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25/07/2009

L’actualité de la crise : Des mystères sans grand mystère

François Leclerc

Quand, de manière incorrigible, il ne nous est pas encore une fois annoncé les lueurs de l’aube de la reprise, comme si cette incantation pouvait tenir lieu de politique (même si elle devait être finalement exaucée), il nous est promis pour la suite des événements une longue période de faible croissance (sans nous expliquer pourquoi, rajoutant du mystère au mystère.)

Il n’est pourtant pas possible d’échapper au débat, qui va rebondir, non seulement sur la réalité de cette reprise tant attendue comme une sorte de miracle, mais également sur la forme qu’elle va emprunter. Nous y revenons donc : « L » ou « W » ? Une croissance pour longtemps atone ou une mini-reprise suivie d’une nouvelle récession ? Ce distinguo pourrait apparaître bien académique, à moins que les hypothèses et les raisonnements à la source de l’une ou l’autre de ces deux options ne soient dévoilés, permettant d’en comprendre les tenants et les aboutissants.

Plusieurs autres énigmes, dans les discours répétitifs que nous entendons, mériteraient d’être résolues. Le danger de l’inflation, ce chiffon rouge si fort agité alors que nous sommes encore en pleine récession. Ou le retour du « protectionnisme », alors que la contraction du commerce international résulte mécaniquement, pour l’essentiel, de la crise économique mondiale.

Il est possible de partir de trois très simples constatations pour tenter de contribuer à lever tout ce brouillard. Dans un premier temps, afin de comprendre pourquoi la croissance va être faible.

1/ Nous savions déjà que cette prophétie résultait du choix qui a été fait d’aider à la lente recapitalisation du système bancaire par des injections massives de liquidité des banques centrales et des programmes de garantie d’Etat, espérant ainsi procurer aux banques les moyens et le temps de digérer leurs gigantesques pertes, plutôt que de prendre à bras de corps le problème posé par ces dernières, en tirant un trait afin de remettre les compteurs à zéro.

2/ Nous pourrions y ajouter une deuxième redoutable raison : la diminution de l’endettement des ménages, qui ne va pas pouvoir continuer de se développer, ni même être relancé comme avant, va avoir comme conséquence la baisse de la consommation, et donc la diminution de la croissance. Toute politique de substitution va demander beaucoup de temps à être mise en place, si tant est qu’elle existe. Il n’y aura en tout cas pas d’incantations possibles.

3/ Enfin, il est pour le moins peu vraisemblable que la contribution des services financiers continue de se développer au sein du PIB des économies occidentales, on serait au contraire tenté de penser que la voilure va nécessairement être réduite.

Ces raisonnements s’entendent, bien entendu, mode de calcul du PIB inchangé. Et expliquent les grandes lignes de force de l’atonie prévisible de la croissance économique dans les pays « développés ».

Quels sont donc alors, si ces présupposés sont acceptés, les leviers dont vont disposer leurs économies ?

1/ Il est espéré de nouveaux forts gains de productivité, sans que leur origine soit clairement déterminée, en s’appuyant sur le précédent historique du lendemain de la seconde guerre mondiale, quand il a fallu trouver un relais de croissance à l’économie de guerre. L’idée des économistes qui défendent cette thèse, timidement envisagée, est que ces gains de productivité pourraient être affectés à l’augmentation prioritaire des revenus des ménages, dans un mouvement totalement inverse de celui qui a été constaté durant les dernières décennies, et qu’ainsi la consommation pourrait retrouver ses couleurs sans qu’il soit nécessaire de faire à nouveau appel au crédit dans des conditions scabreuses. C’est une élaboration qui demande, pour le moins, à être fondée.

2/ Un vaste réajustement économique est envisagé, afin de rééquilibrer un monde qui ne l’était pas, les dettes de l’un (les Etats-Unis) finançant les exportations de l’autre (la Chine), qui finançait les dettes du premier. L’idée est en quelque sorte de faire marcher les vases communicants en sens inverse, une fois encore. De développer la production et les exportations du premier, le marché intérieur du second. Ou encore de réindustrialiser d’un côté, de radicalement réorienter la production de l’autre. On conçoit qu’un tel chambardement économique demande du temps. Nous y voilà encore, du temps ! D’autant qu’une question insidieuse mérite d’être posée : si l’on proclame qu’il suffira à la Chine de développer la protection dans le domaine de la santé afin d’inciter les Chinois à davantage consommer (ce qui reste à démontrer, vu que la tendance à l’épargne des Chinois est un fait culturel profond alimenté par leur histoire), il faut aussi expliquer, pour rendre crédible l’hypothèse de ce réajustement mondial, comment procéder à la réindustrialisation des Etats-Unis. De quels secteurs d’activité parlons-nous, qui vont non seulement répondre aux besoins et attentes du marché intérieur américain, mais dont la production va également pouvoir être exportée (vers où ?). Le « green business » y suffira-t-il, c’est peu probable.

3/ Une troisième issue est envisagée, qui peut se révéler des trois la plus crédible, mais dont les effets sont très imprévisibles. Il s’agit du grand réajustement monétaire que les Etats-Unis appellent de leurs vœux depuis des années, qui résulterait selon eux d’une réappréciation du yuan, la monnaie chinoise. Et qui semblerait plutôt devoir s’opérer dans l’autre sens, via une dévaluation du dollar (car la boîte de Pandore est déjà ouverte, tout est question une fois de plus de temps). Rendre les exportations chinoises plus chères pour les consommateurs américains permettrait, certes, aux entreprises US d’envisager de reprendre des parts du marché intérieur. Mais ce bénéfice potentiel sera nécessairement accompagné d’autres phénomènes moins avenants. La dévaluation du dollar entraînera une hausse des taux des T-bonds américains, surenchérissant le coût du service de la dette, impliquant des coupes claires budgétaires importantes, nécessitant au final de nouveaux impôts. Toutes choses qui ne sont pas spécialement favorables à la croissance. A terme, cette dévaluation du dollar s’accompagnera inévitablement d’un recul de son utilisation dans les échanges commerciaux internationaux et d’une remise en cause de son statut de monnaie de réserve. Les Chinois ont des propositions à faire dans ce domaine, qui ne sont pas nécessairement du goût des Américains !

Alors, « L » ou « W » ? Pour répondre à cette question, il suffit de répondre à une autre : de nouveaux plans de relance publics vont-ils ou non être décidés et exécutés ? Car, de même que les banques centrales se sont substituées au marché interbancaire afin d’éviter l’effondrement du système bancaire (en état perpétuel de refinancement), dans cette époque hors normes que nous connaissons, les dépenses budgétaires des Etats ont pour objectif d’éviter tant bien que mal l’approfondissement de la récession que nous subissons. Ce sont elles qui sont à l’origine des lueurs de reprise auxquels ceux qui les voient se raccrochent. Et la question n’est pas, car elle est souvent posée à l’envers, de savoir quand les effets de ces plans vont « redescendre dans l’économie », et ainsi commencer à produire leurs bienfaits (espérant ainsi qu’il ne sera pas nécessaire de les renouveler), mais plutôt jusqu’à quand ils vont produire ceux qu’ils sont capables de générer et que l’on observe déjà… C’est pourquoi le débat sur la relance de la relance, engagé aux Etats-Unis, ne manquera pas d’atteindre prochainement l’Europe.

Il reste encore à tordre le cou à plusieurs contre vérités abondamment répandues. A propos du danger montant de l’inflation en premier lieu. On nous dit qu’il est aux portes et l’on presse les banques centrales d’envisager de rapidement stopper leurs multiples programmes ainsi que leurs injections de liquidités. Mais on oublie de signaler que ces liquidités ne redescendent que fort peu dans l’économie, précisément parce qu’elles ne concourent pas à leur objectif officiel, la relance du crédit par les banques, qu’elles sont utilisées par celles-ci pour leurs besoins propres de recapitalisation. Quel est alors le danger, si ce n’est pas, dans l’immédiat, celui de l’inflation ? Tout simplement la pression sur le marché obligataire public et la hausse des taux qu’induirait la crainte, chez les investisseurs privés, que les Etats se préparent à monétiser leurs dettes pour les soulager. Voilà ce qu’il s’agit d’éviter à tout prix. Voilà ce que s’efforce de faire Ben Bernanke, le président de la Fed. Stoppant les achats de T-bonds américains, ce qui produisait l’effet redouté (la hausse des taux n’a pas été stoppée), pour en désespoir de cause détailler devant le Congrès son arsenal d’armes permettant de retirer les liquidités du marché. Sans les utiliser, car il a précisé que la Fed n’envisageait pas de changer de politique. Et pour cause, car elle n’en a pas de rechange !

La monétisation de la dette étant donc un chemin difficilement praticable (rappelons que la hausse des taux obligataires publics impacte directement aux Etats-Unis sur les taux hypothécaires, risquant de faire à nouveau exploser la bulle du crédit immobilier), quelle autre voie reste-t-il aux Etats qu’ils ne nous annoncent pas encore ? Celle de coupes claires budgétaires et de hausses d’impôt, auxquelles il faudra bien venir. Encore une fois, ceci n’est pas une perspective encourageante pour l’augmentation de la consommation, levier favori de la croissance.

Le protectionnisme, enfin, est ce dernier monstre qui nous menace. Il faut là encore y regarder de plus près. Certes, une forte contraction du commerce international est en cours, qui résulte de la situation économique. Mais pour l’avenir, de quoi peut-il bien s’agir ? Du recours par les gouvernements à des mesures de protection de leur appareil de production (du genre « Buy American »), dont les effets ne produisent des effets en réalité qu’à la marge ? Ou, bien davantage, du résultat très imparfait et inaccompli de la lente évolution d’échanges et de déséquilibres en train de se remodeler, privilégiant le développement des marchés intérieurs des pays « émergents » (qui en ont bien besoin, mais il faut expliquer comment), ainsi que celui de la production des pays « développés » (une fois précisés les secteurs d’activité dans lesquels il pourrait intervenir) ? Il faudrait tout de même savoir ce que l’on veut !

Le Blog de Paul Jorion - 25.07.09

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