Mardi 5 mai, le ministre du Budget Eric Woerth a réuni 600 de ses 23.000 contrôleurs dans le cadre d'une "journée spéciale de lutte contre la fraude", fiscale et sociale. Curieusement, la lutte contre la fraude à l'impôt, cheval de bataille du preux Sarkozy lors du G20 de Londres, a peu été évoquée : une petite demi-heure y a été consacrée, pour trois heures de conférence. Alors qu'aux Etats-Unis, Barack Obama propose des mesures choc contre l'évasion fiscale, qui rapporteront jusqu'à 210 milliards de dollars, en France, le gouvernement accentue sa lutte contre... la fraude sociale. Bénéfice estimé : 400 millions d'euros.
30 à 50 milliards de manque à gagner, dont 70% de fraude fiscale
En 2007, un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires estimait que 30 à 40 milliards échappaient illégalement au Trésor - hors évasion fiscale. La Commission européenne avance les chiffres de 40 à 50 milliards d'euros, quant au Syndicat national unifié des impôts (SNUI), il évalue la douloureuse entre 42 et 51 milliards d'euros. La part de la fraude fiscale s'approche des 70% du total, les 30% restant étant à mettre au compte de la fraude sociale. Et encore... les organismes de prestations sociales CNAM-CNAF-UNEDIC détectent moins de 300 millions d'euros de fraude tous les ans. On pourrait donc logiquement s'attendre à une hiérarchisation des programmes anti-fraude. Que nenni...
De la stigmatisation du petit fraudeur... une méthode politique sans fondement économique
Durcissement des règles pour l'indemnisation des chômeurs, multiplication des contrôles d'arrêts maladie, réduction des indemnités, contrôle des "signes extérieurs de richesse" des RMIstes, mise en place d'un système de croisement des fichiers de données des organismes sociaux, renforcement des sanctions avec instauration de "peines plancher". Aujourd'hui, près d'un tiers des personnes éligibles au RMI n'en bénéficient pas, par défaut d'information, parce qu'ils ont renoncé à en faire la demande face à la complexité de la procédure, ou simplement par crainte d'être stigmatisé en tant qu'"assisté". Systématiquement, les bénéficiaires de prestations sociales sont considérés comme des fraudeurs potentiels. Du Sarkozy dans les textes.
Les gros fraudeurs fiscaux, des fantômes qui hantent le pacte social...
Les mesures concernant la fraude fiscale ? Dépénalisation du droit des affaires (bien moins violente que ce qu'on attendait), amnistie pénale et pas de contrôle fiscal pour les exilés des paradis fiscaux prêts à se repentir. Des informations récemment parues dans la presse ont en outre évoqué la dissimulation possible dans les paradis fiscaux de centaines de millions d'euros, par des sociétés du CAC 40. Le pouvoir n'a toujours pas réagi. Sans compter que l'actuel gouvernement s'échine à alléger la fiscalité des entreprises et des particuliers les plus riches : en plus du bouclier, il existe aujourd'hui près de 500 niches fiscales permettant d'échapper légalement à l'impôt, qui représentent 73 milliards d'euros, selon le rapport Carrez de juin 2008. Certes, quelques mesures vont dans le bon sens, notamment pour lutter contre les escroqueries à la TVA au niveau européen. Mais elles restent marginales.
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Alors ? Alors l'essentiel de la fraude est liée à la fiscalité, quand l'essentiel de la lutte est consacrée à la fraude sociale, au risque d'être perçue comme un nouvelle forme de chasse aux pauvres. La politique actuelle montre en réalité une volonté idéologique de stigmatiser les "assistés", qu'Eric Woerth a complétés mardi par l'annonce de l'imminence d'une "circulaire de politique pénale dans la fraude aux prestations sociales". Comme si ça ne suffisait pas. Résumons : 10 à 15 milliards de fraude sociale, 30 à 35 milliards de fraude fiscale, 70 milliards de niches fiscales (légales)... à comparer aux 110 milliards d'euros rapportés en 2008 par les impôts sur le revenu et sur les sociétés, et au budget de l'Etat qui ne dépasse pas les 300 milliards.
Et le démantèlement de la DGCCRF ne risque pas d'arranger les choses...
Les mots ont un sens - 07.05.09
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