À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

04/05/2009

Des journaux télévisés face aux « violences » des salariés

Henri Maler, Mathias Reymond

Force est de le constater : il arrive que la couverture télévisée des conflits sociaux échappe au pire… ou presque. Pendant deux jours, les mardi 21 et mercredi 22 avril, avec de notables différences entre elles, les grandes chaînes de télévision ont présenté des reportages qui, en dépit des contraintes des formats courts et du goût pour le spectaculaire, délivraient correctement les informations, en laissant, plus que de coutume, la parole aux salariés. Mais…

… Mais, sur TF1 et France 2, les cadrages proposés par les présentateurs laissent percer leur réprobation. Certaines interventions semblent avoir pour fonction de ne pas heurter de front les téléspectateurs, mais sans renoncer à les dissuader de manifester leur compréhension, voire leur soutien.

Passage en revue de quelques JT, suivi d’une ébauche d’explication.

I. Mardi 21 avril, jour des violences

Mardi 21 avril 2009, dans la matinée. Les salariés de Continental attendent la décision du tribunal administratif qui doit se prononcer sur la validité (légale) de modalités de décision de fermeture de leur entreprise. Les salariés d’EDF sont en grève depuis quatre semaines. Les salariés de l’usine Molex, en Haute-Garonne, retiennent depuis la veille deux dirigeants de la société dans le but d’obtenir l’ouverture de négociations.

Il est 13 heures sur TF1 et France 2

Sur TF1, Jean-Pierre Pernaut berce ses téléspectateurs. Sur France 2, Elise Lucet égaye les siens.

(1) JT de routine pour Jean-Pierre Pernaut. Météo d’Evelyne Délia, soleil en Corse, gendarmes de l’Hérault qui « traquent les voleurs », interdiction du port de la cagoule : les « chapitres », comme on dit désormais sur le site de TF1, se suivent sans surprise. Après un détour dans l’Orne où 23 salariés attendent en vain d’être payés depuis 23 jours, vient le moment d’aborder la grève à EDF : c’est-à-dire… les solutions que trouvent les particuliers aux « coupures sauvages d’électricité » particulièrement dans un commerce alimentaire. Jean-Pierre Pernaut et la rédaction de TF1 cuisinent ainsi la bonne vieille recette des reportages sur les grèves dans les services publics : souligner leurs conséquences plutôt que d’expliquer leurs motifs, en sondant les « victimes » forcément « prises en otage ».

(2) Sur France 2, il faut attendre 9’20’’ environ après le début du journal, pour que soit délivrée une information (reportage à l’appui) sur la quatrième semaine de grève à EDF et sur les actions que les grévistes envisagent pour rendre leur mouvement plus populaire. Après un bref « sujet » sur les cadres retenus à l’usine Molex, suit une interview en plateau… sur les « formations anti-séquestrations » dispensées par une agence spécialisée. Le sourire d’Elise Lucet vaut commentaires : mais lesquels ?

Seulement voilà : les événements de la journée – les « violences » que nous mettons entre guillemets non pour nier leur existence, mais parce que le mot employé à sens unique résume toute une perception de la réalité sociale qui exonère le patronat de toute violence - vont bousculer ces routines…

Il est 19h30 sur France 3

La séquence nationale du 19/20 de France 3 s’ouvre sur les conflits sociaux et leur consacre plus de 5 minutes. Les présentations sont sobres et les reportages aussi explicatifs qu’ils peuvent l’être.

Premier sujet du JT (d’une durée relativement exceptionnelle : 3’50’’ environ) : « Continental : le désespoir des salariés » (selon le titre du site de la chaîne). Un sujet qu’Audrey Pulvar présente ainsi, au plus près des explications : « Le désespoir et la colère des salariés de l’usine Continental de Clairoix les ont conduit à saccager les bureaux de la sous-préfecture de Compiègne cet après-midi. C’est le rejet de leur démarche d’annulation de la fermeture de leur usine par le tribunal de Sargemine qui a mis le feu aux poudres. »

Suit alors un reportage qui montre et relate la mise à sac de quelques bureaux à la sous-préfecture de Compiègne. Commentaire compréhensif sur « la rage » des salariés : « Après cinq semaines de conflit, les esprits sont à bout ». Un journaliste en direct devant l’usine : « Même scène de destruction dans l’usine, les salariés désespérés s’en prennent à leur outil de travail ». Paroles de salariés, dont celle-ci : « On n’a pas d’écoute du gouvernement, donc la préfecture, le préfet, c’est ce qu’il y a de plus près. »

Deux autres « sujets » complètent ce tableau de l’actualité sociale. Le premier est consacré à la rétention des deux dirigeants de Molex : le reportage montre l’organisation matérielle de la séquestration (où l’on voit que les dirigeants sont bien traités) et fait entendre leur refus de négocier, avant un bref direct destiné à faire le point. Le second sujet porte sur la troisième journée d’action des salariés d’EDF/GDF.

Des faits, des explications (autant que le permet la brièveté des reportages), pas de commentaires latéraux ou en surplomb. On se prend à rêver d’un journalisme qui disposerait de plus de moyens et de temps, du moins quand les circonstances l’imposent.

Le même jour, à 20 h sur TF1

Le journal s’ouvre sur l’annonce des titres : pas moins d’1 minute 30. Premier de ces titres : « le saccage » sur des images spectaculaires et l’annonce de la proposition de discussions tripartites par Luc Chatel. Aucun lien entre les deux ? Leur juxtaposition (les violents et le négociateur) vaut tous les commentaires. Il n’empêche : « Et on commence, bien sûr, par l’actualité sociale ». Bien sûr ?

Sur TF1, quand la question sociale fait irruption dans l’actualité par temps de crise économique, il devient difficile la traiter par le mépris et de cautionner ouvertement la violence patronale en condamnant la violence ouvrière, du moins tant que celle-ci semble bénéficier de la compréhension populaire. Mais Laurence Ferrari ne parvient pas à dissimuler sa réprobation. Pour preuve, sa mine lorsqu’elle annonce le reportage sur le saccage de la sous-préfecture en insistant sur les mots : « 300 salariés du site de Clairoix ont manifesté leur colère en saccageant la sous-préfecture de Compiègne, c’est le refus de la justice de suspendre le projet de fermeture de leur usine qui a provoqué cette flambée de violence . » (20 Heures, 21 avril 2009)

Pourtant, durant quelques jours, les reporters de TF1 ont proposé un travail honorable en suivant les salariés de Continental. Ainsi, la caméra est à leurs côtés lorsqu’ils investissent et « saccagent » les locaux de la sous-préfecture de l’Oise à Compiègne : « Cet après-midi à Compiègne, les plus déterminés des salariés de Continental ont donc laissé éclater leur colère. Tout s’est joué ici, en quelques minutes, à la sous-préfecture de l’Oise, où ils avaient conduit le délégué CGT devenu leur leader, Xavier Mathieu. Entouré d’une centaine d’ouvriers, qui ont alors pris possession des lieux, le syndicaliste va recevoir au téléphone la nouvelle tant redoutée : le tribunal de Sarguemine vient de débouter les salariés de l’usine de Clairoix de leur demande visant à suspendre la procédure de fermeture. » Suivent alors les interventions des salariés, illustrées par des images de casse.

- Xavier Mathieu [au téléphone] : « On a été débouté les gars. »
- Commentaire en voix-off : « Pas d’affrontement ni de blessés, mais des bureaux entièrement saccagés car la rage se tourne aussi vers le gouvernement. »
- Un salarié : « Avec les Américains, avec les Caterpillar il y a pas de problème, les Américains, OK, mais les Allemands, on veut pas de problème avec eux. Et bien nous on va à Hanovre le 23. »
- Voix off : « Le 23, c’est jeudi. Mais en attendant de se retrouver en gare de Compiègne, demain soir dans un train spécial pour aller manifester avec leurs collègues Allemands, la colère des Conti a aussi touché aujourd’hui les bâtiments d’accueil de l’usine de Clairoix. L’usine, où le travail ne reprendra peut-être jamais.
- Un salarié : « 53 ans, 30 ans de boîte, on te vire comme un kleenex, c’est tout. Tout ce que j’ai à dire. »
- Autre salarié : « Je pense qu’il faut se battre, on va se battre, on a plus rien à perdre. »
- Voix-off : « Le dos au mur, les Continental Clairoix savent qu’il ne leur reste que 4 semaines avant que le plan social ne s’enclenche progressivement pour les 1120 salariés de l’usine picarde. »

De brèves informations complètent le chapitre social du journal : les conflits de Caterpillar, Molex et à EDF-GDF, avec ce complément, une fois rapidement mentionné le basculement 25 000 clients au tarif « heures creuses » : « Moins drôle, le gaz et l’électricité ont été coupés en plusieurs endroits aujourd’hui. »

Le même jour, à 20 h sur France 2

David Pujadas, parmi les titres du journal, pose la question qui le tourmente… avant d’exposer brièvement les faits qui à ses yeux la justifient : « La fin justifie-t-elle les moyens ? Des salariés de Continental ont en partie saccagé une sous-préfecture, après le rejet de leur pourvoi par la justice. Pendant ce temps, dans l’usine Molex, deux dirigeants ont été séquestrés pendant 24 heures. Reportages, et réactions dans un instant. »

(1) Quand vient le moment d’aborder le conflit de Continental, ce sont les faits qui sont d’abord résumés par le présentateur : « L’exaspération et la violence dans les conflits sociaux ont donc franchi un nouveau cap, cet après- midi. Je vous le disais : les salariés de Continental à Clairoix, qui réclamaient la suspension de la fermeture de l’usine, ont été déboutés par le tribunal. Dans la foulée, 250 à 300 d’entre eux ont investi la sous-préfecture de Compiègne. Des bureaux ont été dévastés ».

Suit alors un reportage, beaucoup plus éloquent que celui de TF1, qui entrelace le récit en images des événements et les paroles de salariés.

- Homme [au téléphone] : « Et alors ? C’est pas vrai, on a été débouté les gars. »
- Voix-off : « La douche froide et la colère. Les salariés de Continental s’étaient installés à la sous-préfecture de Compiègne en attendant la décision de justice. Ils espéraient une suspension du plan social pour délit d’entrave. Le tribunal les a déboutés »
- Homme : « Ca veut dire qu’on a perdu. On a perdu à Sarguemine. La direction a gagné »
- Voix-off : « Ils passent d’un bureau à l’autre de la sous-préfecture et saccagent tout sur leur passage. Dépités, écoeurés, ils repartent vers leur usine de Clairoix. »
- Homme [s’adressant aux salariés] : « Ils ne comprennent pas que ça fait cinq semaines qu’on se retient, qu’on est gentil, qu’on dit rien. Aujourd’hui, c’est terminé. Ils ont eu les moutons, maintenant ils ont les lions. Faites-vous plaisir. »
- Voix-off : « Cette fois, c’est le bureau d’accueil de l’usine qui est mis à sac. »
- Homme 2 : « C’est nous les méchants ? Non, mais il faut arrêter. Il faut voir comment on a été exploité, tout. Maintenant, il est temps de s’exprimer et pourtant ce n’est pas dans ma nature. Mais arrivé à un moment, trop c’est trop. »
- Voix-off : « Demain les Conti se rendront à Hanovre en Allemagne pour manifester leur colère à l’assemblée générale des actionnaires de Continental. Ils seront rejoints par leurs collègues allemands qui subissent le même sort. »

(2) Retour en plateau. David Pujadas, plutôt que d’interroger les salariés sur les motifs de leur colère, les somme de s’expliquer sur leur « violence ».

- David Pujadas : « Bonsoir Xavier Mathieu, vous êtes le délégué CGT de Continental à Clairoix. On comprend bien sûr votre désarroi, mais est-ce que ça ne va pas trop loin ? Est-ce que vous regrettez ces violences ? »
- Xavier Mathieu [délégue syndical CGT-Continental] : « Vous plaisantez j’espère ? On regrette rien … »
- David Pujadas : « Je vous pose la question. »
- Xavier Mathieu : « … Non, non, attendez. Qu’est-ce que vous voulez qu’on regrette ? Quoi ? Quelques carreaux cassés, quelques ordinateurs à côté des milliers de vies brisées ? Ca représente quoi ? Il faut arrêter là, il faut arrêter. »
- David Pujadas : « Pour vous la fin justifie les moyens . »
- Xavier Mathieu : « Attendez, la fin. On est à 28 jours de la fin, monsieur. On est en train de nous expliquer que dans 28 jours [images de saccage reprises en parallèle] le plan social sera bouclé et on va aller à la rue. Oui, oui, je ne regrette rien. Personne ne regrette rien ici parce que vous avez vu, vous avez pas vu des casseurs, vous avez vu des gens en colère, des gens déterminés, des gens qui veulent pas aller se faire démonter, crever. On ne veut pas crever. On ira jusqu’au bout de notre bagarre. On a tenu cinq semaines. Pendant cinq semaines j’ai réussi, on a retenu, on a réussi à retenir les gens. C’est fini, les gens n’en veulent plus. Le gouvernement nous a fait des promesses. Il s’est engagé à réunir une tripartite depuis le début, dans les trois jours. Ca fait une semaine que ça dure. Depuis on se rend compte … »
- David Pujadas : « Xavier Mathieu, on entend votre colère, mais est-ce que vous lancez un appel au calme ce soir ? »
- Xavier Mathieu : « Je lance rien du tout. J’ai pas d’appel au calme à lancer. Les gens sont en colère et la colère il faut qu’elle s’exprime. Il y a un proverbe des dernières manifestations qui dit qui sème la misère récolte la colère. C’est ce qu’ils ont aujourd’hui. Il y a plus de 1 000 familles qui vont être à la rue qui vont crever dans 23 mois avec plus rien, qui vont être obligées de vendre leur baraque. Il faut que tous vous compreniez ça. On ne veut pas crever … »
- David Pujadas : « Merci, Monsieur Mathieu, d’avoir été en direct avec nous. Un mot encore. Il y a dix minutes tout juste, Luc Chatel, secrétaire d’Etat à l’industrie, proposait ces discussions tripartites après les événements donc de cet après-midi. Merci Monsieur Mathieu. »

(3) Et David Pujadas d’enchaîner : « Autre lieu, et autre usine : à Molex, en Haute- Garonne, deux dirigeants de la société ont été séquestrés 24 heures par les salariés. Après une nuit et une journée, ils viennent d’être relâchés. »

Le reportage suivant, à l’instar du précédent, informe et laisse entendre la parole des protagonistes. Pour un résumé suivre la note [1].

(4) Vient le moment de proposer un éclairage qui, aussi bref soit-il, ne porte en lui-même aucune approbation ni condamnation des actions des grévistes.

- David Pujadas : « Voilà Molex, Continental. Pour mieux saisir la portée de ces événements Agnès Molinier nous a rejoint. Bonsoir Agnès. » Celle–ci répond alors à trois questions.
- David Pujadas : « Alors on souligne, on s’indigne parfois de l’utilisation de la force mais est-ce vraiment une nouveauté ? »
- Agnès Molinier : « La séquestration de patrons, David, est même une pratique ancienne en France. Suit alors le rappel de quelques séquestrations depuis la fin des années 70. « […] La radicalité n’est donc pas nouvelle. »
- David Pujadas : « Oui, on a parfois la mémoire courte. Deuxième question Agnès, est-ce que ce n’est pas aussi aujourd’hui l’occasion d’attirer l’attention des médias ? »
- Agnès Molinier : « La médiatisation est importante. A ce sujet, nous avons rencontré René Mouriaux, c’est un spécialiste de l’histoire sociale. » Suit alors une brève interview de René Mouriaux qui confirme l’importance la médiatisation notamment, parce que […] ça fait pression sur les directions pour qu’elle donne l’impression qu’elles écoutent, qu’elles sont même capables de faire un peu de social, comme on disait autrefois. »
- David Pujadas : « Dernière chose, dernière question toute simple, Agnès, est-ce qu’il y a des sanctions ? »
- Agnès Molinier : « Selon le code pénal, la séquestration est passible de 20 ans de réclusion criminelle ou 5 ans si la retenue dure moins d’une semaine. Mais hormis deux actions en référé, dont une que l’on voit sur ces images, aucun chef d’entreprise n’a aujourd’hui porté plainte. Ils semblent aujourd’hui jouer l’apaisement, mais jusqu’à quand ? »

Un regret ? Que David Pujadas ne demande pas plus souvent au patronat si la fin justifie les moyens, et s’il déplore sa violence.

II. Mercredi 22 avril, lendemain des « violences »

Retour aux faits sur France Télévisions…

Sur France 3, le 19/20 ne prétend pas tirer les leçons des événements de la veille à la place des téléspectateurs. Alors que le JT s’ouvre sur les procès des criminels de Londres et de Jacques Viguier, 5’26’’ plus tard, un reportage d’une durée de 2’50’’ est consacré aux réactions politiques après le saccage de la sous-préfecture par des salariés de Continental. Le commentaire souligne que les salariés « ont au moins obtenu une réunion », mais que sur l’action elle-même « les interprétations divergent ». Se succèdent alors les déclarations de François Fillon, Benoît Hamon, François Bayrou…. et d’un responsable CGT.

France 2, après la débauche de commentaires de la veille, s’en tient, pour l’essentiel, aux faits que David Pujadas présente ainsi : « En France, l’actualité sociale. Et on commence avec les suites de ces scènes de saccage à la sous-préfecture de Compiègne que nous vous montrions hier soir. ’’Il y aura des poursuites judiciaires’’, a affirmé François Fillon, ce matin, sur France Inter. L’enquête est d’ailleurs en cours. » Le bref reportage qui suit laisse des salariés commenter en quelques mots les déclarations de Fillon [2]

TF1, en revanche, s’est donné le temps de la réflexion avant d’éclairer les téléspectateurs…

… Et éclairages sur TF1

(1) Dans le JT de 13 heures, Jean-Pierre Pernaut donne la parole à un invité de marque : « Jean-Marc Sylvestre, violence à Compiègne, séquestration dans plusieurs entreprises, on l’a vu depuis quelques semaines, c’est un phénomène franco-français ou pas ? » La réponse étant dans la question, nul besoin de réfléchir longuement pour comprendre que le désaveu des séquestrations est compris dans cette comparaison évidemment défavorable. Mais c’est un désaveu tout en prudence et circonlocutions, qui s’interroge, à ce propos, sur les difficultés rencontrées par le gouvernement.

Jean-Marc Sylvestre : « Oui, c’est un phénomène qui est très franco-français, mais la situation est inquiétante, il y a une vraie souffrance, il y a une vraie émotion, et le gouvernement est visiblement embarrassé parce qu’il existe de vraies difficultés d’emploi, avec des perspectives de chômage qui sont mauvaises. Alors le gouvernement se retrouve avec une multiplication d’actes de violence, vous le disiez, mais qui appartient c’est vrai à la tradition franco-française. » Parmi les traditions françaises, toujours très chères à Pernaut, celle de la révolte ne semble pas être celle qu’il affectionne le plus…

Sylvestre se lance dans une comparaison : « Nous avons une culture du conflit social, qui est un conflit même assez violent, c’est une culture franco-française que ne connaissent pas nos voisins, nos partenaires. En Allemagne, en Grande-Bretagne, vous savez, il y a autant de chômage que chez nous, il n’y a pas ce type d’acte de violence. En Espagne, où la situation est franchement catastrophique, il n’y a pas de séquestration de patrons. »
Et comme le reportage qui sera diffusé le soir même, il insiste – malgré lui - sur le côté efficace de ces actes : « Il faut dire aussi qu’en France, ces actions sont parfois payantes parce que le pouvoir est désarmé, alors il démissionne. Parce que l’opposition politique en profite pour attiser et souffler sur les braises. Faut dire que cette tradition est ancienne, vous savez les agriculteurs français, par exemple, ont été choyés par les gouvernements, quels qu’ils soient, tous, de droite comme de gauche. Pourquoi ? Parce qu’ils savaient bloquer les routes, parce qu’ils savaient bloquer les préfectures. Alors, la gestion de ce type de situation, elle est d’autant plus délicate, que les syndicats sont débordés eux-mêmes. »
Pour conclure son intervention, Sylvestre va même jusqu’à condamner le comportement de certains patrons : « Non, il faut tout faire pour réanimer l’activité bien sûr, dans les régions, tout faire pour réanimer les contre-pouvoirs à l’intérieur de l’entreprise, ne serait-ce que pour calmer un certain nombre de patrons qui parfois tombent dans la provocation. Et dans l’immédiat, on ne fera pas de miracle, il faut donc faire de la politique. C’est quoi ? C’est de la pédagogie, de l’explication mais c’est quand même assez risqué. »

(2) A 20 h, TF1 récidive. Cette fois, c’est un « expert » qui est chargé de délivrer la bonne parole. Laurence Ferrari annonce le sujet ainsi : « Alors que chaque jour dans ce journal, nous vous parlons des conflits dans certaines entreprises en difficulté, y a-t-il vraiment une hausse de la violence sociale et notamment du nombre de séquestrations de patrons ? » Pour Laurence Ferrari la « violence sociale », ce n’est pas la violence des licenciements (et plus généralement de l’exploitation), c’est la violence de certaines actions des salariés…

Un reportage de propagande, à montrer dans toutes les écoles de… propagande, illustre cette situation. « Les victimes de la crise multiplient les actions radicales. Des agissements uniques en Europe » prévient la voix-off avant de s’effacer devant celle de Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du Travail. Un Institut qui, sur son site se présente lui-même comme… « l’expert des relations sociales et syndicales ». Quant à Bernard Vivier, c’est un ancien journaliste qui, en 2006, a reçu les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, des mains de … Patrick de Carolis, président de France Télévisions. Des précisions dont les téléspectateurs ont été privées.

L’expert fait écho à Jean-Marc Sylvestre : « La culture de la séquestration, de la barricade, de la violence est française, parce que ailleurs en Europe, le licenciement est une décision d’entreprise acceptée par les organisations syndicales. » Et « l’expert » d’expertiser : « Licencier n’est pas un acte nauséabond, c’est un acte de nécessité. Cet acte qui est grave est préparé et accompagné. » Nous voilà rassurés... Le reportage se poursuit avec quelques images d’archives où l’on voit des patrons entourés par des salariés, des heurts dans la rue, etc. Conclusion : « Ces actions coups de poing permettent d’obtenir de meilleures indemnités. » Comme si elles n’étaient que cela…

***

Pendant deux jours donc, dans les JT de France, des reportages, certes prisonniers de leur durée et avares d’explications qui dépassent les simples circonstances, ont honnêtement relaté des conflits sociaux en laissant entendre, brièvement, la parole des salariés. Un autre journalisme est donc possible…

… Du moins quand l’orientation éditoriale le permet. Or, à part pour France 3 qui témoigne souvent d’une plus grande « sensibilité sociale » que les autres chaînes, c’est rarement le cas. Mais, pendant deux jours, celles-ci nous ont offert des présentateurs pris de « malaise » (mais pas au point de renoncer, à l’instar de David Pujadas, à leurs leçons de morale) et des journalistes spécialisés, d’une grande prudence (même si la « pédagogie » façon Jean-Marc Sylvestre a toujours un arrière-goût de propagande).

Pourquoi ? Pourquoi les préjugés et le mépris habituels à l’égard des travailleurs mobilisés ont été partiellement mis en sourdine par les chefs d’orchestres des JT ? Risquons une hypothèse : parce que nombre de salariés en lutte dans les entreprises et dans les rues sont des téléspectateurs, et leurs actions sont populaires : comprises même si elles ne sont pas toujours approuvées. En témoigne un… micro-trottoir inhabituel diffusé dans le JT de 13h sur TF1 après le saccage de la veille de la sous-préfecture. La voix-off du journaliste annonce : « A 500 mètres de la sous-préfecture de l’Oise qui a subi la colère des Continental, c’est plutôt la compréhension qui domine. » Une dame plutôt âgée reconnaît qu’ils n’auraient pas dû « aller si loin », mais précise : « A force, à force, faut que ça casse. » Analyse partagée par un autre interviewé : « Je ne dirais pas qu’ils ont raison, mais bon, quand on perd son emploi, qu’on a des crédits sur le dos, on peut comprendre leur geste. » Un retraité ancien licencié d’Alstom va dans le même sens, et une passante lâche : « c’est normal, il faut qu’ils se défendent. »

Henri Maler et Mathias Reymond
(avec les transcriptions de Jamel et Yannick)

Notes

[1] Le reportage commence par cette information : « 15H30 sur le site de l’usine Molex, la tension monte d’un cran. Le secrétaire du comité d’entreprise est convoqué devant la justice pour séquestration, assigné par la direction. ». Celui-ci explique : « D’un côte, on nous propose de négocier une grosse merde, ça je le dis en mon nom, c’est une grosse merde et de l’autre côté, ils m’assignent en référé. Donc voilà encore une fois la réponse de la direction. » Et la journaliste commente : « Le départ de leur collègue vers le tribunal provoque un malaise. ». C’est ce « malaise » qu’explique un salarié : « « Moi quand j’entends des propos comme ça envers le secrétaire du CE alors qu’il y a 300 personnes qui vont être licenciées et que des gens demain ils vont se retrouver avec des salaires de 7 à 8 000 euros par mois alors que ils sont en train de licencier 300 personnes, ça me fait mal aux tripes. ».
Suite du commentaire : « Les salariés profitent alors d’une sortie autorisée d’un des dirigeants séquestrés pour l’interpeller. Jusqu’à lors, ils évitaient toute confrontation. » Et à l’appui cet échange :

- Un salarié :- « Vous êtes entrain, une fois de plus, de donner un coup de couteau, c’est-à-dire d’assigner le responsable du CE en justice. On est d’accord. C’est ça votre dialogue ? »
- Un cadre : « Ecoutez, si vous êtes 24 heures vous n’êtes pas libre de mouvement pendant 24 heures et vous essayez depuis ce matin, avec la direction départementale, de débloquer la situation et qu’on n’arrive pas, on prend d’autres recours. »

Le reportage s’achève ainsi :
- La journaliste : : « Peu avant 20 heures, les deux dirigeants sont relâchés, éprouvés. »
- la cadre « relâchée » : - « Contente de pouvoir enfin rentrer chez moi. »
- La journaliste : - « Les salariés se sentent floués, les insultes pleuvent. Comme des voyous, les dirigeants rejoignent leur véhicule. Dans ce climat, une médiation entre la direction et partenaires sociaux doit commencer ce soir en préfecture. »

[2] Le journaliste : « Les stigmates de la colère d’hier sont encore bien visibles. Pour des raisons de sécurité, l’usine Continental est restée fermée aujourd’hui. La direction a décidé de porter plainte pour dégradations. Autre plainte, celle des représentants de l’Etat après les dégâts causés à la sous-préfecture de Compiègne. Le parquet affirme que les casseurs sont d’ailleurs en cours d’identification. Le premier ministre promet la plus grande fermeté. » Puis, après les menaces de Fillon et l’explication sur les sanctions encourues, ces propos de salariés :
- Un premier salarié : - « Ils n’ont pas le droit de nous sanctionner. On n’a rien fait de mal. On n’a rien fait de mal, c’est tout. C’est la colère, c’est tout. »
- Un second salarié : « Nous ne sommes pas du tout les méchants. Les méchants sont ceux qui nous virent, là. C’est les actionnaires. » La fin du reportage évoque notamment les plaintes déposées par les cadres de Molex, mais aussi par les salariés : « […] Chez l’équipementier Molex, en Haute-Garonne, les deux cadres libérés hier après 25 heures de séquestration envisagent sérieusement de porter plainte. Ce serait une première. Jusqu’à présent, aucun dirigeant séquestré depuis début mars n’a donné de suites judiciaires. Si elle dure moins de 7 jours, la séquestration est passible d’une peine de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. Dans le même temps, les salariés de Molex ont déposé plainte contre leur propre direction pour délit d’entrave. Les patrons n’auraient pas informé correctement les salariés de la fermeture programmée de l’usine. Et là, ce sont les patrons qui risquent, en théorie, jusqu’à un an de prison. »

Acrimed - 04.05.09

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