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18/06/2009

Commentaires électoraux et « prédictions » des sondages ?

Alain Garrigou - professeur de science politique, université Paris X – Nanterre

Cette fois encore, durant ces cérémonies convenues que sont les « soirées électorales » à la télévision, journalistes en peine d’idées, sondeurs satisfaits et professionnels de la politique tout à leur auto-promotion, ont débattu des sondages et de leur valeur prédictive. Personne n’a questionné leur fabrication et l’ineptie qui consiste en croire à leurs verdicts. Il le faut bien, pourtant. Se référer au site d’utilité publique : observatoire-des-sondages.org

Voir en ligne : observatoire-des-sondages.org

Européennes 2009 : quelle surprise ?

Surprise, s’exclamait-on le soir des élections européennes du 7 juin 2009 et le lendemain dans la presse. Surprises au pluriel pouvait-on aussi bien dire puisque, rangés au rang des étonnements, figurait au premier rang le succès des écologistes, les échecs du PS et du Modem et même la confortable avance de l’UMP. Or, pour qu’il y ait surprise, il faut que les sondages aient été pris au dépourvu. Certes, nous a-t-on dit à satiété, les sondages sur les intentions de vote ne sont pas des prédictions. Pourtant, les sondeurs ne se privent pas de signaler leur succès lorsque leurs derniers sondages avant scrutin sont proches des résultats électoraux. Lorsqu’il était trop difficile de crier victoire, la loi de juillet 1977 offrait un argument en interdisant toute publication dans la semaine précédant le jour de vote. Et de publier après coup leurs sondages préélectoraux. Depuis la réforme de 2002, l’interdiction a été ramenée à 24 heures. Une excuse en moins ? Il faut se détromper : le 8 juin, Ipsos a publié sur son site le « sondage interdit » qui montrait combien le dernier sondage non publié « donnait » les bons chiffres du scrutin européen. Cet aveu était-il nécessaire ? Lors de la soirée télévisée, personne n’a mis en cause les sondeurs. Les surprises étaient trop belles pour bouder l’aubaine. Les gagnants n’allaient pas protester et les perdants non plus. Les sondages avaient déjà été mis en cause quelques jours plus tôt par François Bayrou. La situation est cocasse. L’accusation de sous estimer son score s’est révélée erronée et on peut douter que le chef du Modem mette à exécution ses menaces de révélations. Pourtant, les sondages se sont trompés en surestimant son score. Peut-il dès lors accuser les sondeurs pour le défaut inverse de celui qu’il leur reprochait ? Il reste le défaut. Pendant la campagne européenne, l’observatoire des sondages s’est interdit de commenter les sondages électoraux qui ont fleuri pendant la période relativement courte de la campagne électorale. Les commentaires sur des évolutions de 1 % dans un sens ou l’autre ont encore nourri l’actualité politique. A quoi bon dépenser autant d’argent et de temps pour faire des mesures incertaines alors qu’il suffit d’attendre quelques jours pour avoir des résultats certains ? On ne se satisfera pas de la réponse selon laquelle cela ne sert à rien alors que l’on voit les états-majors politiques les yeux rivés sur les sondages. Selon la vision rationnelle, les sondages sont une aide stratégique aux candidats. A en juger par l’état d’énervement dans lequel les a parfois plongés la révélation des positions intermédiaires dans la course de chevaux, on ne peut exclure une addiction. Dans cette campagne, l’aide des sondages a été si trompeuse que le constat devrait inciter au sevrage. Gageons qu’il n’en sera rien. Il est cependant un point sur lequel il n’y a pas eu de surprise : l’abstention a été conforme aux annonces. Conformément au rituel politique des démocraties, à peine (dans les deux sens du terme) signalée, elle a été renvoyée au néant pour laisser la place aux significations politiques du vote. Les voix une fois « données », elles sont livrées aux interprétations. La soirée électorale du 7 juin n’a pas fait exception. Avec 60 % d’abstention, les déclarations de victoire étaient pourtant indécentes. Certes, à s’en tenir aux critères les plus vulgaires de la politique, il y avait des gagnants. A quel prix ? Il a même fallu que le sondeur de service rappelle que les interprétations devaient être spécialement prudentes du fait de la faible participation électorale. Au moins les sondages auront-ils apporté une contribution à la compréhension de cette élection : avant le scrutin, nul électeur ne pouvait ignorer que l’on s’acheminait vers un record d’abstention. Cela signifie que l’abstention a été largement volontaire et qu’elle ne peut donc renvoyée au néant politique de l’indifférence comme il est conventionnel mais faux de le faire. Les commentateurs médiatiques ont encore manqué l’essentiel.

Leçon de méthode à l’usage des journalistes politiques

La soirée électorale du 7 juin 2009 a obéi aux règles invariables de ce genre d’exercice fixé depuis une cinquantaine d’années. Après le suspens de l’attente des résultats, les acteurs politiques se sont livrés aux joutes habituelles sur le bilan et l’avenir. Quant au commentaire médiatique, il les accompagne avec ses propres règles : une mention rapide de l’abstention pour se focaliser sur les suffrages exprimés (les voix « qui comptent »), un congédiement rapide des électeurs dont les suffrages exprimés sont censés être des messages politiques et un bavardage sur les proches perspectives du jeu politique. Dans la chaleur des salles de rédaction, on saisit mieux les enjeux politiques des palais que les gestes, fussent-ils électoraux, des masses électorales. Depuis plus d’un siècle et demi d’histoire des élections, l’analyse électorale a pourtant forgé des outils d’analyse sans lesquels il n’est pas de commentaire rigoureux, minimalement scientifique. Les commentateurs patentés s’en sont affranchis un peu plus avec les élections européennes de 2009 et on peut craindre que cette ignorance ne marque pas seulement un peu plus de mépris pour la méthode d’analyse du vote mais aussi bien un mépris croissant pour le vote. Pour un analyste du vote, l’examen de l’ensemble de la presse écrite est affligeant. Le parti pris politique est toujours plus ou moins transparent. En la matière, selon la formule d’Austin, « dire, c’est faire ». Le commentaire électoral fonctionne peu ou prou comme un discours performatif. Depuis ses débuts au XIX ème siècle, le commentaire médiatique fait l’élection. Il est faux mais pas innocent de croire et de faire croire que les chiffres donnent le résultat final et nu d’une élection. Pour une partie, variable selon les élections et semble-t-il croissante, ce sont les commentateurs qui font le sens du vote en faisant semblant de la décrire ou de l’analyser. Ils sont à cet égard des acteurs politiques à part entière qui ne sauraient se cacher derrière une petite vertu déontologique. Mais peut-il en être autrement ? La méthodologie de l’analyse électorale fixe un certain nombre de règles qui ont justement cette fonction protectrice d’éviter de se laisser entraîner par l’esprit partisan. Or, il semble bien que nul ne les connaisse. Que trouvons-nous en effet dans les commentaires médiatiques ? Un exposé très plat de l’arrivée d’une course hippique. La longue dégradation de la qualité de l’analyse politique se traduit aussi dans le commentaire électoral. Limitons-nous à deux points : Les abstentionnistes sont rapidement oubliés. C’est la règle. Mais une règle idéologique et non une règle méthodologique. Or, cela a-t-il le même sens d’étudier des suffrages exprimés sur une participation constante ou sur une participation très fluctuante ? Bien sûr, non. Une bonne partie des résultats risque en effet de dépendre de la mobilisation différentielle. Cela est régulièrement évoqué sous le chapitre rebattu de la qualité de la campagne alors que les études classiques doutent de leur efficacité. La croyance fonctionnelle explique cette invocation en forme de lapalissade : celui qui arrive en tête a forcément fait une meilleure campagne. La politique est à cet égard à l’image de la religion : la foi tient lieu d’explication. Dans le cas des élections européennes, le niveau record d’abstentions ne posait-il pas en outre un problème particulier ? La réponse est négative pour les commentateurs médiatiques qui l’ont immédiatement oublié. Sauf exception. On peut se demander à quel niveau l’abstention serait prise en compte par les commentateurs. Ce n’est pas seulement une question de fiction. Sachant que les électeurs du troisième âge sont ceux qui votent le plus et les jeunes ceux qui votent le moins, l’abstention va continuer à croître. Les générations d’électeurs (les cohortes dans le jargon) seront remplacées par des générations d’abstentionnistes. Alors, le seuil se situe-t-il à 70 %, perspective proche, à 80 % ou à 90 %. Bref, une démocratie sans peuple est-elle encore une démocratie ? Où il y a place pour du commentaire électoral ? Nous y sommes déjà largement arrivés et cela ne suscite pas d’interrogation. Les journalistes politiques s’interrogent à longueur de colonnes sur le remaniement ministériel, le sort de tel ou tel dirigeant, les intentions du président, les règlements de compte dans les partis. Autre règle de méthode d’analyse totalement négligée : on ne doit pas seulement raisonner sur des pourcentages mais sur des chiffres absolus. Ils ont été d’autant plus oubliés qu’ils marquaient cette forte abstention qu’on souhaitait oublier. On ne décide pas des règles à suivre en fonction de ses intérêts. Or si on regarde les chiffres absolus, il est un certain nombre de conclusions qui doivent être tirées et qui vont totalement à l’encontre des gros titres. Prenons la principale. Le succès de l’UMP et du président Sarkozy, a-t-on lu partout. Cela est exact parce que le parti arrive largement en tête et qu’il emporte le plus grand nombre de sièges. En considérant les chiffres absolus, la presse aurait pu faire ses titres avec un échec de Nicolas Sarkozy. Les listes UMP ont en effet obtenu 4,8 millions de voix contre 11,4 pour Nicolas Sarkozy au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. En 2 ans, cela fait 6,6 millions de suffrages manquants. Simple effet de la forte abstention ? Si l’on considère les pourcentages, le recul est forcément moins net mais réels. Les listes UMP obtiennent 27,8 % des suffrages exprimés contre 31,18%. Mais qui se soucie des élections européennes ? Sinon les heureux élus. Dans la perspective de l’échéance présidentielle de 2012, autrement importante, les résultats de l’élection européenne sont de très mauvaise augure pour le président sortant. Ce n’est pas le lieu d’examiner les changements, à commencer par ceux de l’électorat, qui vont mettre Nicolas Sarkozy dans une situation très difficile. Les conseillers de l’Elysée savent cela mais ce n’est pas leur rôle de publier leurs conclusions. Il n’en va pas de même pour les journalistes politiques qui, sauf exception, montrent les limites à la fois intellectuelles et sociales de leurs commentaires et une orientation idéologique, consciente ou non. Quant à leurs lecteurs, il suffit de consulter les réactions des internautes pour constater que certains savent encore compter les suffrages et s’étonner que leurs journaux ne les reproduisent pas. Une note optimiste dans la misère du commentaire médiatique.

Sondages : y a-t-il des informations « sensibles » ?

Les sondages électoraux les plus intéressants sont les sondages de jour du vote ou ceux qu’on appelle bizarrement « sortie des urnes » (SSU). Après le déluge des sondages sur les intentions de vote, dont on sait le peu d’intérêt pour la connaissance mais l’intérêt stratégique, ce sont des sondages sur un vote réel, avec leurs biais déclaratifs sans doute, même si les corrections sont plus aisées. Ils ne concernent pas une vision du futur qu’on n’anticipait pas forcément si l’on n’était pas un sondé, mais un acte accompli le même jour. Ces sondages ont permis d’ouvrir la boite noire des totalisations de suffrages telles que les livrent les résultats électoraux par bureau, communes, départements et pays. On peut donc relier les suffrages à l’identité sociale des votants, selon l’âge, le genre, le niveau d’instruction, la catégorie sociale. Et parler avec un peu d’abus d’un vote féminin, d’un vote jeune, d’un vote troisième âge, d’un vote populaire, etc. Par rapport aux corrélations spatiales de l’ancienne géographie électorale, c’est un avantage significatif. Ces sondages peuvent en outre produire des significations accordées au vote par les électeurs. Même si ces représentations légitimantes et a posteriori doivent être analysées comme toute perception déclarée, elles ne sont pas a priori dénuées d’intérêt.

Dans les années 1970-1980, les sondages de jour du vote ont pris une grande importance dans le commentaire électoral, avec le succès enfin remporté par les sondages. Au cours des élections récentes, ils sont manifestement moins sollicités. Ou plutôt, la dimension qu’on appellera sociologique a été marginalisée, à l’inverse de la dimension politique. Lors des soirées électorales des deux tours de l’élection présidentielle de 2007, aucun commentateur ne s’était arrêté sur le vote féminin, le vote jeune, etc. Un peu comme si la dimension gênait. Les tableaux statistiques ne furent guère diffusés.

Les élections européennes du 7 juin 2009 n’ont pas provoqué une longue campagne ni le même intérêt à en juger par le record d’abstention. Si les instituts de sondage n’ont pas été mobilisés au même degré, il y eut au moins un sondage de jour du vote : TNS Sofres / Logica. Quoique effectué pour France Télévisions, Le Monde et Le Point, il n’a guère été évoqué sur l’antenne de France 2 sauf une mention des attentes en matière de réforme. Il n’a surtout pas été question d’une différenciation du vote par catégorie sociale. Les tableaux croisés sur les corrélations sociales du vote sont aussi absents sur le site du sondeur. Le lendemain, un de partenaires de l’opération, le journal Le Monde publiait un article sur la dimension sociale de l’abstention mais sans l’appareil statistique. Et par ailleurs, rien n’était publié sur les corrélations sociales des choix électoraux.

Il faut signaler l’avantage qui permet à un sondage d’interroger les abstentionnistes dans un scrutin remarquable par le niveau d’abstention. Il n’est pas si évident d’entendre ceux qui se taisent. Ni si simple. Une part d’abstentionnisme est inaccessible quand on sait que l’abstention est forment corrélée à la marginalité sociale. L’abstentionnisme électoral est plus élevé chez les exclus et les pauvres, c’est-à-dire les catégories où selon le jargon professionnel, le taux de contact est le plus faible de même que le taux de réponse. Le sondage de jour du vote montre d’ailleurs les limites de ce genre de méthodologie qui risque de produire surtout des artefacts. Quand aux raisons de ne pas voter, posées comme le fruit d’une décision, selon le libellé très problématique de la question, seulement 3% des sondés répondent ne jamais voter, c’est manifestement erroné au regard de l’émargement des listes. En outre s’agit-il d’inscrits ou de non inscrits, les premiers comptabilisés dans l’abstention, et pas les seconds ? On ne regrettera pas que cela ne soit pas précisé car de toute façon, on ne peut le savoir. Du moins par un sondage. Avec 3%, on est de toute façon très loin du compte. Et on en est d’autant plus loin qu’on peut de moins en moins négliger une non inscription qui prend de nouvelles proportions et qui dans bien des endroits est la première forme de l’abstention. L’examen des questions de motivations n’est pas neutre. Une forme de cécité se développe dans la politologie qui consiste à poser aux sondés des questions qui ne se posent pas ou encore à les faire parler dans les catégories dominantes et légitimes de la politique. Ainsi de cette question sur les réformes : « Souhaitez-vous que, dans les mois qui viennent, le rythme des réformes menées par le gouvernement se maintienne, s’accélère, ralentisse ». Il n’en est que 6 % sans opinion. Or, la question n’a aucun sens ou plutôt pas le même sens pour tous. Dans tous les cas, cela n’a pas le même sens selon que l’on est favorable au gouvernement ou défavorable. Cela donne cependant moins un partage absurde que pas de partage du tout car entre les trois hypothèses proposées, cela signifie que tout le monde est favorable aux réformes menées par le gouvernement. Certains électeurs de l’UMP souhaitent que le rythme ralentisse… Dans ce type d’interrogation, il existe donc une faute méthodologique mais aussi un biais idéologique. Le sens du vote, déjà forgé par le bulletin de vote, comme cela n’a pas été si simple de le faire au cours du XIX ème siècle, doit encore être modelé par le sondeur et ses commanditaires puis par le journaliste. Ils effectuent ce travail que Max Weber a appelé la « domestication des dominés », avec un redoublement qui fait du vote une expression doublement contrainte. Donner une signification politique aux votes, même dans les catégories préétablies des questions fermées, il faut juger sur pièces. Refuser de relier aussi les votes aux positions sociales des électeurs, cela préserve moins la liberté du citoyen que la puissance du prince issu des urnes.

Fondation Copernic

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