estime que le montant des transferts de fonds réalisés par les migrants vers leurs pays est en augmentation, et que ces montants représentent le double à l'aide publique des pays riches aux pays en voie de développement. Bien entendu, on ignore la part respective des hommes et des femmes dans ces transferts de fonds.
- L'Ethnicisation des secteurs de travail (domestique et travail du sexe), et l'intersectionnalité genre/race/classe. Il apparaît aussi clairement que des "niches ethniques" (Roulleau-Berger, 2004) se créent dans les secteurs du service. Ce secteur se divise en deux catégories: travail domestique (hôtellerie, soin aux personnes, ménage dans les familles) et travail du sexe (dans le rue ou les établissements, légal ou illégal en fonction des pays).
O'connel et Anderson font remarquer que ces deux types d'emploi, lieux d'exploitation des femmes migrantes, résultent de la construction de normes sociales, à l'intersection du racisme et du sexisme: "Les normes sociales dominantes jouent ainsi un rôle important dans la construction des comportements des gens, comme consommateurs à la fois dans des segments légaux et illégaux du commerce du sexe, et comme employeurs de travailleuses domestiques." (7) (Anderson and O'Connell, 2003). La travailleuse est ainsi "ethnicisée", construite comme Autre, et elle n'est alors plus perçue comme une égale. Le fait de l'exploiter ou de dénier ses droits ne pose alors pas de problème éthique.
- Le fait que les politiques publiques par leur philosophie et leur application, renforcent les violences structurelles et politiques contre les femmes (Bourgois, 2002; Guillemaut, 2004) en utilisant les femmes migrantes comme des boucs émissaires et en exploitant la naturalisation, la victimisation et l'ethnicisation des femmes étrangères.
- Le prétexte de la lutte contre le trafic d'êtres humains pour contrôler les migrant-e-s et «punir les pauvres». Ces dispositifs s'inscrivent dans le prolongement et le renforcement de série de mesures d'ordre public et de répression (Monnet, 2005).
- Enfin le fait que les migrations et travail du sexe peuvent être vus comme des formes de micro-résistances, de la part des femmes (Kergoat, 1982; Soares, 1997), qui, par leur poids numérique, leur durée et leurs répétitions, devraient nous interroger. Car dans la réalité vécue par ces femmes, cette migration leur permet de développer de l'expérience, des compétences, de l'autonomie et du pouvoir personnels.
La mobilité géographique des femmes, représente souvent pour elle, outre le passage de frontières administratives, la transgression de normes et de valeurs dont elles ne veulent plus, et qu'elles pensent ne plus trouver en Europe. Beaucoup d'entre elles disent que, quelles que soient les difficultés traversées, si c'était à refaire, elles le referaient, car, par ce voyage, elles trouvent, paradoxalement, la liberté.
Associations participantes à la recherche:
France
- Cabiria, Lyon, http://www.cabiria.asso.fr
- Griselidis, Toulouse, http://www.griselidis.com
Autriche
Maiz, http://www.maiz.at
Espagne
Licit, Barcelone
Italie
Comitato per i dirriti civili delle Prostitute, Pordenone, http://www.lucciole.org
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VIDALIES Alain, LAZERGES Christine, 2002, Rapport N° 3459 déposé en application 145 du Règlement par la mission d'information commune sur les diverses formes de l'esclavage moderne, 211p. http://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i3459.asp
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Notes
(1) Trafficking in persons Report 2003, US Department of States, June 2003, cité par OIM, http://www.iom.int. (Retour)
(2) Entretien réalisé avec le Ministre de l'intérieur Albanais, au cours d'un voyage d'étude, Cabiria, 2002 (Retour)
(3) National stratégy to combat trafficking in human beings, Republics of Albania, Council of ministers, 2001. (Retour)
(4) Protocole Additionnel à la Convention des Nations Unies Contre La Criminalité Transnationale Organisée visant à Prévénir, Réprimer et Punir la Traite des Personnes, en Particulier des Femmes et des Enfants, adopté en 2001. (Retour)
(5) Or, en France un titre de séjour de un à trois mois tel qu'il est délivré dans les procédures de dénonciation ne permet ni de trouver un emploi ou une formation, ni d'avoir un logement, ni d'ouvrir un compte bancaire, ni de bénéficier de prestations sociales... et les procédures, si elles aboutissent, prennent des mois, voire des années. (Retour)
(6) Comme si les familles étaient exemptes de violence pour les femmes et les jeunes filles. Une étude (Jemric, 2003) montre non seulement l'étendue des violences contre les femmes dans les familles dans 11 pays de l'ex-Europe de l'Est, mais surtout l'absence totale de recours contre ces violences pour les femmes qui en sont victimes. (Retour)
(7) Traduction libre de "Prevailing social norms thus play an important role in shaping people's behaviour as consumers in both legal and illégal segments of the commercial sex market, and as employers of domestique workers" (Anderson & O'Connell, 2003). (Retour)
http://www.quelsexe.com/article.php?ar=30
1 comentário:
les femmes migrantes et la prostitution sont malheureusement un problème qui nécessite une attention particulière
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