Nous avons rencontré Samir Amin à Madrid pour la « Conférence internationale sur la crise systémique du capitalisme » organisée par l’Université Nomade, dirigée par Carlos Pietro et hébergée par le Museo Reina Sofia (qui expose « Guernica »).
Que va-t-il arriver dans un avenir proche ?
Cette crise va continuer et devenir plus profonde. Même si le système financier était restauré en deux ou trois ans, la situation ne changera pas, le système ne sortira pas de la crise, il pourrait même s’effondrer à nouveau. Nous allons vers une période similaire à ce qui s’est produit au 20ème siècle, une période de chaos, de guerres, de révolutions, d’explosions.
Tu parles de changements violents.
D’instabilité et de chaos. La question est : quelles sont les possibilités et les conditions, dans ce chaos, pour avancer sur la longue voie de la transition vers le socialisme ? Je pourrais dire du communisme, mais appelons-le socialisme global. Et plutôt que révolutions je préfère dire avancées révolutionnaires, qui peuvent être battues ou préparer des changements plus profonds.
Où et comment ?
Je dirais, avec optimisme, plutôt au sud, où l’approfondissement de la crise va délégitimer sinon l’ordre capitaliste, du moins l’ordre impérialiste. D’aucuns pensent pouvoir atteindre un capitalisme national relativement autonome, capable de négocier avec ce qui peut être défini comme l’impérialisme collectif de la triade (USA, Europe et Japon). Qui est l’illusion de
Une nouvelle hégémonie, au sens gramscien du terme ?
Absolument pas. Les hypothèses sur l’hégémonie chinoise sont corrélées à la longue histoire dans laquelle l’impérialisme a été décliné au pluriel : des pouvoirs impérialistes, au pluriel, en conflit continu entre eux. La classe dirigeante chinoise sait qu’elle n’a pas le pouvoir et la possibilité de devenir hégémonique, ce qu’elle veut c’est devenir un partenaire respectable. L’approfondissement de la crise leur prouvera que ce n’est pas possible, ils devront évoluer vers le rétablissement d’un équilibre à l’intérieur de leur propre pays, et ensuite chercher, avec le sud, à affronter le nord face à face. C’est leur projet : globalisation sans hégémonie.
De quel sud parles-tu ? Venezuela, Bolivie et Equateur, c’est-à-dire de pays avec des gouvernements considérés comme radicaux, ou du sud en tant que tel ?
Le sud a toujours été hétérogène et le plus souvent divisé. Il n’a existé en tant que tel que dans le moment de Bandoung, de 1955 à 1975. Il est à nouveau divisé et ses classes dirigeantes ne pensent pas encore en termes de front du sud. Y compris le Brésil qui doit sortir de l’illusion de pouvoir être accepté comme partenaire respectable par les USA et par l’impérialisme collectif, de l’illusion de pouvoir contrebalancer la dépendance des USA en approfondissant la relation avec l’Europe. La lutte de classes et la protestation des victimes, des classes populaires, peuvent obliger des pays comme
Tu fais le pari d’un nouveau Bandung ?
C’est mon argument principal. Cependant s’il n’est pas accompagné aussi d’avancées révolutionnaires, cette fois-ci au nord, et en particulier en Europe, il en résultera une situation très dangereuse. Pourquoi ? A cause de la nouvelle dimension des problèmes, parce que les principales ressources naturelles sont aujourd’hui assez rares pour ne plus êtres données comme étant garanties. Pour pouvoir garder son opulence, l’impérialisme ne dispose plus d’instruments de domination efficaces : celui du capital financier est factice, celui de la super protection de ce qu’il appelle sa propriété intellectuelle est vulnérable etc…. Et rien ne fonctionnera sans le succès de son projet de contrôle militaire de la planète, un projet de guerre permanente.
Une lutte armée pour les ressources ?
Ça c’est ce que la classe dirigeante des Etats-Unis a choisi depuis 1980, et intégré systématiquement avec Reagan, Bush père, Clinton et Bush fils. Et maintenant Obama. Et les Européens l’ont accepté, conscients de ne pas avoir d’alternatives. L’affrontement entre le nord et le sud est destiné à devenir de plus en plus agressif et il n’y a plus d’URSS, c’est-à-dire un contre pouvoir militaire. Le revival de la gauche radicale en Europe devient décisif, et aujourd’hui l’approfondissement de la crise en offre la possibilité.
Possibilité ? La gauche radicale a disparu.
Elle a disparu à cause de l’extrême concentration du pouvoir économique et politique dans les mains de ceux que j’appelle les oligarchies, dominantes aux Etats-Unis, en Europe et au Japon qui, pour la première fois dans l’histoire, contrôlent tout le système économique. Ils contrôlent les ressources, la finance, la technologie, la culture, la politique, en termes électoraux ce sont les boss, et de la droite et de la gauche. Mais de ce fait, à présent, il existe un espace pour des alliances larges anti-oligopolistiques et anti-ploutocratiques, au moins en Europe. Aux USA, je ne crois pas, parce que, là, la culture du pseudo consensus est dominante. Ce n’est en fait pas une surprise que le G20 ait été immédiatement suivi du sommet de l’OTAN, en mai à Strasbourg. Le G20 a été une mascarade totale, avec Obama, Brown, Sarkozy et Merkel, tous totalement d’accord sur un seul objectif : restaurer le système financier tel qu’il était. Et c’est là qu’arrive l’OTAN : la seule décision prise n’est pas celle de commencer le retrait du Moyen-Orient mais de renforcer l’action militaire en Afghanistan. Cela signifie qu’ils ont choisi, qu’Obama a choisi, la ligne dure de Bush.
Choix temporaire ou définitif ? Je le demande parce que, ces guerres, Obama en a hérité.
Le choix d’Obama est celui de l’establishment dominant. Bush a été si brutal et stupide qu’il a rendu difficile la légitimation de ses choix ; Obama ne sort pas de ces choix mais les présente différemment. C’est quelqu’un de dangereux, très dangereux, en particulier pour les Européens qui ont à son égard une attitude très naïve.
Que penses-tu du rapport de la commission ONU conduite par le prix Nobel Stiglitz ?
Ça a été ce à quoi je m’attendais : rien. Peut-être, et je dis bien peut-être, comprennent-ils que restaurer le système implique de se préparer à abandonner l’instrument financier exclusif que représente le dollar (ou plutôt : le pétro-Cia-arméeUSA-OTAN-dollar) pour une nouvelle formule plus complexe. Stiglitz imagine que les oligopoles pourraient renoncer à leurs super profits. C’est naïf. Les oligopoles ne renoncent pas aux super profits, sauf s’ils y sont contraints, et pour les y contraindre il faut abolir leur gestion privée et mettre en route leur socialisation.
Qui peut les y contraindre ?
Le sud, le mouvement global, les peuples du nord.
Il y a quelques années, le New York Times avait appelé le mouvement global « la seconde super puissance ». Qui, à présent, semble disparue, au moins en Occident.
Ils voulaient l’affaiblir, pour que le mouvement reste ce qu’il est - fragmenté, dépolitisé et du coup peu efficient- en sorte que la protestation des victimes continue à rester maniable. Les mouvements en lutte doivent produire des alternatives positives, que je pourrais résumer par « mettre en déroute la gestion mondialisée impérialiste promue par l’OMC, mettre en déroute le contrôle militaire de la planète par les USA et leurs alliés subalternes de l’Otan»… C’est possible parce que les victimes ne sont plus seulement des travailleurs qui perdent leur emploi mais aussi la classe moyenne, et beaucoup de petites et grandes entreprises soumises par force à l’oligarchie, à travers la finance et l’accès limité aux ressources naturelles.
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