À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

17/06/2009

L’ère du soupçon

Augmentation des gardes à vue, explosion des délits d’outrage à agent, tour de vis en direction des jeunes, banalisation des prélèvements d’ADN… Deux rapports, de la Ligue des droits de l’Homme et d’Amnesty international, dressent un tableau sévère et lucide de l’état des libertés en France.

«Pendant la crise, la régression continue », écrit la Ligue des droits de l’Homme (LDH) dans son dernier bilan sur l’état des droits de l’Homme en France (1). Bilan annuel qui dresse la chronique quotidienne des atteintes aux libertés dans le pays, la lecture du dernier opus n’a rien de rassurant. L’accumulation des réformes pénales et judiciaires depuis une dizaine d’années et les pratiques qui en découlent contribuent au climat qui baigne ce printemps 2009. Et dans un contexte de crise économique qui réveille les plus grandes peurs, le Président pioche dans le sac « sécuritaire » dès qu’il le peut. Parmi les derniers événements en date, on retiendra un énième tour de vis en direction des jeunes, avec une loi visant les bandes qui rappelle dans ses principes la loi anticasseurs des années 1970, et l’idée d’interdire le port des cagoules dans les manifestations.

TOUS DÉLINQUANTS

S’il serait mensonger de parler de « rupture » avec l’élection de Nicolas Sarkozy, car sa politique s’inscrit dans un mouvement continu qui dure depuis 2001, après l’adoption de la loi sur la sécurité quotidienne du tandem Jospin/Chevènement, le retour à l’ordre et au contrôle social s’est néanmoins considérablement amplifié cette dernière année. Par son rythme d’abord, dont témoignent le nombre de réformes entreprises : carte judiciaire, instauration de la rétention de sûreté, peines planchers, projet de loi pénitentiaire, proposition visant la délinquance juvénile… Par les moyens développés ensuite, et surtout. Car ce qui change considérablement, c’est l’usage que fait l’appareil pénal de toutes les possibilités répressives que lui offre la loi. Le nombre de gardes à vue n’a jamais été aussi important : 577 816 personnes, résidant en France et âgées de plus de 13 ans, ont été placées en garde à vue en 2008. Sans compter la quantité impressionnante d’incriminations d’outrage à agent. Les prélèvements d’ADN sont devenus monnaie courante dans les milieux militants, qu’il s’agisse des faucheurs de maïs transgéniques ou de jeunes militants anti-Otan, en passant par les étudiants. Surtout, la catégorie de « délinquant » s’est particulièrement étendue, « par une extension du filet pénal […] rendue possible par la levée d’inhibition que le Septembre-2001 aura constitué dans les politiques de sécurité », souligne la LDH. Et la logique du risque, développée par Nicolas Sarkzoy et consorts, ne vise donc plus seulement à s’intéresser aux délinquants, mais à tous les présumés délinquants. La loi sur la rétention de sûreté qui vise à enfermer des criminels ayant purgé leur peine, mais qui sont considérés comme « potentiellement dangereux », en est une des plus fortes illustrations. Et l’« affaire Tarnac », le plus bel exemple concret. Déjà six mois que Julien Coupat est en détention, que huit autres personnes sont mises en examen, sans qu’aucune preuve tangible ne les implique dans l’affaire du sabotage de lignes SNCF.

Le tableau dressé par la LDH est sévère et lucide, à l’instar de celui d’Amnesty International qui vient de sortir un rapport intitulé « Des policiers au-dessus des lois » (2). Ce n’est pas la première fois que le traitement juridique des bavures policières est dénoncé.

IMPUNITÉ POLICIÈRE

Depuis plus de dix ans, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) tente d’informer et de mobiliser autour d’histoires emblématiques dans les quartiers, telle que celle d’Abdelkader Bouziane, 16 ans, tué en 1997 à l’issue d’une course-poursuite. Quatre ans de luttes judiciaires suivront, qui aboutiront à une décision de non-lieu rendue par une chambre d’accusation. D’autres cas plus récents – Zyed Benna et Bouna Traoré, morts à Clichy-sous-Bois – ont mis en lumière les mensonges des forces de polices. Mais pour une affaire aussi dramatique que celle-ci, qui a conduit à la mort de deux adolescents, et dont la médiatisation a permis que la vérité fasse un peu surface, combien d’affaires où la police est mise en cause sans souffrir de sanction ? Car depuis fort longtemps, comme le décrit le sociologue Fabien Jobard, on sait faire taire les victimes des exactions policières : il suffit d’utiliser l’incrimination d’outrage, que les statistiques pénales ont vu exploser (3). Les cas relevés par Amnesty le montrent également : ainsi d’Albertine Sow qui, pour avoir demandé à des policiers de se calmer lors de l’interpellation de son cousin, a fini par être poursuivie pour violences sur agent. Trois ans plus tard, le 27 janvier 2009, alors que le parquet avait recommandé sa relaxe, elle a été reconnue coupable d’avoir agressé les policiers et s’est vu infliger une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis.

DIABOLISATION

Beaucoup sont tentés d’user sans nuance de la parabole sécuritaire, pour diaboliser un Etat qui ne serait plus maître de lui-même. Ces discours sont d’autant plus dangereux qu’ils laissent entendre que les moyens de résistance citoyenne n’auraient aucun avenir. Mais l’impunité dont bénéficient les forces de l’ordre quand elles agissent en dehors de la loi – ce qui n’est pas la pratique majoritaire, il faut le rappeler – est particulièrement dangereuse. Comme le souligne Amnesty International, « en cas d’allégation de violations des droits humains, les autorités doivent ouvrir promptement une enquête exhaustive, indépendante et impartiale. Les mesures disciplinaires qui s’imposent doivent être prises, et les agents de la force publique soupçonnés d’actes tombant sous le coup de la loi doivent comparaître en justice dans le cadre d’un procès équitable ». Les cas relevés par l’association montrent qu’il n’en est rien. Surtout que les remparts avancés par le ministère de l’Intérieur ne sont d’aucune utilité : la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), créée en 2000, ne dispose pas des moyens suffisants pour pouvoir être vraiment indépendante et efficace. Et sans la persévérance de certains députés, seuls habilités à la saisir, dont Patrick Braouezec, elle n’aurait quasiment pas d’activité.

Dans cette société de surveillance que décrit la LDH, « les citoyens sont perdants sur le terrain des libertés, et sur celui des droits sociaux ». On le voit, par exemple, avec le fichage des chômeurs. Pourquoi une telle surveillance généralisée ? S’agit-il de faire peur pour nourrir le terreau de l’insécurité, qui séduit tant les politiques ? On peut ironiser sur le travail d’expertise mené par les organisations des droits de l’Homme, au fil de rapports qui seraient très vite rangés aux oubliettes. Il est pourtant fondamental, car il donne de la transparence à la gestion des droits et des libertés dans notre pays, il informe sur les recours possibles et les moyens de résistance. C’est d’ailleurs bien parce que ces travaux sont gênants que les autorités les récusent, comme elles l’ont fait avec le dernier rapport d’Amnesty. C’est aussi parce que cette contre-expertise dérange que le gouvernement poursuit inlassablement sa « culture du résultat » et sa guerre des chiffres sur la délinquance. Le gouvernement nous raconte une histoire sécuritaire, les contre-pouvoirs une autre. E.C.

Regards - Juin 2009

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails