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14/06/2009

Irak : les nouveaux escadrons de la mort

Shane Bauer

Le lumière du jour faiblit dans le ciel chargé de poussière de Bagdad lorsque Hassan Mahsan me rejoue la scène vécue par lui et sa famille l’été dernier. Nous sommes debout dans la cour d’une maison préfabriquée en béton, ses enfants nous observent en silence et sa femme fait tournoyer de larges galettes de farine et les plaque contre les parois brûlants d’un four. Il s’approche de sa fillette de trois ans et lui attrape la tête comme un melon. Derrière elle, ses bras effectuent des moulinets lorsqu’il fait semblant de lui attacher les mains, puis il pointe un fusil fictif sur sa tête. « Ils m’ont enlevé le bandeau, il ont pointé l’arme sur sa tête, l’ont armée puis ils m’ont dit : ‘dis-nous où est al-Zaydawi ou nous tuons ta fille.’ »

« Ils sont entrés dans la maison et ils ont pris tout ce qu’ils ont voulu, » raconte la mère de Hassan, en jetant un coup d’œil à travers la porte de la cuisine. « Je n’ai jamais vu un tel comportement. »

Hassan raconte. La nuit était calme ce 10 juin 2008, à Sadr City, la banlieue chiite pauvre de Bagdad de plus de deux millions d’habitants, lorsque l’hélicoptère s’est immobilisé au-dessus de la maison et la porte d’entrée a explosé, ratant de peu de bruler son fils cadet qui dormait. Avant qu’Hassan ne retrouve ses esprits, il était déjà plaqué au sol, les mains attachées et une cagoule sur la tête entouré de huit hommes qui pointaient leurs armes sur lui.

Au début il n’arrivait pas à savoir s’ils étaient Irakiens ou Américains. Il dit qu’il leur a décliné son identité, en se présentant comme sergent de la police et a offert de leur présenter une pièce d’identité. Ils ont juste saisi son arme et l’ont frappé et envoyé au sol. Il n’avait jamais vu des hommes d’une force irakienne se déplacer de la sorte. Ils avaient l’air et ils parlaient comme des irakiens, mais ils portaient des uniformes à l’américaine et des armes américaines équipés de systèmes de visée nocturne. Ils l’ont accusé d’être un commandant de la milice locale, l’Armée de Mahdi, avant de l’emmener, en déclarant à sa femme « c’est fini pour lui ». Mais avant de partir, ils se sont identifiés. « Nous sommes les Forces Spéciales. The Dirty Brigade (la brigade des basses oeuvres - ndt) », se souvient Hassan.

La Iraq Special Operations Forces (ISOF) est probablement la plus grande unité de forces spéciales jamais créée par les Etats-Unis, et elle échappe aux nombreux contrôles que la plupart des gouvernements exercent sur de telles unités. Le projet a démarré dans les déserts de la Jordanie peu après la prise de Bagdad par les Américains en avril 2003. Là, les forces spéciales de l’armée US, les Bérets Verts, ont entrainé des Irakiens dont la plupart avaient 18 ans, sans expérience militaire. Le résultat a dépassé les rêves les plus fous des Bérets Verts : la création d’une unité clandestine, dangereuse, d’élite, parfaitement équipée avec du matériel américain, qui allait opérer pendant des années sous commandement américain et qui n’avait pas de comptes à rendre aux autorités irakiennes.

Selon des rapports du Congrès, l’ISOF est désormais composée de 9 bataillons, répartis sur 4 « bases de commandos » régionales à travers l’Irak. D’ici décembre (2009), chacune sera complétée par une « cellule de renseignement » qui opérera en autonomie par rapport aux autres services de renseignement en Irak. L’ISOF est composée d’au moins 4,564 hommes, soit à peu prés autant que les propres Forces Spéciales de l’armée US en Irak. Les rapports du Congrès indiquent qu’il est prévu de doubler les effectifs dans les « prochaines années ».

Selon le Lt Colonel Roger Carstens, retraité, les Forces Spéciales US « sont en train de créer la force la plus puissante de toute la région. » En 2008, Carstens, avec un collègue du Center for a New American Security, était conseiller auprès de la Force Anti-terroriste Nationale Irakienne, où il a participé à la rédaction des lois antiterroristes irakiennes qui gouvernent l’ISOF.

« Tout ce que ces types veulent faire toute la journée c’est sortir et tuer des méchants » dit il en riant. « C’est types sont vraiment des bons. Ils sont aussi bons que nous. Nous les avons formés. Ils sont comme nous. Ils utilisent les mêmes armes. Ils marchent comme des Américains. »

Lorsque les Forces Spéciales US ont commencé à transférer progressivement le contrôle de l’ISOF aux Irakiens, ils ne l’ont pas donné aux Ministères de la Défense ou de l’Intérieure, qui sont les autorités normalement désignées pour contrôler les forces spéciales et ce partout dans le monde. Ici, les Américains ont fait pression sur le gouvernement irakien pour créer un nouveau ministère appelé le Bureau du Contre-Terrorisme. Fondé par un décret du Premier ministre irakien, Nuri al-Maliki, le BCT lui répond directement et contrôle l’ISOF indépendamment de la police ou de l’armée. Selon les instructions de Maliki, le Parlement irakien n’a aucun contrôle sur l’ISOF et ne connait pas grand-chose de sa mission. Les membres des Forces Spéciales US tels que Carstens ont largement contribué à la création du Bureau. Carstens dit qu’une telle chaîne de commandement indépendante « pourrait se révéler être la structure idéale » pour combattre le terrorisme dans le monde entier.

L’ISOF est officiellement sous le contrôle du gouvernement irakien mais la perception des Irakiens dans la rue est que l’ISOF – la brigade des basses oeuvres – constitue une branche clandestine et exclusivement irakienne de l’armée des Etats-Unis. Cette opinion n’est pas loin de la vérité. Les Forces Spéciales US sont encore étroitement impliquées dans tous les échelons de l’ISOF, de la planification aux opérations sur le terrain en passant par les choix tactiques et leur mise en œuvre. Selon le Brigadier Général Simeon Trombitas, commandant de l’Equipe de Transition de la Force Anti-terroriste Nationale Irakienne, membre du commandement multinational chargé du transfert de contrôle de l’ISOF au gouvernement irakien, les Forces Spéciales US continuent « de maintenir des conseillers à tous les échelons de la hiérarchie »

A partir de janvier 2008, les Forces Spéciales US ont autorisé les commandants de l’ISOF à participer à des missions conjointes avec les troupes de l’ISOF. A partir de l’été 2008 – l’époque où la famille de Hassan a été attaquée – les bataillons de l’ISOF ont commencé à lancer leurs propres missions, sans les conseillers américains, à Sadr City où les accords politiques interdisent l’entrée de la ville aux Américains. Des accusations de violations des droits de l’homme, d’assassinats et d’arrestations politiques ont commencé à circuler. On cite le cas d’une agression contre un président d’université et l’arrestation de politiciens de l’opposition.

Le gouvernement américain s’est consacré à former « autant d’hommes en armes que possible, dans un délai aussi court que possible » dit Peter Harling, analyste du Moyen Orient auprès de International Crisis Group. « Il y a eu très peu de pression pour créer des contrôles qui éviteraient les abus. Ils ont consacré toute leur énergie à créer une force sans prévoir la mise en place d’un contrôle pour éviter que ces unités ne deviennent l’armée privée d’un politicien quelconque. »

A Sadr City, l’opposition au gouvernement irakien et à l’occupation US est forte. Il n’y a plus de présence visible de milices, mais les portraits du religieux anti-américain Muqtada al-Sadr sont encore affichés sur le mur de béton, construit par les Etats-Unis, qui encercle la ville, et les appels à la prière se concluent par un appel au départ rapide de « l’ennemi ». Selon Hassan al-Rubaie, parlementaire sadriste de la Commission de Défense et de Sécurité, l’ISOF applique là-bas une politique de punition collective destinée à intimider les civils, « Ils terrorisent des quartiers entiers juste pour arrêter une personne qu’ils pensent être un terroriste, » dit-il. « Il faut que cela cesse. »

Les conseillers des Forces Spéciales américains n’ont pas fait grand-chose pour répondre à ces accusations. Les plaintes des civils, les manifestations publiques, les protestations des commandants de l’armée irakienne au sujet des actions de l’ISOF et les appels exigeant sa dissolution lancés par des membres du Parlement sont restés lettre morte et le gouvernement américain n’a toujours pas mené d’enquête sur cette force qu’il est lui-même en train de constituer. Au contraire, les conseillers américains balaient ces accusations en les qualifiant de manoeuvres politiques. « L’ennemi tente de les discréditer, » dit Carstens. « Pas parce qu’ils font quelque chose de mal. »

La nuit où la maison de Hassan Mahsan a été attaquée, le jeune Haidar al-Aibi, 26 ans, a été tué d’une balle dans en plein front. Sa famille dit qu’il n’y a pas eu de sommation. Ils me racontent leur histoire autour d’un thé dans leur salle à manger, meublée uniquement avec des coussins épais en mousse et des images pieuses du martyr chiite Hussein. Une femme sanglote dans un coin, l’enfant endormi de son fils disparu pratiquement invisible sous les plis de sa robe noire.

Fathil al-Aibi dit que sa famille a été réveillée vers minuit par une explosion toute proche. Son frère Haidar s’est précipité sur le toit pour voir ce qui se passait et il a été immédiatement abattu d’une balle tirée d’un toit voisin. Lorsque Fathil, son frère Hussein et son père, Abbas ont tenté de récupérer Haidar, ils ont à leur tour essuyé des tirs. Pendant deux heures son corps sans vie est resté sur le toit tandis que sa famille paniquait devant les points de lumière rouge des viseurs lasers des fusils qui dansaient sur leurs fenêtres. « Nous avions un examen le lendemain à l’université, » dit Hussein. « Nous ne pensions pas qu’il partirait ainsi ».

Plus loin sur la route, à peu près au même moment, le commando de la police Ahmed Shibli dit qu’il a lui aussi essuyé des tirs. Avec une lampe à kérosène il éclaire les marques des impacts dans sa maison. Les hommes qui ont défoncé sa porte se sont identifiés comme la Dirty Brigade, dit-il, et ils portaient des armes américaines au lieu des AK-47 ou des PKC de la Police Nationale. Lorsqu’ils sont entrés, ils ont immédiatement ouvert le feu. « Il n’y a pas eu de tir de sommation. Ils m’ont tiré dessus comme s’ils voulaient me tuer alors que je sortais du lit. Comme si nous étions des terroristes de premier plan. » Ils ont ouvert le feu une deuxième fois, dit-il, en blessant mortellement son père malade agé de 63 ans. Tandis que le vieillard saignait abondamment à la hanche, Ahmed raconte qu’ils ont posé un canon sur la tête de son garçon et ont forcé sa femme à fouiller la maison pour trouver son arme réglementaire qu’il avait laissée au bureau.

Ahmed et son frère ont été trainés à l’extérieur de la ville, avec Hassan. Là, on les a fait aligner dans le noir avec d’autres hommes. Hassan insiste pour apporter du crédit à son histoire et me montre la copie d’une plainte officiellement délivrée par un commandant local de l’armée, Mustafa Sabah Yunis, qui déclare qu’un « escadron armé inconnu » est entré dans la zone et l’a arrêté.

Pendant ce temps, des soldats de l’armée irakienne qui s’étaient précipités pour lui porter secours, selon Hussein al-Aibi, ont eux aussi été pris pour cibles. Il me dit que les soldats ont enlevé le corps de son frère du toit et l’ont conduit vers un hôpital. Sur le chemin, raconte Fathil, leur véhicule a été arrêté par un membre de la brigade des basses oeuvres qui a demandé au Major d’armée irakien Abu Rajdi où il allait. Selon Fathil, Rajdi a répondu « c’est un étudiant qui n’a rien à voir avec tout ça, et vous l’avez abattu sans raisons. » L’agent des forces spéciales a frappé Rajdi en disant « faites demi-tour, ou nous lui tirerons dessus et sur vous aussi. »

A l’enterrement de Haidar, Fathil a demandé à Rajdi de témoigner. « Vous êtes un représentant du gouvernement et vous avez vu ce qui s’est passé, » a-t-il dit au Major. « Vous avez vu qu’il était désarmé. » Fathil dit que le Major a refusé. Il se rappelle que Rajdi lui a répondu « Il s’agit de la Dirty Brigade ». « Nous les craignons. Lorsque nous les apercevons, nous rebroussons chemin. Si je témoigne contre yeux, je suis un homme mort. Ils tuent et ils n’ont de comptes à rendre à personne parce qu’ils appartiennent aux Américains. »

Les craintes de Rajdi envers l’ISOF sont partagées par d’autres membres de l’armée régulière irakienne. « Parfois nous sommes surpris lorsque les Forces Spéciales entrent, » dit le Lt Colonel Yahya Rasoul Abdullah, commandant du 3eme Bataillon de la 42eme Brigade de Sadr City. « Il se passe de mauvaises choses. Certains volent, certains violent les femmes. Ils ne connaissent pas les gens du quartier comme nous. Ils ne font que pourchasser une proie. Nous avons souffert de ce problème. »

D’autres histoires sur les opérations de l’ISOF entendues autour de Bagdad laissent penser que les Américains ont délibérément autorisé l’usage de la violence contre les civils. A Adhamiya, qui a longtemps été la place-forte de l’insurrection Sunnite à Bagdad, deux employés d’un hôpital me racontent leur rencontre avec l’ISOF en 2006. Selon les deux témoins, un agent qui s’est présenté comme le « Capitaine Hussam » de l’ISOF a déchargé sa mitraillette dans les couloirs de l’hôpital Al Numan après avoir vu le corps de son supérieur qui est mort durant son hospitalisation. Un Américain à la barbe rousse se tenait à proximité et observait la scène en silence. Selon un témoin, l’agent irakien a exigé le certificat de décès de son chef, en menaçant de « vous torturer, vous tuer et tuer les gens d’Adhamiya » s’ils n’obéissaient pas. Les témoins racontent que les huit agents qui sont entrés dans l’hôpital conduisaient des Humvees, des véhicules utilisées exclusivement par les Américains et l’ISOF. Le lendemain, selon un témoin, le Capitaine Hussam est revenu avec une boite de cartouches comme cadeau, pour se faire pardonner.

Le vrai chef du projet américain ISOF est le Général Trombitas, commandant de l’Equipe de Transition de la Force Anti-terroriste Nationale Irakienne. Grand, avec une moustache grisonnante et un front ridé, Trombitas a passé plus de 30 ans à former des Forces Spéciales, dont sept ans en Colombie, El Salvador et d’autres pays. Le 23 février, il m’a fait visiter Area IV, une base aérienne américano-irakienne prés de l’aéroport international de Bagdad où les Forces Spéciales américaines forment les troupes de l’ISOF. Alors que nous nous éloignons de l’hélicoptère, il affiche un sourire enfantin. Bien qu’il ait travaillé avec des forces spéciales du monde entier, il me dit que celles que nous allons rencontrer sont « les meilleures ».

Trombitas dit qu’il est « très fier de ce qui a été accompli au Salvador » mais omet de mentionner le fait que les forces spéciales entrainées par les Etats-Unis dans les années 80 ont été responsables de la formation des escadrons de la mort qui ont assassiné plus de 50.000 civils accusés de sympathie avec la guérilla de gauche. Au Guatemala, l’histoire est similaire. Certaines forces spéciales guatémaltèques qui avaient été formées aux tactiques contre-terroristes par les Etats-Unis au milieu des années 60 se sont transformées en escadrons de la mort et ont participé à l’assassinat d’environ 140.000 personnes. Au début des années 90, les Forces Spéciales américaines ont entrainé et étroitement collaboré avec une unité d’élite de la police colombienne, fortement soupçonnée d’accomplir les exécutions attribuées à Los Pepes, un escadron de la mort qui allait devenir la colonne vertébrale des organisations paramilitaires colombiennes actuelles. (Trombitas a servi au Salvador entre 1989-1990 et en Colombie entre 2003-2005, après que ces événements aient eu lieu).

« Les principes se relâchent lorsque les Américains ne sont plus (avec les forces spéciales locales), ils se convertissent parfois en escadrons de la mort, comme ce fut le cas, je crois, en Colombie, » dit Mark Bowden, auteur de Black Hawk Down et Killing Pablo, un livre sur la chasse au baron de la drogue colombien Pablo Escobar par la CIA et les Forces Spéciales américaines. « Les tactiques enseignées dans chaque pays sont les mêmes, » dit Bowden. « Ils dispensent le même enseignement. Ils utilisent le même équipement. »

Trombitas a déclaré sur le site officiel du Département de la Défense que les missions de formation en Amérique latine étaient « très adaptables » à l’Irak. Les Forces Spéciales salvadoriennes ont même donné un coup de main à l’ISOF, me dit-il. « C’est un monde de coalitions, » dit-il. « Plus nous travaillons ensemble, plus nous nous ressemblons. Lorsque nous faisons partager les mêmes valeurs et les mêmes expériences à d’autres armées, elles finissent par nous ressembler. »

Trombitas me guide vers un entrepôt de l’ISOF où les hommes, la plupart portant des masques noirs, ont préparé notre visite. Il me montre un étalage d’équipement américain – des mitraillettes, des fusils à lunette, des systèmes de vision nocturne et des tenues bouffantes pour le désert qui transforment un soldat en gros nounours. Il m’entraine sur une passerelle qui surplombe une maison de décor qui contient des posters de femmes plantureuses qui brandissent des pistolets, deux hommes en chair et en os déguisés en « terroristes » avec un Keffieh autour du visage et aussi un garçon de 10 ans qui tiendra le rôle de l’otage.

Pendant que nous regardons depuis notre poste, la porte de la maison explose. Après une minute de tirs nourris, les agents sortent avec les « terroristes », le garçon et le poster d’un méchant des années 80, vêtu d’une veste en jean et tenant une femme en otage. Plus de vingt trous transpercent le front. « Observez la précision des tirs, » dit Trombitas en souriant avec fierté.

Trombitas aborde la question des droits de l’homme avant d’y être invité. Il m’affirme que les Forces Spéciales américaines prennent les accusations de violations très au sérieux – deux irakiens ont été congédiés pour mauvais traitements infligés aux prisonniers depuis qu’il a pris son poste, en août dernier (2008), dit-il, mais il refuse de s’étendre sur des cas précis. Je pose la question des comptes à rendre et je mentionne un cas bien connu qui a provoqué des remous au Parlement irakien : au mois d’aout, l’ISOF a lancé un raid sur le site du gouvernement provincial de Diyala, avec le soutien d’hélicoptères américains Apache. Ils ont arrêté un membre du Parti Islamique Irakien, le principal parti arabe sunnite en Irak. Au cours de l’opération, ils ont aussi arrêté le président de l’université, un sunnite aussi, et tué une secrétaire et blessé quatre gardes du corps.

J’avais à peine prononcé le mot « Diyala » que les Américains autour de moi ont commencé à marmonner nerveusement et un interprète est intervenu : « pour la réputation de l’ISOF, s’il vous plait, parlons d’autre chose. » a-t-il dit.

Abdul-Karim al-Samarrai est membre de l’Alliance Irakienne Unie au pouvoir et député membre du Comité pour la Sécurité et la Défense. Il dit que les événements à Diyala constituaient un des nombreux éléments révélateurs des intentions malveillantes du premier ministre quant au rôle de l’ISOF. « Les politiciens ont peur que cette force puisse être employée à des fins politiques, » dit-il. En réponse au tollé soulevé par les parlementaires après l’arrestation d’hommes politiques par l’ISOF, Maliki, qui doit officiellement approuver chaque mission de l’ISOF, a nié avoir eu connaissance de celle de Diyala. Sa dénégation soulève d’importantes questions. Si la personne qui est censée être à la tête de l’ISOF ignore ses missions, alors qui est réellement en charge de cette force ? Est-ce que Maliki ment pour se couvrir et cacher le fait qu’il a utilisé cette force à des fins politiques ? Ou est-ce quelqu’un d’autre – les Américains – qui tiraient les ficelles ?

Diyala n’est que le premier cas connu d’une opération apparemment politique. En décembre, l’ISOF a arrêté 35 fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, soupçonnés d’être des opposants au parti Islamique Dawa de Maliki. Au mois de mars dernier, l’ISOF a arrêté au moins un dirigeant des Conseils d’Eveil, milices semi-officielles des quartiers sunnites en opposition croissante à Maliki qui avait promis de les intégrer dans l’armée régulière ou de leur donner un autre emploi.

Le gouvernement Maliki a développé une « culture du contrôle directe » dit Michael Knights, membre du Washington Institute et responsable du programme sur l’Irak. Knights se rend régulièrement en Irak et entretient des relations étroites avec les services de sécurité du pays. Il dit que les personnes en charge de l’ISOF au niveau régional sont « des loyalistes ou membres de la famille personnellement choisis par Maliki. Ca me fait penser à Saddam (Hussein) ». Knights dit que Maliki est censé uniquement approuver ou rejeter les missions qui lui sont présentées, mais à l’occasion il lui arrive « d’affirmer son autorité de commandant en chef et de confier des missions à l’ISOF ». Knights envisage la possibilité que l’ISOF devienne l’escadron de la mort privé de Maliki. « Le Premier ministre cherche à se faire réélire, et il n’y a pas tellement d’obstacles qui l’empêchent de s’en prendre à ses adversaires, comme (son gouvernement) a toujours agi, depuis des années maintenant, avec les Sadrists . »

Samarrai, avec d’autres parlementaires, réclame la dissolution de Bureau du Contre-terrorisme. Il dit qu’il n’y a aucun fondement légal à l’existence d’un groupe armé qui échappe au contrôle des Ministères de la Défense et de l’Intérieur. « Les gens ont peur d’une organisation qui possède de tels moyens et qui ne dépend que du Premier ministre », dit-il.

Hassan al-Rubaie, membre du Parlement, est préoccupé par les relations étroites entre l’ISOF et les Américains. « Si les Etats-Unis quittent l’Irak, ce sera la dernière force qu’il laisseront derrière eux » insiste-t-il. Il est préoccupé par l’idée qu’une force si puissante et secrète et si étroitement liée aux Américains puisse se convertir en une « base militaire de la région » qui permettrait aux Américains de poursuivre leurs missions en Irak sous le couvert de l’ISOF. « Ils sont devenus les remplaçants des Américains, » dit-il.

Le Président Obama a dit qu’il prévoyait de renforcer le rôle des Forces Spéciales américaines ; la récente nomination, par le Ministre de la Défense Robert Gates, de Stanley McChrystal comme commandant en Afghanistan semble indiquer qu’il tiendra parole. De 2003 à 2008, McChrystal était chef du Joint Special Operations Command qui supervise les forces les plus secrètes de l’armée et qui est chargée des formations spéciales à l’étranger. McChrystal a aussi été commandant des Forces Spéciales américaines en Irak pendant plus de 5 ans, période pendant laquelle, selon le Wall Street Journal, il commandait « des unités qui sont spécialisées dans la guérilla et la formation des armées locales. »

« Un éventuel retrait de l’Irak ne marquera pas la fin de la mission affectée aux forces spéciales » a dit Gates en mai 2008. Gates n’a rien dit d’autre sur ce sujet depuis la prise de fonctions d’Obama ; mais Obama a dit qu’il allait institutionnaliser les « capacités de guerre irrégulière », et la Maison Blanche a insisté sur la nécessité de « créer des capacités de formation, d’équipement et de conseil auprès des forces de sécurité étrangères, afin que les alliés locaux soient mieux préparés pour confronter les menaces communes ».

Bowden dit que ces « alliés locaux » sont souvent utilisés pour des opérations clandestines. « Le Commandement des Opérations Spéciales des Etats-Unis cultive des relations privilégiées avec les forces spéciales d’autres pays parce que cela donne aux Etats-Unis l’occasion d’intervenir militairement et clandestinement, » dit-il. « L’opération clandestine parfaite est celle qui est menée par les forces locales. »

Tandis que je me tiens sur le tarmac avec Trombits à Area IV, attendant l’hélicoptère qui nous ramènera à la Zone Verte, je lui demande combien de temps les Etats-Unis seront-ils encore impliqués dans l’ISOF. « Les forces spéciales sont spéciales parce que nous maintenons des relations spéciales avec des forces étrangères, » dit-il. « Une partie de notre scénario d’engagement sur les théatres d’opérations consiste à maintenir des relations avec les unités qui sont importantes pour la sécurité de la région et du monde. » Alors que notre hélicoptère apparaît dans le ciel légèrement couvert, il choisit soigneusement ses mots suivants : « Nous allons maintenir une relation de travail pendant un certain temps. »

Le Grand Soir - 10.06.09

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