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16/10/2009

L’illusion de grandeur américaine

Neal Gabler

Le cliché le plus éculé et le plus répété dans le discours politique américain est sans doute que l’Amérique est la plus grande nation au monde. Tout homme politique, qu’il soit démocrate ou républicain, se doit apparemment de faire sienne cette idée de l’exceptionnalisme américain, et malheur à celui qui pense autrement. Ce pays est « le dernier et le meilleur espoir de l’humanité, » ou encore « la ville lumineuse sur la colline, » ou bien celui de la « grande aventure sociale ». Comme si cela ne suffisait pas, Jimmy Carter a encore fait monter les enchères dans la servilité, il y a 30 ans de cela, en mettant en circulation la formule la plus accablante de la vie politique contemporaine américaine. Il avait alors appelé de ses voeux un gouvernement qui soit « aussi bon que le peuple américain », réincorporant ainsi la grandeur nationale en chacune et chacun d’entre nous.

Le souvenir du Watergate était vivace lorsque Carter s’est exprimé ainsi, et le gouvernement venait d’être discrédité, mais il n’empêche. La réalité en la matière, c’est que chaque fois que quelque chose de vraiment important a été accompli par notre gouvernement, c’est précisément parce qu’il s’est mieux conduit que le peuple américain.

Prenons l’exemple de la Seconde Guerre mondiale. L’entrée en guerre de l’Amérique fut vigoureusement combattue par la population jusqu’à ce que Franklin Roosevelt ait soigneusement préparé le terrain et que Pearl Harbor l’ait rendue inévitable. Pensez aux droits civiques, que Lyndon Johnson a impulsé, malgré une opposition massive, et pas seulement dans le Sud. Mais cela avait tout de même pris plus de 100 ans. Ou l’exemple du débat actuel sur le système de santé, dans lequel les Américains semblent vouloir une sorte de réforme, mais pas d’une réforme qui aiderait considérablement les gens dans le besoin, tandis que l’administration Obama s’efforce d’y parvenir. En fin de compte, le gouvernement a inspiré les Américains beaucoup plus que les Américains n’ont inspiré leur gouvernement. Ils sont bien trop occupés à se vanter.

Il n’y a rien de condamnable dans l’auto-satisfaction ou la fierté nationale. Mais les incessantes vantardises sur notre supériorité nationale adressées à tous les autres pays du monde ne sont pas uniquement déplaisantes et insultantes. Elles sont infantiles, comme celles d’un petit dur de cour d’école se vantant que « mon papa est meilleur que le tien ». C’est mal venu. Et ce pourrait être dangereux à la fois pour nous et pour le reste du monde.

Pensez à ce que cela signifie. En quoi une nation est-elle plus grande que toutes les autres ? Certes, les États-Unis disposent de grandes richesses matérielles - nous occupons le huitième rang dans le classement des produits intérieurs bruts par habitant - mais nous avons aussi, selon l’Organisation de Coopération et du Développement Economique, « les taux de pauvreté et d’inégalité les plus élevés » au monde, en dehors du Mexique et de la Turquie, et les choses vont en empirant. Il n’y a rien là dont on puisse se vanter.

Bien sûr, nous avons un revenu médian relativement élevé, mais notre niveau de vie, tel que mesuré par l’Indice de Développement Humain de l’Organisation des Nations Unies, nous classe en 15ème rang dans le monde, derrière entre autres la Norvège, la France, le Canada et l’Australie. Sont-ils meilleurs que nous ? Même notre taux d’accession à la propriété est à la traîne derrière ceux du Canada, de la Belgique, l’Espagne, la Norvège, et même du Portugal.

Oui, les États-Unis ont le meilleur système d’enseignement supérieur au monde, mais selon un rapport de l’Educational Policy Institute, nous nous classons au 13ème rang si l’on mesure la facilité de l’accès à l’éducation, et nous avons beaucoup moins de succès avec le premier cycle - en 11ème place dans la tranche de population de 25 à 34 ayant obtenu un diplôme d’études secondaires, et 22èmes pour l’enseignement des sciences.

Bien que les Américains aiment se vanter d’avoir le « meilleur système de santé » du monde, le fait est que selon l’indice de l’Organisation Mondiale de la Santé, nous nous classons actuellement 37ème par la qualité notre système de soins. Et nous sommes le seul pays industrialisé au monde dépourvu d’un système d’assurance santé public généralisé.

Même lorsque l’on examine les preuves anecdotiques du genre : « Si les USA ne sont pas la plus grande nation, pourquoi alors tant de gens veulent venir chez nous ? », le dossier n’est pas particulièrement convaincant. Les mexicains traversent la frontière en raison de la différence de niveau économique. Les Turcs vont en Allemagne, les Indiens et les Pakistanais en Grande-Bretagne, les Arabes en France. Ce n’est pas un signe de notre grandeur particulière. Mais cela est simplement dû au fait que les gens cherchent désespérément à rejoindre une économie plus développée pour assurer leur mieux être.

La conclusion de tout ceci, ce n’est pas que l’Amérique n’ait pas grand-chose dont elle puisse être fière. Elle a des raisons de l’être. Mais le fait est que presque tous les pays ont bien des raisons d’être fiers, et l’Amérique n’a pas plus de titre à s’estimer la plus grande nation au monde que n’en auraient France, la Suisse, la Chine ou la Russie.

Rien de tout ceci n’aurait grande importance si cette auto-congratulation ne donnait lieu qu’à d’inoffensives vantardises. Mais elle a des conséquences. Une nation qui croit qu’elle est la plus grande au monde est également moins susceptible de se sentir contrainte par ce monde. On pourrait affirmer que la guerre en Irak a été une conséquence directe d’un sentiment d’infaillibilité nationale. D’où provient également notre volonté de recourir à la torture, notre réticence à admettre nos erreurs en Afghanistan, notre culpabilité dans la récession mondiale, et nos atermoiements sur le réchauffement climatique. Une telle nation est également moins inclinée à pratiquer l’introspection ou à s’efforcer d’atteindre à la vraie grandeur, parce qu’elle croit que cette grandeur est déjà sienne.

Il y a quelque chose de bizarre dans un pays dont les dirigeants doivent constamment flatter leurs électeurs et dans lequel toute critique équivaudrait à un manque de patriotisme, mais c’est pourtant la situation de l’Amérique d’aujourd’hui. Chaque politique se sent obligé d’imiter les propos de Jimmy Carter, à tel point que notre grandeur présumée s’est transformée en devise nationale.

Il semble qu’une éternité se soit écoulée depuis que Bobby Kennedy, qui lui ne se plaisait pas à cajoler ses propres partisans, ait reproché à des manifestants d’avoir hué Lyndon Johnson, parce que, avait-il dit, Johnson n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait au Vietnam si le peuple américain, y compris ces manifestants, ne l’avait pas permis.

Nous n’entendrons plus désormais ce genre de déclarations honnêtes de la part des dirigeants politiques car le peuple américain est devenu trop susceptible et trop arrogant pour les tolérer. L’arrogance chez un individu est inconvenante. Elle n’est pas plus admissible pour une nation. Les Grecs savaient que les dieux punissaient les mortels pour leur hubris, leur orgueil - le sentiment d’être divin. Ils savaient que l’orgueil démesuré précédait la chute. On peut penser que les nations ne sont pas plus à l’abri de la punition que ne le sont les individus. Une nation qui ne tolère aucune critique, une nation qui se sent toujours supérieure à toute autre, une nation qui doit être flattée sans cesse et n’affronte pas la vérité, une nation dont les individus croient qu’ils bénéficient d’une forme d’exonération morale et de sagesse particulière, une nation dépourvue d’humilité est une nation promise à quelque calamité.

Nous vivons dans un paradis illusoire. Si cela ce traduit par un gouvernement aussi doué que le peuple américain, tout le monde devrait être inquiet.

ContreInfo - 14.10.09

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