Le projet de loi de Finances 2010 est un formidable révélateur. De la part des commentateurs, d’abord : ce n’est plus la crise qui leur importe, ils l’ont enterrée, c’est – à nouveau – le déficit public. Mais il est surtout révélateur d’un choix de société fait par le gouvernement.
Du côté des commentateurs, l’accent est mis sur les 141 milliards d’euros de déficit de l’Etat. Ajoutés au déficit prévisionnel des organismes sociaux, ils devraient amener le déficit public total à franchir la barre des 160 milliards d’euros, soit 8,2 % du produit industriel brut (PIB). La faute à la crise disent les commentateurs, crise qui a réduit comme peau de chagrin les recettes fiscales (– 53 milliards d’euros) et amené à injecter des montants élevés au titre du plan de relance (+ 15 milliards). En 2010, le déficit de l’Etat devrait être ramené à 116 milliards, mais il faudrait y ajouter le coût du grand emprunt et le déficit des organismes sociaux, estimés aux alentours de 48 milliards d’euros. Si bien que l’ensemble du déficit public l’année prochaine pourrait atteindre...170 milliards d’euros. Un chiffre qui donne le vertige et qui inquiète, soulignent les commentateurs.
De tels commentaires ne sont pas faux, mais ils oublient suffisamment d’éléments pour présenter une appréciation faussée de la réalité. Le creusement des déficits est, pour partie, le prix à payer collectivement pour empêcher que l’économie ne plonge dans une spirale dépressive. Il s’agit donc d’une sorte d’investissement collectif qui, comme tout investissement collectif, devrait être financé par des prélèvements reposant sur tout le monde, et plus particulièrement sur les plus favorisés : non seulement parce qu’ils ont davantage de moyens que les autres, mais aussi parce que c’est surtout au sein de ces groupes que s’est développée la cupidité en faveur de placements financiers qui – au niveau mondial, et pas seulement français, évidemment – sont à l’origine de la crise actuelle. La moralité autant que la justice sociale exigeraient donc que ces couches sociales soient, plus que les autres, mises à contribution. Or elles ne le seront pas, protégées comme elles sont par le bouclier fiscal qui limite les prélèvements à la moitié du revenu des plus favorisés, par les niches fiscales qui continuent de proliférer et par la quasi-suppression des droits de successions [1] .
Pis : le gouvernement se vante de réduire les prélèvements obligatoires, en baisse de deux points en 2009 par rapport à 2008 et qui devraient demeurer stables (à 40,7 %) en 2010). Cela pourrait se comprendre s’il s’agissait d’une baisse conjoncturelle pour empêcher que le pays s’enfonce dans la dépression. Mais il ne s’agit pas de cela : la suppression de la taxe professionnelle (11,6 milliards de moins pour les finances publiques en 2010, 7 milliards de moins ensuite), la baisse de TVA dans la restauration (– 3,5 milliards en année pleine, conservés aux trois quarts par les entreprises concernées), les exonérations de cotisations sociales et d’impôts sur les heures supplémentaires pour un coût public de l’ordre de 4 milliards d’euros (malgré la crise, les heures sup’ n’ont diminué que de 10 % en un an, alors que l’emploi intérimaire diminuait de 35 % et les embauches en CDD de plus de 20 % : il est donc clair qu’il y a substitution entre ces formes d’emploi), les avantages fiscaux croissants en faveur des employeurs de personnes à domicile. Au total, les baisses d’impôts et de cotisations sociales remboursées par l’Etat mises en œuvre en 2009 et 2010 représenteront chaque année une quarantaine de milliards, dont les trois quarts au bénéfice de certaines entreprises et des couches sociales favorisées.
Il est donc pour le moins étonnant de voir la discussion se focaliser sur la taxe carbone (2,5 milliards d’euros, dont la moitié sera reversée aux ménages) alors que l’ensemble de la collectivité est appelée à s’endetter lourdement pour réduire la fiscalité de personnes ou d’organismes qui, dans l’ensemble, ne sont pas vraiment à plaindre.
Ce projet de Loi de Finances utilise la crise pour accentuer des réductions fiscales à destination des milieux qui ont le moins souffert. Le déficit se creuse moins pour relancer l’économie que pour réduire des prélèvements perçus comme excessifs et prédateurs. Par-delà le retour apparent du keynésianisme (le creusement des déficits publics), on retrouve l’idéologie libérale de fond, laquelle demeure le credo du chef de l’Etat : les prélèvements fiscaux et sociaux freinent l’économie et le dynamisme des acteurs. Il nous refait pour ainsi dire le coup de Reagan en 1981 : une baisse pharamineuse d’impôts au profit des classes aisées, camouflée en un soutien keynésien à une économie alors en plein ralentissement. Quitte à ce que, comme dans le cas de Reagan, les déficits publics creusés par ces politiques libérales handicapent le présent des moins favorisés et le futur de tous.
Mariann2 - 16.10.09
Du côté des commentateurs, l’accent est mis sur les 141 milliards d’euros de déficit de l’Etat. Ajoutés au déficit prévisionnel des organismes sociaux, ils devraient amener le déficit public total à franchir la barre des 160 milliards d’euros, soit 8,2 % du produit industriel brut (PIB). La faute à la crise disent les commentateurs, crise qui a réduit comme peau de chagrin les recettes fiscales (– 53 milliards d’euros) et amené à injecter des montants élevés au titre du plan de relance (+ 15 milliards). En 2010, le déficit de l’Etat devrait être ramené à 116 milliards, mais il faudrait y ajouter le coût du grand emprunt et le déficit des organismes sociaux, estimés aux alentours de 48 milliards d’euros. Si bien que l’ensemble du déficit public l’année prochaine pourrait atteindre...170 milliards d’euros. Un chiffre qui donne le vertige et qui inquiète, soulignent les commentateurs.
De tels commentaires ne sont pas faux, mais ils oublient suffisamment d’éléments pour présenter une appréciation faussée de la réalité. Le creusement des déficits est, pour partie, le prix à payer collectivement pour empêcher que l’économie ne plonge dans une spirale dépressive. Il s’agit donc d’une sorte d’investissement collectif qui, comme tout investissement collectif, devrait être financé par des prélèvements reposant sur tout le monde, et plus particulièrement sur les plus favorisés : non seulement parce qu’ils ont davantage de moyens que les autres, mais aussi parce que c’est surtout au sein de ces groupes que s’est développée la cupidité en faveur de placements financiers qui – au niveau mondial, et pas seulement français, évidemment – sont à l’origine de la crise actuelle. La moralité autant que la justice sociale exigeraient donc que ces couches sociales soient, plus que les autres, mises à contribution. Or elles ne le seront pas, protégées comme elles sont par le bouclier fiscal qui limite les prélèvements à la moitié du revenu des plus favorisés, par les niches fiscales qui continuent de proliférer et par la quasi-suppression des droits de successions [1] .
Pis : le gouvernement se vante de réduire les prélèvements obligatoires, en baisse de deux points en 2009 par rapport à 2008 et qui devraient demeurer stables (à 40,7 %) en 2010). Cela pourrait se comprendre s’il s’agissait d’une baisse conjoncturelle pour empêcher que le pays s’enfonce dans la dépression. Mais il ne s’agit pas de cela : la suppression de la taxe professionnelle (11,6 milliards de moins pour les finances publiques en 2010, 7 milliards de moins ensuite), la baisse de TVA dans la restauration (– 3,5 milliards en année pleine, conservés aux trois quarts par les entreprises concernées), les exonérations de cotisations sociales et d’impôts sur les heures supplémentaires pour un coût public de l’ordre de 4 milliards d’euros (malgré la crise, les heures sup’ n’ont diminué que de 10 % en un an, alors que l’emploi intérimaire diminuait de 35 % et les embauches en CDD de plus de 20 % : il est donc clair qu’il y a substitution entre ces formes d’emploi), les avantages fiscaux croissants en faveur des employeurs de personnes à domicile. Au total, les baisses d’impôts et de cotisations sociales remboursées par l’Etat mises en œuvre en 2009 et 2010 représenteront chaque année une quarantaine de milliards, dont les trois quarts au bénéfice de certaines entreprises et des couches sociales favorisées.
Il est donc pour le moins étonnant de voir la discussion se focaliser sur la taxe carbone (2,5 milliards d’euros, dont la moitié sera reversée aux ménages) alors que l’ensemble de la collectivité est appelée à s’endetter lourdement pour réduire la fiscalité de personnes ou d’organismes qui, dans l’ensemble, ne sont pas vraiment à plaindre.
Ce projet de Loi de Finances utilise la crise pour accentuer des réductions fiscales à destination des milieux qui ont le moins souffert. Le déficit se creuse moins pour relancer l’économie que pour réduire des prélèvements perçus comme excessifs et prédateurs. Par-delà le retour apparent du keynésianisme (le creusement des déficits publics), on retrouve l’idéologie libérale de fond, laquelle demeure le credo du chef de l’Etat : les prélèvements fiscaux et sociaux freinent l’économie et le dynamisme des acteurs. Il nous refait pour ainsi dire le coup de Reagan en 1981 : une baisse pharamineuse d’impôts au profit des classes aisées, camouflée en un soutien keynésien à une économie alors en plein ralentissement. Quitte à ce que, comme dans le cas de Reagan, les déficits publics creusés par ces politiques libérales handicapent le présent des moins favorisés et le futur de tous.
Mariann2 - 16.10.09
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