À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

14/10/2009

Thomas Lemahieu

Sarkozy le présentait comme "l’arme anticrise" : le Fonds stratégique d’investissement remplit en toute opacité les caisses d’entreprises qui continuent de licencier.

Á l’entrée de l’usine, ils ont suspendu leurs bleus de travail, ces vieilles loques trop lourdes à porter désormais. Sur les murs extérieurs, ils ont peinturluré des « boum ! », aligné les zéros qu’ils espèrent déjà arracher en guise d’indemnités, étalé leurs slogans vengeurs, entre obscurs présages et menaces claires. Les derniers ouvriers sont là, dans la bise, détrempés. Leur taule est à l’arrêt, déjà condamnée, pas encore crevée. Le fond de l’air est humide, et terriblement vide surtout : depuis des décennies et des décennies ‚â 1922 exactement , Chauny, leur petite bourgade de l’Aisne, vit au rythme de ses usines de câbles passées de la Compagnie générale d’électricité à Thomson, puis Alcatel, puis Nexans. Tous ces noms qui les relient aux fleurons industriels du pays, la fierté de cette ville picarde, son système nerveux aussi : ces usines-là ont fait travailler des milliers de gens, nourri des générations d’habitants. Cette coulée de cuivre continue, première en Europe et deuxième mondiale, on peut dire que ses effluves ont longtemps embaumé le coin. Mais, depuis l’annonce, il y a quinze jours, de la fermeture de la coulée et de la tréfilerie Nexans (220 licenciements à Chauny, sur 387 suppressions d’emplois au total en France), la ville tout entière ne sent plus rien. Comme tétanisée sous ce manteau de larmes qui vient à la fois la couver et l’étouffer. Ce cataclysme social, encore en germe, ne devait pas arriver. C’était impossible. Á en croire les promesses présidentielles, les gars de Chauny, c’est le sourire qu’ils auraient dû avoir aux lèvres : début juillet, la multinationale française Nexans (22 400 salariés dans le monde, dont 3 000 en France, une marge opérationnelle à 8,9 % et 195 millions d’euros de profits en 2008) a bénéficié d’un investissement de 60 millions d’euros de la part d’un actionnaire pas tout à fait comme les autres, le Fonds stratégique d’investissement (FSI) tant vanté par Nicolas Sarkozy comme sa véritable « arme anticrise » censée défendre le travail et les usines en France.

Et, à peine trois mois plus tard, voilà qu’avec les largesses de ce fonds à capitaux exclusivement publics, le groupe programme le saccage de l’emploi, en supprimant 14 % de ses effectifs sur le territoire de son berceau historique, qui demeure aussi son principal marché !

« Cet argent ne peut pas servir pour investir dans des unités déficitaires », ont osé arguer, devant les salariés, les dirigeants de Nexans. Sur place, le vacarme du scandale commence à parasiter la complainte des licenciements. David Quillet, délégué syndical central CGT, soupire : « Franchement ? Je sais que le FSI est rentré dans le capital du groupe, mais c’est tout ! » Á Fumay (Ardennes), sur un autre site de Nexans où 53 licenciements viennent d’être annoncés, Eugenio Pirronitto, délégué CGT et membre du comité de groupe européen, réclame, par courrier recommandé, une entrevue avec Gilles Michel, le directeur général du FSI. « Ce fonds devait servir à consolider les positions des fleurons industriels et à préserver les emplois en France, se souvient-il. Il ne peut en aucun cas être utilisé pour restructurer ou délocaliser. Or, dans le cas de Nexans, il y a manifestement un petit doute… »

Á Paris, au Conseil d’orientation stratégique, censé être, selon Nicolas Sarkozy, le « gardien de la cohérence et des équilibres de l’action du fonds », les syndicats sont pour le moins fumasses. « Nous n’avions aucune information sur les conséquences sociales du projet ! s’insurge l’un de leurs représentants. N’ayant aucun pouvoir réel dans la gouvernance du FSI, nous ne disposons que de l’information qu’ils veulent bien nous donner. Manifestement, le patron de Nexans se sert du FSI pour améliorer ses fonds propres, mais après, c’est vraiment : “Circulez, y a rien à voir !” »

Dans toute sa communication financière, le groupe, plutôt florissant, avoue ne viser qu’un objectif : « Faire de Nexans, un groupe plus rentable. » Sur le terrain, cela signifie par exemple que, depuis des années, la direction de l’usine organise la sous-activité de son site industriel à Chauny. « Le groupe a trois coulées continues de cuivre en Europe et celle de Chauny est à la fois la plus performante et la plus productive, pointe David Quillet. Chez nous, toutes les installations sont doublées, c’est unique au monde ! Mais la direction de Nexans s’en fiche, ils ont décidé qu’on était en surcapacité et que, de toute façon, cette activité ne produisait plus assez de valeur ajoutée. »

Au FSI, où travaillent un petit commando d’as de la finance débauchés dans les banques d’affaires et les fonds d’investissement traditionnels, on s’excuse de ne pas s’immiscer du tout dans la stratégie industrielle de Nexans. « Moi, je ne sais pas quand le plan social a été préparé, avance le porte-parole du FSI. Nous n’avons pas à décider de la stratégie de l’entreprise, ni de sa gestion. Si on arrivait en disant à l’entreprise qu’on veut jouer un rôle important, elle n’accepterait pas que l’on entre dans son capital. Nous pouvons discuter par exemple du reclassement des salariés, mais c’est l’entreprise qui garde la main. »

Pour Jean-Luc Lanouilh, conseiller général PCF de Chauny et vice-président de l’assemblée départementale, cette légèreté est inacceptable : « Le groupe Nexans est en excellente santé financière, il distribue des dividendes de plus en plus conséquents. On ne voit vraiment pas au nom de quoi le FSI se désintéresserait des conséquences des choix industriels des groupes dans lesquels il investit ! » Opacité complète pour les ouvriers et leurs représentants, transparence totale pour les patrons et leurs actionnaires, privés… ou publics ! En avril, Nexans promet d’« accentuer très fortement ses actions de restructurations » et, en juillet dernier, au moment de l’entrée officielle du FSI dans le capital de la multinationale, Frédéric Vincent, son PDG, se félicite bruyamment : « Le FSI connaît les enjeux auxquels un groupe industriel global comme le nôtre doit faire face. » Détail piquant, à la limite du conflit d’intérêts : le FSI connaît d’autant mieux la stratégie de Nexans qu’un des membres du comité exécutif du fonds, Jérôme Gallot, président de CDC Entreprises, filiale de capital-investissement de la Caisse des dépôts, siège au conseil d’administration du leader mondial du câble depuis 2007.

Alors que Nexans a provisionné des dizaines de millions d’euros pour la restructuration envisagée et qu’il vient de distribuer près de 56 millions d’euros à ses actionnaires, à quoi servent donc les 60 millions d’euros du FSI ? Á Chauny comme à Fumay, ou sur les autres sites de Nexans en France, les ouvriers en sont de plus en plus convaincus, le FSI est un fonds d’investissement comme les autres. Ni plus ni moins rapace que les autres. Un fonds qui ne crache même pas sur les « licenciements boursiers » de ceux qui l’ont abondé par leurs impôts…

L´Humanité - 14.10.09

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