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09/05/2009

La mondialisation de la peur

Un entretien avec Jean Delumeau, historien, professeur honoraire au Collège de France, qui publie la Peur en Occident. Crise économique, menace de pandémie… depuis 2001, notre actualité est dominée par la notion de danger.

Marianne : Pour l’auteur de la Peur en Occident, sommes-nous à nouveau confrontés à de « grandes peurs » ?

Jean Delumeau : Je ne dirais pas que nous assistons au retour des « grandes peurs ». D’abord, parce que cette expression a une signification historique précise. Elle fait référence à ce qu’on a appelé la « grande peur » de 1789. Dans les campagnes françaises, la crainte du retour en force d’aristocrates ayant fui la France au moment de la prise de la Bastille éveillait une inquiétude profonde. Or, justement, depuis 2001, notre actualité est dominée par la confluence de dangers objectifs d’origines très variées.

Parce que, le 11 septembre 2001, l’hyperpuissance américaine a révélé son impuissance ?

J.D. : L’invulnérabilité de l’Amérique a pris fin ce jour-là. Et chacun, en effet, a compris que la plus grande puissance militaire et économique du monde était à la merci de terroristes décidés à tuer le plus grand nombre de civils avec des moyens rudimentaires. Le 11 septembre 2001, les Etats-Unis, dont le sol avait été jusqu’ici inviolé, furent atteints dans le cœur même de leur vie économique. Un des aspects de la Peur en Occident avait consisté à analyser la situation de malaise global créée entre 1348 (arrivée de la peste noire en Europe) et 1648 (fin des guerres de religion en Europe) par la conjonction de plusieurs dangers qui n’étaient pas forcément reliés entre eux. De la même façon, le malaise planétaire né du 11 septembre provient de la simultanéité de plusieurs dangers : la menace permanente du terrorisme et son corollaire, le danger atomique et bactériologique ; la crise économique non prévue, qui s’avère avoir une dimension mondiale… Nous sommes donc dans une situation d’inquiétude permanente.

Y a-t-il une mondialisation de la peur ?

J.D. : A coup sûr. Jamais la mondialisation n’avait atteint un tel degré. Dans le « village planétaire » où nous prenons peu à peu conscience de notre interdépendance, les peurs multiples, malgré l’extrême diversité de leurs causes, s’alimentent les unes les autres.

Justement. Ce début de XXIe siècle partage-t-il des peurs avec la période que vous avez analysée ?

J.D. : La période allant de 1348 à 1648 a en effet été marquée par ce qu’il est convenu d’appeler la Renaissance. Mais cette dénomination empêche de voir la complexité et les menaces qui ont marqué cette période. Ainsi, la peur des sorcières et la publication des ouvrages de démonologie correspondent paradoxalement davantage à la Renaissance qu’au Moyen Age. Cela dit, jusqu’à un certain point, la comparaison est possible entre les trois siècles consécutifs à 1348 et la période actuelle. Car il n’existe pas de différence de nature entre les peurs anciennes et les peurs contemporaines.

Face aux retombées de la crise des subprimes mais aussi de la grippe porcine, les médias sont suspectés d’exagérer les peurs. Qu’en pensez-vous ?

J.D. : Bien qu’il existe un danger que les médias, en raison de leur audience même, aiguisent l’inquiétude des populations, je ne crois pas que les médias soient devenus les fourriers de l’anxiété contemporaine. Après tout, autrefois, face à des phénomènes globaux tels que les épidémies, la tendance à la minimisation des menaces prévalait en début de parcours. Il est bon qu’aujourd’hui, au nom d’un principe de précaution parfois injustement brocardé, l’état d’alerte soit la réaction majoritaire. Reste qu’il n’est pas moins nécessaire de montrer que des contre-feux efficaces se font jour. C’est la première fois qu’on a vu à l’œuvre une gouvernance mondiale en matière sanitaire.

En ce qui concerne les conséquences économiques de la crise des subprimes, diriez-vous que les médias ont été alarmistes ?

J.D. : Il n’y a pas eu exagération de la part des médias. Jamais, dans l’histoire, les responsables politiques n’ont décidé de concert d’aussi fortes mesures dans le cadre récent du G20. L’état d’alerte était, là aussi, justifié car il a débouché sur une action efficace.

Marianne - 09.05.09

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