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04/05/2009

L’actualité de la crise : Les zombies sont au pouvoir

François Leclerc

A force de suivre les épisodes à rebondissement de l’actualité financière américaine, au prétexte que là se trouve l’épicentre de la crise (avec son corollaire, qu’il en viendra sa solution), il ne faudrait pas négliger celle qui court en Europe, même si elle n’est pas toujours aussi flamboyante. Le FMI a sonné il y a quelques jours le tocsin (le mot n’est pas trop fort), devant ce qui la menace, estimant que le vieux continent était très loin d’avoir accompli tous ses efforts d’assainissement, qui restaient donc devant lui. Dans son dernier « Rapport sur la stabilité financière dans le monde », il a estimé qu’il faudra encore injecter entre 325 milliards et 725 milliards de dollars dans le capital des banques de la zone euro (hors Grande-Bretagne donc) pour les sauver.

Il semble désormais acquis que le système financier américain est, dans son entièreté, dans un état de très fort délabrement. De plus en plus difficile à dissimuler, en dépit de la récente petite embellie boursière dont il a bénéficié à Wall Street, qui ne signifiait pas que les banques ont recouvert la santé, comme on a voulu y croire. A la veille de la publication des « stress tests » du Trésor US, déjà qualifiés de « danse des sept voiles » par des esprits facétieux, il n’en reste pas grand chose. Chaque échéance renvoie à la suivante, c’est pour l’instant du moins sans fin. Cela signifie-t-il pour autant que l’Europe n’est que marginalement touchée ?

Des banques anglaises et allemandes, néerlandaises et belges, puis suisses (j’espère n’avoir oublié personne), ont les unes après les autres défrayé la chronique ces dernières semaines. Dans cette actualité-là, il pouvait à tort sembler qu’aucun système financier national n’était atteint dans son entier, comme aux USA. L’accent des gouvernants était mis sur la solidité de leurs banques, sans que des informations ne viennent contredire leurs assertions. Des doutes s’exprimaient tout au plus, isolés et minoritaires, des interrogations apparaissaient, réservées à des cénacles d’initiés.

En réalité, c’est l’ensemble du système financier mondial qui est à terre. Les banques centrales, par leurs injections systématiques de liquidités, alimentent l’illusion qu’il fonctionne régulièrement. Ce ne sont pas, ici et là, des banques qui sont devenues des « zombies », comme l’a assené Willem Buiter dans sa chronique du Financial Times, terme qui a depuis fait florès, c’est toute « l’industrie financière » qui peut être en réalité qualifiée ainsi. Elle, qui connaît une déroute sans précédent, cette orgueilleuse qui ne veut toujours pas en rabattre et qui plaque au sol l’activité économique.

Bien sûr, les dégâts sont inégalement répartis mais plus l’on approche de ce qui était l’élite du système bancaire et financier international, plus on touche à ce qui étaient ses centres nerveux, à ses grandes places financières, plus ceux-ci sont selon toute probabilité étendus, même s’ils ne sont pas des plus apparents. Masqués grâce à des écritures comptables plus ou moins légales, travestis à grand renfort d’ingénierie financière, planqués dans ces refuges discrets que sont le hors bilan et les « paradis fiscaux » et dans ce cas-là externalisés dans de discrètes filiales, compensés partiellement grâce aux profits que les gros réalisent en mangeant les petits, aux excellentes affaires en tout genre que la crise suscite (dont le « carry trade » qui est de retour), et enfin, en raison de l’argent facile et quasiment gratuit que les banques centrales leur procurent sans compter, les marges opérationnelles des banques s’élargissant en conséquence. Sans oublier les aides sur fonds publics, les souscriptions d’actions, les prêts, les garanties, tout un arsenal mis à disposition sans véritables contreparties.

Plus la surface financière des banques est grande, plus les capacités d’absorption et de dissimulation des scories de leurs dérèglements sont importantes. En d’autres termes, l’arbre a pourri par la tête, pas par les pieds.

Mais, pour revenir à l’Europe, prenons donc le cas de la France, cette quasi miraculée dont on voudrait nous faire une sainte, dont il nous a été dit et redit qu’elle était largement prémunie de ces turpitudes d’origine yankees, faisant dire aux mauvais esprits que nous revivions cette étonnante situation qui avait voulu que le nuage de Tchernobyl s’était en son temps arrêté aux frontières, de part la seule grâce des autorités a-t-on par la suite découvert.

L’OCDE, dont il nous sera accordé qu’elle ne peut être suspectée de complaisance avec les critiques implacables du capitalisme financier qui enflent par ailleurs, vient de rendre public, le 28 avril dernier, son « Etude économique de la France 2009 ». Un exercice rituel, avec un contenu qui en général ne l’est pas moins. A l’exception de quelques petites phrases, et de commentaires de son auteur lors de sa présentation, qui ressemblent bien à des coups de pied de l’âne. Qui n’ont regrettablement pas fait la une de la presse.

« Il y a clairement des expositions à des institutions et à un certain nombre d’actifs dont l’évaluation est très difficile aujourd’hui, c’est pour ça qu’il faut rester prudent », a déclaré Alain de Serres, co-auteur de l’étude, à propos des bilans des banques françaises. Insistant, en ajoutant, « Il faut rester vigilant (…) tant qu’il y aura des doutes qui pèseront sur le bilan des banques françaises notamment reliées à la question du traitement des actifs toxiques ». La récession expose « les banques à de nouvelles dégradations de leurs actifs alors qu’elles sont déjà fragilisées », bien qu’elles semblent « en meilleure posture que dans d’autres pays » (propos repris par l’AFP).

Il y a peu de chance que les résultats du 1er trimestre 2009 de BNP Paribas et de la Société Générale, qui seront rendus publics mercredi et jeudi prochains, nous éclairent à ce propos. Ces banques ont fait des bénéfices en 2008 et vont continuer à en annoncer d’autres, et alors ? Il faut l’opiniâtreté de certains journalistes (je fais référence à Nicolas Cori, de Libération), pour soulever des lièvres comme cela a été dernièrement le cas à propos de la Société Générale, mais c’est resté, tout du moins pour l’instant, sans lendemain. A aller dénicher, dans des annexes de compte de bilan, certaines valorisations flatteuses d’actifs, qui ont été comme isolés dans des filiales qui ont toute l’apparence de structures de cantonnement dont on ne dit pas le nom. La banque, disent les banquiers, est une affaire complexe. Si l’on veut.

La banque d’investissement Natixis ne peut même plus afficher ce genre de santé. Elle est en toute première ligne, d’après François Pérol, le président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne et directeur général de la Banque fédérale des Banques populaires, ses maisons-mère. Elle pourrait en effet avoir à encore déprécier ses actifs illiquides, actuellement inscrits pour une valeur actuelle d’environ 50 milliards d’euros dans ses livres, sans qu’il soit précisé de combien. Natixis, qui a été à ce jour la plus touchée des banques françaises, a en 2008 reconnu 2,8 milliards d’euros de perte, et cela risque de ne se révéler que de la menue monnaie. Les deux réseaux, qui ont déjà dû fusionner pour faire face à leurs propres pertes, sont dans l’incapacité de faire face à cette situation par leurs propres moyens. En décembre dernier, Natixis avait cantonné dans une structure spécifique un « certain nombre d’actifs risqués, totalement illiquides (…) des actifs titrisés, de l’exposition aux réhausseurs de crédit essentiellement américains, de l’exposition à des véhicules sophistiqués » a reconnu, en guise d’évaluation provisoire des dégâts, François Pérol, devant une commission du Sénat le 29 avril dernier.

Va-t-il falloir envisager en France, comme il semble que cela puisse prendre tournure aux USA, avec la publication retardée à jeudi prochain des résultats des fameux « stress tests » (le temps de négocier avec les banques le bout de gras), une opération vérité ? Chaque gouvernement en retarde le plus possible l’échéance et ne s’y résout que lorsque ne rien dire serait encore pire. Les Allemands ont ainsi repoussé à septembre prochain, à après leurs élections législatives, la création de « bad banks ». Les travaillistes britanniques, selon toute probabilité, vont être en quelque sorte sauvés par leur prochaine défaite électorale et passeront ainsi le bébé à leurs successeurs. En France (et aux USA), la majorité politique ne dispose pas de cette ressource, et c’est bien embêtant pour ceux qui occupent les sièges du pouvoir.

Un article du 27 avril dernier de Dominique Mariette, dans slate.fr, avait à ce propos de quoi attirer l’attention. Sous le titre : « L’Elysée envisage de nationaliser les banques », l’ancienne rédactrice en chef de la Tribune, spécialisée dans les questions financières, écrivait : « L’Elysée explore toutes les pistes pour assainir la situation des banques françaises. Si la crise financière se prolonge, comme cela semble être le cas aux Etats-Unis, l’année 2009 pourrait se traduire à nouveau par de très mauvaises surprises avec de nouvelles dépréciations d’actifs, des pertes et pour finir des problèmes de solvabilité. Pour faire face à un tel scénario, l’Elysée étudie la possibilité de lancer un grand emprunt afin de financer des nationalisations temporaires qui permettraient d’isoler les actifs toxiques et de les cantonner dans une structure ad hoc. La Caisse des dépôts pourrait aussi être appelée en renfort. »

Aucune source n’a certes été mentionnée à l’appui de cette information, mais elle ne détonne pas dans le paysage, et elle ne devrait pas être démentie par la suite des opérations.

Depuis octobre dernier, l’Etat français pratique l’équivalent de l’art discret de l’endettement hors bilan, grâce à la Société de Financement de l’Economie Française (SFEF), que préside Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI. Cette structure avait été initialement dénommée Société de Refinancement des Activités des Etablissements de Crédit (SRAEC), mais il faut croire que son activité était ainsi trop explicitement décrite et qu’il fallait la baptiser autrement. La SFEF, société privée détenue à 66% par sept grandes banques françaises et 34% par l’Etat, est un intermédiaire entre les marchés et les établissements de crédit, avec pour mission de réaliser des émissions sur le marché obligataire, en lieu et place des banques, avec la garantie de l’Etat, et de leur prêter ensuite les fonds recueillis. A ce jour, elle a émis 35 milliards d’euros d’obligations libellées en euros et 18,5 milliards de dollars de titres libellés en dollars. Les émissions de la SFEF sont pour l’instant plafonnées à 265 milliards d’euros sur la durée de vie du programme, actuellement prévue pour la fin 2009.

Ce montage permet donc d’évacuer du budget de l’Etat la charge de refinancement des banques françaises, mais il est un peu scabreux. C’est la raison pour laquelle il a peut-être fait son temps. Il évite également de poursuivre l’émission par les banques d’actions subordonnées (sans droit de vote), souscrites par l’Etat mais politiquement insoutenables, si elles devaient se poursuivre.

Mais les ratios sont les ratios. Au fur et à mesure que des dépréciations d’actifs vont devoir inévitablement être enregistrées dans le monde bancaire, il ne va plus lui être possible de prétendre toujours être « dans les clous » de Bâle II, ces accords internationaux déterminant les réserves en capital dont les banques doivent obligatoirement disposer. Des recapitalisations vont donc être nécessaires.

C’est cette exigence à venir qui explique l’énervement manifeste que les estimations du FMI en matière de recapitalisation ont suscité, à l’occasion de sa récente « réunion de Printemps » de Washington, chez Jean-Claude Trichet, gardien du temple de la BCE, ainsi accessoirement que chez Christine Lagarde, ministre française de l’économie. Le doigt était en effet mis là où cela fait politiquement mal.

C’est dans ce même contexte qu’il faut aussi analyser les sourdes batailles en cours, dont il ne nous parvient que des échos très affaiblis, à propos de l’évolution des normes comptables d’évaluation des actifs, suite à celle qui est intervenue en urgence aux USA. Et pour laquelle l’« International Accounting Standards Board » (IASB), l’organisme en charge dont le siège est à Londres, traîne les pieds aux yeux de nos édiles. Sous l’étendard de la lutte contre la finance américaine, déjà dénoncée pour avoir exporté son mal, que les banques européennes ont pourtant été ravies de partager, elles prétendent protéger le système financier européen de dangereux déséquilibres concurrentiels. En réalité, Il est surtout cherché le moyen de minorer au maximum la nécessité de recapitaliser celui-ci, en raison des risques politiques redoutés qui en découleront.

Décidément, par quelque bout que l’on prenne les choses, nous sommes bien entrés dans l’acte II de la crise. Elle était financière et économique, elle va devenir politique.

Blog de Paul Jorion - 03.05.09

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