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24/07/2009

L’actualité de la crise : Une « régulation systémique » qui se présente bien mal

François Leclerc

Après avoir rappelé les centaines de milliards de dollars consacrés par l’Etat à sauvetage des banques, Barack Obama a, mercredi dernier lors d’une conférence de presse, voulu faire acte de franchise en déplorant que « ce que nous n’avons pas vu, à mon avis, c’est un changement de comportement et de pratiques à Wall Street ». Pour en tirer ainsi les conséquences : « Le fait est que si nous ne réformons pas les autorités de la régulation financière, les banques vont faire comme avant. Dans un sens, cela pourrait même être pire, parce que maintenant elles savent que le gouvernement peut considérer qu’elles sont trop grosses pour qu’on les laisse faire faillite. Si on ne leur impose pas de limites, elles prendront encore plus de risques ». Justifiant ainsi sa proposition de création d’un fonds de garantie des investissements les plus hasardeux, financée par les investisseurs eux-mêmes, afin que l’Etat n’ait plus à intervenir. Une manière de paradoxalement reconnaître, faisant preuve d’une certaine lucidité, que les banques allaient inévitablement reprendre des risques inconsidérés et qu’il n’était pas possible de les en empêcher.

Ayant déjà utilisé la métaphore de la maison brûlée pour parler de l’économie, et évoqué les traites pour lesquelles l’Etat était en retard de payement, Barack Obama s’efforce de rester au contact des Américains qui l’ont élu en tenant leur propre langage et exprimant leurs préoccupations. Leur demandant également d’être « patients » à propos de la poursuite de la montée du chômage, n’ayant rien d’autre à offrir, si ce n’est la réforme de la santé à venir. Or, les commentateurs mettent l’accent sur les très sérieuses difficultés qui l’attendent à propos de son adoption par un Congrès qui, tout en étant à majorité démocrate n’en est pas moins difficilement gouvernable. En réalité, Barack Obama est déjà arrivé à un tournant de son mandat présidentiel, dont il n’est pas certain qu’il va pouvoir bien le négocier. Car il a également beaucoup de mal à tenir son monde financier et à lui imposer une régulation, même à minima, et de garder dans l’immédiat un peu de tenue, alors que les signes se multiplient d’une poursuite de la crise.

Ce ne sont plus seulement les secteurs immobiliers commercial et résidentiel du crédit qui continuent d’être très préoccupants, alors que les tentatives de « lisser » le problème ne semblent pas donner de grands résultats. Le secteur des cartes de crédit est également une menace complémentaire grandissante pour de nombreuses banques et émetteurs.

Avec l’affaire CIT, dont le sauvetage par des investisseurs privés reste très chancelant, on a assisté à l’ouverture d’un nouveau front, celui du LBO (leveraged buy-out), c’est à dire des entreprises achetées par endettement bancaire et qui doivent rembourser celui-ci ensuite, et qui sont en grande difficulté en raison de la baisse des affaires. Les banques régionales, enfin, sont une bombe à retardement à ne pas négliger dans le paysage, car, contrairement aux méga-banques de Wall Street, elles subissent de plein fouet les effets de l’augmentation des défauts dans tous ces compartiments du crédit, sans pouvoir les compenser par de juteuses opérations financières, qui leur sont inaccessibles.

Illustration du mur auquel se heurte de plus en plus l’administration, avec ses pourtant timides réformes, Neal Wolin, l’adjoint du secrétaire américain au Trésor, a laborieusement planché mercredi devant l’Association américaine des banquiers (ABA), afin de défendre ses propositions. Annonçant à l’occasion la transmission d’un projet de loi au Congrès visant à créer un Conseil de surveillance des services financiers, dont la conception est attaquée de toutes parts. L’ABA ayant vivement critiqué l’idée initiale d’un régulateur principal (la Fed), depuis abandonnée sous cette forme, ainsi que la création d’une nouvelle agence gouvernementale chargée de la protection des consommateurs, au profit de sa proposition de création d’un « régulateur du risque systémique », empruntant à la philosophie de l’administration pour lui donner un contenu nettement plus restreint.

Le même jour, devant le Congrès, le président de la Fed, Ben Bernanke, proposait que celle-ci se voit attribuer la mission de la protection des consommateurs, dans une évidente tentative de définitivement couler le projet de création de cette agence. Barney Franck, le tout puissant président de la commission des services financiers à la Chambre des représentants, avait pour sa part déjà annoncé que le Congrès ne voterait pas avant septembre à propos du projet de loi portant sur cette agence. Afin de se donner le temps de mener à bien une puissante offensive dirigée contre le rôle prééminent que l’administration Obama entend donner à la Fed dans son dispositif de régulation, défendant l’idée qu’il est préférable de disposer d’une palette d’agences spécialisées, qui se partageraient les pouvoirs, afin de bien voir de tous les côtés. On peut penser qu’il s’agit plutôt de les diviser afin de les amoindrir. Le Sénat vient de son côté d’entrer dans la danse, pour encore plus compliquer le jeu.

Dans ces conditions de grande confusion, personne n’est aujourd’hui en mesure de dire quelle sera la couleur du lapin qui sortira du chapeau. La discussion portant essentiellement sur le dispositif institutionnel de la régulation, laissant au second plan les mesures elles-mêmes. Le temps jouant incontestablement pour Wall Street.

Lorsque l’on cherche à comprendre à l’étage en dessous ce qui se prépare, on constate vite qu’une pagaille noire y règne également. En particulier sur un sujet décisif, celui des chambres d’enregistrement et de compensation des produits financiers dérivés dits « OTC », négociés de gré à gré « over-the-counter ». Les projets dans ce domaine poussent comme des champignons, tant aux Etats-Unis qu’en Europe (six d’entre eux existent déjà). Or le projet de départ de cette future régulation prévoit que ses artisans à venir auront accès aux bases de données résultant de l’enregistrement de toutes les transactions de ces produits financiers, standardisés ou non, afin de disposer à tout moment d’une vue d’ensemble sur ce gigantesque marché et de détecter les dangers systémiques qui pourraient en provenir. Mais comment cela va-t-il bien pouvoir fonctionner ainsi, dans les conditions qui se préparent, avec l’existence de multiples chambres de compensation ? Comment les informations en provenance de chacune d’entre elles pourront être agrégées, afin de donner une réelle vue d’ensemble en temps réel aux régulateurs ?

En réalité, dans tous les dispositifs qui se prévalent de la philosophie du « risque systémique », ce même problème non résolu se pose. Comment passer d’une surveillance jusqu’à maintenant centrée sur les institutions financière prises isolément à celle des innombrables interactions qui existent entre elles ? Car c’est de ce phénomène que naît le « risque systémique »… Les limites de ce qui se prépare ne résident donc pas uniquement dans l’existence de trous subsistant dans le filet de la régulation, qui seront agrandis au fur et à mesure que le temps passera et les lobbies l’imposeront, ou bien même de contournements toujours possibles des mesures adoptées, mais de l’absence de toute méthodologie de prévention de ce « risque systémique », dont on veut nous faire croire qu’il pourra être maîtrisé, sans savoir comment.

Quant à PIMCO, le plus important des acteurs du marché obligataire américain, qui vient de jouer un rôle majeur dans le sauvetage de CIT, il vient de livrer sa vision de l’avenir. Il voit très clairement se dessiner la perspective d’une reprise en « W », c’est à dire d’une rechute en 2010 après une petite reprise, les effets des mesures de relance s’étant alors estompés et la consommation n’étant pas repartie. Dans ces conditions, il prévoit de continuer de fuir comme la peste le secteur des produits à « haut rendement » (les « junk bonds »), comme il les appelle, de diversifier les investissement hors des Etats-Unis, et de privilégier les obligations des entreprises dans les secteurs des utilities, de l’énergie et des télécoms. C’est dire ce qu’il pense du reste.

Blog de Paul Jorion - 24.07.09

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