Nous entamions notre descente d’une altitude de 6000 mètres lorsque l’hôtesse de l’air s’est penchée au dessus de ma voisine, une dame âgée, pour me tapoter sur l’épaule.
« J’écoute Lady Gaga, » lui dis-je, tout en retirant mes écouteurs. Je ne connaissais pas cette Lady Gaga, mais sa performance la semaine dernière à la TV était fascinante.
« Les pilotes voudraient vous voir dans la cabine de pilotage lorsque nous débarquerons, » me dit-elle avec l’accent du sud.
« J’ai fait quelque chose de mal ? »
« Non, ils ont quelque chose à vous montrer. » (La dernière fois qu’une employée de compagnie aérienne a voulu me montrer quelque chose c’était une lettre de réprimande reçue pour avoir mangé un plateau-repas sans le payer. « Eh Oui... » m’avait-elle dit, « nous devons désormais payer pour nos repas pris à bord ».)
L’avion a atterri et je suis entré dans le cockpit. « Lisez ceci, » me dit le commandant de bord. Il me remet alors un courier reçu de la compagnie aérienne, intitulé « lettre d’avertissement ». Ce pauvre gars avait pris trois jours d’arrêt maladie cette année, semble-t-il. Cette lettre l’avertissait de ne pas en prendre d’autre.
« Super », lui dis-je. « C’est tout ce que je veux ! Vous venez travailler en étant malade, m’emmenez dans les airs, puis me demandez d’emprunter le sachet à vomi accroché au dos du siège... »
Il me montre alors sa feuille de paie. Il a ramené 405 dollars à la maison cette semaine. Ma vie était entièrement entre ses mains depuis une heure et il est moins payé que le gamin qui me livre des pizzas.
Je leur ai dit que toute une partie de mon dernier film était consacrée à la façon dont les pilotes sont traités (montrant à travers cet exemple comment les salaires ont été sabrés et la classe moyenne décimée). Dans le film, je rencontre un pilote d’une grande compagnie aérienne qui n’a gagné que 17 000 dollars l’an dernier (11 500 €). Durant quatre mois, ses revenus étaient si bas qu’il pouvait bénéficier du programme de coupons d’aide alimentaire - et en a obtenu. Dans le film, il y a un autre pilote qui a un deuxième emploi de « promeneur de chien ».
« J’ai un deuxième emploi ! », se sont exclamés à l’unisson les deux pilotes. L’un fait des remplacements d’enseignants. L’autre travaille dans un café. C’est peut-être une de mes lubies, mais il y a deux professions dont les membres ne devraient pas s’embarrasser d’un deuxième emploi : les chirurgiens du cerveau et les pilotes d’avion. C’est fou.
Je leur ai raconté comment le commandant de bord « Sully » Sullenberger (celui qui a posé sans problème un avion de ligne dans la rivière Hudson) avait témoigné au Congrès qu’aucun pilote parmi ses relations ne veut que leurs enfants fassent ce métier. Les pilotes sont complètement démoralisés, a-t-il déclaré. Il a expliqué comment son salaire avait été réduit de 40% et son fond de retraite supprimé. La plupart des journaux TV n’ont pas rapporté ses déclarations et les parlementaires les ont rapidement oubliées. Ils voulaient simplement lui voir tenir le rôle de « héros ». Mais lui, était investi d’une mission plus importante. Il est présent dans mon film.
« Je n’ai entendu parler nulle part de ces choses au sujet des compagnies aériennes dans ce nouveau film, » m’a dit le pilote.
« Non, vous ne pouviez pas, lui ai-je répondu. « La presse aime bien parler de moi, mais pas du film. »
Et c’est vrai. J’ai été surpris (et un peu irrité) qu’avec tout ce qui a été dit et écrit au sujet de « Capitalisme : une Histoire d’Amour, » on se soit si peu intéressé à ce qu’il contenait d’ahurissant : les pilotes utilisant des coupons alimentaires, les entreprises qui souscrivent en secret des polices d’assurance-vie sur leurs employés en espérant qu’ils meurent jeunes afin qu’elles puissent en bénéficier, des juges percevant des commissions occultes des prisons privées en y envoyant des innocents (des gamins). La recherche du profit est assassine.
Et tout spécialement quand votre pilote a commencé sa journée de travail à 6h du matin au Starbucks du coin.
ContreInfo - 12.10.09
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