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12/10/2009

Les précaires de la police privés d'avenir

Anne Roy

Embauchés au SMIC, les adjoints de sécurité ont le sentiment de servir de « bouche-trous » avant d’être remerciés au bout de cinq ans.

Ils sont « motivés », voire « ultramotivés ». La police, pour eux, c’est « une vocation », quasiment de l’ordre de l’inexplicable : « L’attrait de l’uniforme, le respect qu’il impose, le port de l’arme… J’admirais beaucoup la police avant d’y entrer », explique l’une. L’autre avait « un petit ami gardien de la paix qui lui avait donné un aperçu du métier ». Le troisième a « toujours aimé et l’armée et la police ». Leurs parcours ou leurs villes sont différents, leur sentiment est identique : comme une majorité d’adjoints de sécurité (ADS), des policiers recrutés au SMIC pour un contrat de cinq ans, la déception d’Aurélie, de Jennifer et de Cédric (1) est à la mesure de leur enthousiasme. Incorporés en 2004 pour ce dernier et en 2005 et 2008 pour ses deux consoeurs, ces jeunes adultes âgés de vingt-cinq à vingt-neuf ans voient leurs perspectives d’avenir s’amenuiser à mesure que le temps passe. S’ils ont choisi cette voie, payée 1 150 euros net - soit « vingt euros de trop pour toucher les allocations - logement » -, c’est qu’on la leur avait présentée comme une première marche pour intégrer les rangs de la police et devenir, par concours interne, gardien de la paix, autrement dit fonctionnaire. Mais les chances de passer le concours sont de plus en plus rares. Et pour ces « précaires de la police », le coup est rude.

« C’est la Berezina », n’hésite pas à dire Daniel Darnis, du syndicat Union (qui regroupe Unité, ex-UNSA, et SGP-FO). Chaque année, la police nationale organise un ou deux concours de gardien de la paix. « Mais il n’y en a pas eu en 2009, et pour 2010, c’est toujours un point d’interrogation, mais admettons qu’il y ait 250 ou 300 postes qui soient ouverts, ce serait toujours très peu au regard du nombre de candidats potentiels, de 7 000 à 8 000 : ça devient pire que médecine ! » résume le syndicaliste, considéré comme « l’interlocuteur privilégié » des ADS qu’il vient rencontrer partout en France où ils sont « environ 10 000 ». Pour lui, le malaise est palpable : « Les jeunes ne comprennent pas le décalage entre le discours du gouvernement, qui prétend se préoccuper de leur avenir, et la réalité. »

Plus ou moins proches du terme de leur contrat, les trois ADS commencent à se rendre à l’évidence. Alors, pour éviter le chômage, ils envisagent leur reconversion « en lien avec (leur) expérience, dans le domaine de la sécurité ». Concours des douanes, de surveillant pénitentiaire… « J’ai même un ancien collègue qui est devenu agent de sécurité privé », commente Cédric. « Ce n’est pas qu’on ne recrute plus, explique-t-on au service de communication de la police nationale. Mais réduction générale des dépenses publiques, donc des effectifs, d’un côté, et augmentation de l’âge du départ à la retraite des fonctionnaires de police, de l’autre, ont eu une conséquence directe sur les embauches. »

« Ils se retrouvent le bec dans l’eau, après cinq années de travail dans des conditions difficiles », commente Christophe, leur « aîné », puisqu’il a fait partie des premiers ADS à leur création, en 1997, à une époque où il était encore relativement simple d’accéder ensuite au statut de gardien de la paix - ce qu’il a donc fait après avoir réussi au concours et avoir été formé pendant douze mois en alternance. Pour les ADS, la formation dure trois mois, ensuite ils sont envoyés sur un terrain où, résume Cédric, « les gens ne regardent pas la couleur des barrettes sur nos épaules, ils ne font pas la différence entre nous et les gardiens de la paix ». Cet ancien chauffeur routier apprécie son métier et ses imprévus, « faire partie des premiers intervenants après un crime ou un incident », et se fait fort « d’améliorer l’image du policier ». Le hic, c’est que les « ADS ne sont pas forcément bien considérés sur le terrain ». « On nous rappelle sans arrêt qu’on est là uniquement pour assister nos collègues, question de grade et d’expérience, détaille-t-il. C’est compréhensible mais c’est frustrant de devoir en référer systématiquement au chef, même s’il reste dans la voiture et que c’est vous qui sautez sur l’individu. »

Jennifer, elle, a carrément le sentiment de « servir de bouche-trou ». « Au début, mon chef avait le souci de m’envoyer sur le terrain pour me former, explique-t-elle, mais depuis juin, on manque de plus en plus de monde dans mon commissariat, et je suis restée à l’accueil, d’où je fais en plus les garde à vue et les renseignements d’identité, avec une seule collègue. » Des conditions qui ne rassurent pas la jeune ADS, qui raconte : « Il y a quelques mois, un homme est arrivé dans le commissariat et il est passé derrière le comptoir où était ma collègue, ça aurait pu mal tourner. » Pour elle, c’est surtout le rythme qui est difficile à suivre : « On fait deux jours de 13 heures à 21 heures, puis deux jours de 4 h 50 à 13 heures, puis deux jours de repos, ce qui signifie qu’on a une nuit où on finit à 21 heures, ce qui, dans les faits, revient souvent à 22 heures, et qu’à 4 h 50 le lendemain on est déjà au poste. » Ce qui signifie aussi une vie « à part », avec un week-end « une fois toutes les six semaines ». Et depuis mai, Jennifer n’a pu prendre que quatre jours de congés, « faute de personnel suffisant ».

Ces jeunes policiers sont exposés à des situations parfois humainement éprouvantes, sans jamais y avoir été préparés au cours de leur formation. « Pour ça, la réaction, ça dépend des êtres humains, pas du grade, ça m’est déjà arrivé de devoir soutenir des gardiens de la paix en arrivant sur un accident, parce qu’eux avaient craqué et pas moi », relativise Aurélie. Pour Jennifer, « le plus dur, c’est la misère des gens à - laquelle on est confrontés ». Son plus grand choc : « Avoir assisté en direct à une défenestration, sans avoir rien pu faire. » Certains ne tiennent pas. « On sait très vite si on est fait pour ce métier, il y en a qui abandonnent tout de suite », commente Aurélie. Et même avec leur statut, les ADS ne sont pas exemptés de « faire du chiffre ». « La prime de fin d’année en dépend », explique la jeune adjointe. Affectée en ce - moment à la circulation, elle en sait quelque chose… Jennifer aussi : - récemment, elle a été rappelée à l’ordre pour n’avoir mis aucune amende. « Ils n’avaient pas réalisé que, depuis plusieurs mois, je ne peux plus en mettre, je suis derrière le comptoir toute la journée. »

(1) Tous les prénoms et les lieux ont été modifiés.

L'Humanité - 12.10.09

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