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20/07/2009

La mission néocoloniale d’Obama en Afrique

Ann Talbot - Mondialisation.ca, Le 19 juillet 2009

La semaine dernière, après le sommet du G8 en Italie, Barack Obama s’est rendu à Accra, la capitale du Ghana en Afrique de l’Ouest, pour sa première visite en Afrique subsaharienne depuis qu’il est président. « Le sang de l’Afrique coule dans mes veines », a-t-il dit à son auditoire ghanéen, « et l’histoire de ma famille reflète les tragédies et les triomphes de l’histoire africaine plus large ».

La valeur de l’héritage familial d’Obama a été remarquée très tôt dans sa campagne présidentielle par Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter et personnage clé dans l’élaboration de la politique étrangère d’Obama. En août 2007, Brzezinski a déclaré qu’Obama « admet que le défi est de présenter un nouveau visage, une nouvelle direction, une nouvelle définition du rôle des Etats-Unis dans le monde ».

Brzezinski est l’un des personnages importants de l’establishment de la politique étrangère américaine qui ont vu en Obama le moyen de donner aux Etats-Unis un « nouveau visage » au reste du monde. Après les bavures et les échecs de l’impérialisme américain sous Bush, ils ont jugé que cela était crucial.

Obama n’a pas déçu au Ghana. Il a joué la carte de son ascendance africaine, tout comme il avait mis l’accent sur son héritage musulman le mois précédent au Caire.

L’image des deux enfants d’Obama sortant, éclairés par le soleil, de la « porte de non-retour » du château de Cape Coast, d’où tant d’Africains ne sont jamais revenus, est une photo soigneusement élaborée. En quittant ce théâtre de tant de souffrance humaine, Obama a déclaré : « Cela nous rappelle qu’aussi terrible que l’histoire puisse être, il est toujours possible de triompher. »

Cela voulait laisser entendre que peu importe ce dont a souffert l’Afrique dans le passé, et peu importe ce dont continue à souffrir le continent aux mains des banques, des sociétés et des gouvernements occidentaux, cela demeure la responsabilité, et la faute, des peuples africains eux-mêmes.

Obama a apporté un message intransigeant, expliquant de façon encore plus ouverte que ne l’aurait osé George Bush durant sa visite au Ghana l’an dernier que l’aide ne serait disponible qu’avec l’implémentation de politiques servant les intérêts du gouvernement et des entreprises américaines, et qu’elle se ferait plus rare à l’avenir.

« Le développement », a déclaré Obama devant les parlementaires, « dépend de la bonne gouvernance. C’est l’ingrédient qui manque à beaucoup trop d’endroits, et depuis beaucoup trop longtemps. C’est ce changement qui peut libérer le potentiel de l’Afrique. Seuls les Africains peuvent en être responsables. »

« Le futur de l’Afrique dépend des Africains », a-t-il répété.

Son discours contenait aussi une menace. « Nous avons la responsabilité de soutenir ceux qui agissent de manière responsable et d’isoler ceux qui ne le font pas, et c’est exactement ce que les Etats-Unis vont faire », a déclaré Obama.

Le correspondant de la BBC, Andrew Harding, a été frappé par le franc-parler avec lequel le président s’est senti capable de s’adresser à ses invités. Il écrit : « C’était un discours qui couvrait plusieurs questions, mais M. Obama a la capacité, en raison de son héritage et de son père qui est kényan, de parler aux Africains et de les rejoindre d’une manière dont plusieurs chefs d’Etat étrangers, je crois, trouveraient très difficile d’imiter. »

C’était « un message qu’aucun chef d’Etat occidental au teint clair n’aurait pu communiquer sans entraîner de ressentiment en Afrique et d’insultes politiquement correctes des critiques anxieuses à domicile », a dit Libby Purves, un chroniqueur pour le Times de Londres.

La référence désobligeante de Purves aux « critiques anxieuses » politiquement correctes est significative. Il est indéniable que toute les opportunités qu’à Obama de se présenter comme une alternative progressiste Bush « au teint clair » sont dues aux prétentions de ses apologistes de « gauche » ou libéraux selon lesquels un Afro-Américain à la Maison-Blanche est un gain pour les Noirs de partout et marque une nouvelle ère de la politique américaine et de la politique mondiale.

Le discours d’Obama fut chaudement accueilli par la droite républicaine. Bret Stephens, écrivant dans le Wall Street Journal sous le titre « Obama fait ce qu’il faut en Afrique », décrit le discours comme étant « de loin le meilleur de sa présidence. »

Ajoutant que, « Depuis que le premier ministre Harold Macmillan a donné son discours nommé « le vent du changement » (aussi au Ghana) il y a près de 50 ans [Le discours fut, en fait, donné en Afrique du Sud], la politique de l’Occident envers l’Afrique a consisté à donner de l’argent avec mauvaise conscience (ou à un client commode), sans poser de questions… Peut-être que ça prend un président qui n’est pas encombré par ce genre de culpabilité pour se débarrasser de cette politique. »

L’approvisionnement en aide a toujours été un mécanisme politique pour forcer les pays semi-coloniaux à poursuivre des politiques qui servent les intérêts des donateurs impérialistes. Mais alors que Bush était obligé de poser quelques gestes pour la forme, comme établir le Compte du défi du millénaire et augmenter le financement pour le sida et la malaria, Obama a utilisé la reconnaissance qu’on accorde à son ascendance afin d’insister de manière catégorique que les gouvernements africains doivent suivre la ligne américaine.

L’insistance d’Obama pour que le Ghana et d’autres gouvernements africains réalisent une « bonne gouvernance » est une demande pour plus de mesures de libre marché qui sont déjà imposées avec des résultats désastreux pour les conditions sociales de la population. « La « bonne gouvernance » signifie la privatisation des services essentiels comme les télécommunications, l’eau et l’électricité ainsi que les programmes sociaux comme la santé et l’éducation. Cela signifie aussi retirer les subventions aux petits agriculteurs et abolir les contrôles sur les importations.

Le Ghana est depuis longtemps engagé sur cette voie et cela explique pourquoi il a été choisi pour des visites par deux présidents américains. Bien que n’étant certainement pas l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, 70 pour cent de sa population demeurant dans les régions au Nord vivent avec moins d’un dollar par jour. L’espérance de vie n’est que de 58 ans. Les femmes doivent souvent marcher plus de trois kilomètres pour trouver de l’eau et elle est rarement propre.

La situation se détériorera davantage dans le proche avenir. La récession a frappé l’Afrique de plein fouet. Le Ghana fut l’un des pays ayant bénéficié de l’effacement de sa dette en 2005, mais avec la valeur de sa monnaie qui diminue, il revient rapidement endetté. La réponse du gouvernement a été d’imposer un budget d’austérité dans une tentative d’équilibrer les livres comptables.

Obama a fait passer le point focal de la « guerre contre le terrrorisme » de l’Irak vers l’Afghanistan et le Pakistan. Mais la place de l’Afrique dans la stratégie mondiale des États-Unis est en substance la même. Premièrement, l’Afrique demeure une source essentielle de ressources stratégiques comme le pétrole et le gaz naturel, mais aussi minéraux stratégiques. Deuxièmement, une grande partie de grandes voies maritimes du monde longent les côtes de l’Afrique. Il s’en suit que toute administration américaine doit considérer comme priorité la question de la domination des Etats-Unis sur l’Afrique.

Le discours d’Obama était destiné aux élites dirigeantes de toute l’Afrique, et le même message sera transmis par d’autres hauts responsables de l’administration. Obama n’a pu visiter le Kenya, le pays où son père est né, parce qu’une année après les élections et la violence intercommunautaire qui les a suivies, le pays est toujours instable. Mais le secrétaire d’Etat, Hilary Clinton sera à la tête d’une délégation pour entreprendre des pourparlers sur un accord commercial entre le Kenya et les États-Unis qui débuteront cet été.

Comme le voyage d’Obama, le principal but sera d’établir de nouveau l’hégémonie américaine sur cette région du monde, hégémonie qui est de plus en plus contestée par l’Europe, l’Inde et la Chine. Les vieilles puissances coloniales de l’Europe demeurent toujours un rival en Afrique. La France et la Grande-Bretagne ont des intérêts à défendre dans l’Afrique de l’Ouest. La Chine est par comparaison un nouveau venu. Le commerce entre l’Afrique et la Chine atteignait les 10 milliards $ en 2001. Aujourd’hui, il dépasse les 107 milliards $.

Le Ghana est depuis peu un producteur de pétrole. Les premiers barils ont été obtenus au début de cette année. Le Ghana intéresse les Etats-Unis tant pour ses réserves modestes de pétrole que pour la possibilité de devenir une base d’appui militaire permettant aux États unis de s’imposer dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Avec moins d’aide financière, Obama devra se reposer encore plus sur la puissance militaire américaine pour assurer sa domination sur l’Afrique, tant pour fournir ses clients en équipement militaire qu’en intervenant directement.

Aucun pays africain n’a encore offert aux Américains d’installer une base qui accueillera le nouveau commandement américain pour l’Afrique, Africom. Ghana pourrait bien être le premier si on en juge par l’attention qu’il reçoit de la Maison-Blanche. Obama a beaucoup insisté sur la « guerre contre la drogue » et a offert trois bateaux armés au Ghana pour qu’il puisse patrouiller ses côtes.

Le but des bases Africom est d’offrir le soutien logistique permettant le déploiement rapide de troupes très mobiles. Djibouti a offert une base d’une valeur inestimable pour ce genre d’opération en Somalie. Les forces spéciales américaines de Djibouti ont participé à l’invasion éthiopienne de la Somalie en 2006 en appui au gouvernement fédéral transitoire, ce qui a plongé ce pays dans un autre épisode de guerre civile. Obama a récemment augmenté l’aide militaire des Américains au régime somalien appuyé par les États-Unis.

Un réseau de bases de cette nature donnerait la possibilité aux États-Unis d’intervenir selon leur bon vouloir sous le couvert de forces armées mercenaires tant en affirmant cyniquement que les Africains sont en train de régler leurs problèmes entre eux, à la façon du discours d’Obama au Ghana.

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