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20/02/2009

L’illusion démocratique au service du capitalisme

La démocratie est généralement considérée comme le moins pire des systèmes politiques. Ce terme générique, car recouvrant une vaste déclinaison d’expressions du pouvoir exercé au nom du peuple, jouit toujours d’un préjugé plus que favorable. Le problème, c’est qu’entre l’Agora antique et l’Amérique d’Obama, l’idée même de démocratie est devenue un vaste fourre-tout hétéroclite.

Le principe général de l’exercice de la démocratie se résume à la phrase d’Abraham Lincoln : "le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple". Toute la difficulté tient dans l’application de ce vaste programme. La force de ce système politique tient généralement par la vaste adhésion qu’il suscite dans la population, quel que soit le mode de fonctionnement choisi. Plus que la démocratie elle-même, c’est l’idée démocratique qui fédère les peuples, l’impression que nous sommes libres de nos choix, de nos actions, que nous nous dotons des dirigeants que nous méritons. L’imaginaire démocratique est tellement fort, tellement ancré en nous que lorsque l’essence d’un pouvoir se modifie, nous nous refusons à voir ce qui doit crever les yeux.

L’imaginaire démocratique tient pour une évidence que le système démocratique est l’émanation de la volonté commune et qu’à ce titre, il tend naturellement vers le bien-être du plus grand nombre, exactement de la même manière que l’imaginaire capitaliste est totalement à l’aise avec le concept de main invisible qui régule le marché de manière supranaturelle. L’essence de la démocratie, ce serait le progrès pour tous, l’égalité, la liberté, la fraternité, dans l’ordre de votre choix. Le hiatus, c’est que pour réaliser ce bel idéal, on s’empresse de mettre en place un système hiérarchique des pouvoirs qui contredit intrinsèquement ces nobles aspirations.

La démocratie contemporaine s’exprime principalement de manière indirecte : le peuple est appelé de temps à autre à désigner ses représentants dans la sphère politique, laquelle décide ensuite de manière autonome de la manière dont elle va conduire le pays. L’exercice du pouvoir est donc délégué à un groupe assez restreint de personnes, lesquelles sont censées représenter l’ensemble du peuple.
D’un autre côté, comment envisager l’expression directe de la démocratie à l’échelle d’un pays ou même d’une région ? Mais du coup, pourquoi ne pas l’envisager à l’échelle d’une commune ou d’un quartier, un peu à la manière des Suisses ?

L’action du peuple sur la marche des affaires du pays se résume donc à glisser un bulletin de vote dans l’urne de temps à autre et à considérer qu’ensuite, ce qui sortira du système sera forcément l’émanation de sa volonté. Mais la question même des modalités du choix n’est que très marginalement abordée : qui sont les candidats, d’où sortent-ils, qui représentent-ils réellement ? La démocratie contemporaine nous aurait affranchis de la lutte des classes, celles-ci se seraient effacées, diluées dans une sorte de consensus mou, tant et si bien qu’il devient extrêmement difficile d’obtenir la composition sociologique du parlement qui décide pourtant en notre nom à tous, parce que cela ne serait plus utile. Ou parce que cela serait trop révélateur au contraire de ce qui sous-tend l’accession au pouvoir ?
L’homme de la rue doit se satisfaire de sa particule de pouvoir, concédée de temps à autre, et se soumettre à toutes les décisions prises par la représentation nationale, alors même que son précieux bulletin est considéré comme une sorte de blanc-seing, une abdication pure et simple de l’idée même de peuple souverain. Qu’importe si le choix de départ a été fait bien avant l’urne, qu’importe si les suffrages ont été arrachés par la duperie, les mensonges, ce que l’on appelle poliment le marketing politique, lequel pourrait se résumer à la maxime suivante : "dire au peuple ce qu’il souhaite entendre pour légitimer le mandat de faire ce que nous voulons".

Ce qui compte, ce n’est pas le choix, c’est l’impression d’avoir le choix.

La plupart des graphistes comprennent très bien l’allusion : comment faire en sorte que le client approuve le projet graphique que nous avons décidé pour lui ?
En lui offrant le choix.
Si l’on demande au client directement ce qu’il souhaite, on obtiendra quelque chose de flou, de mal défini, sujet à de multiples interprétations, refontes et modifications, une source inépuisable de discussion une perte de temps incommensurable et donc, d’argent. L’astuce consiste à lui proposer rapidement deux projets, en rendant particulièrement attractif celui qui nous semble le plus pertinent. En offrant le choix, mais en le limitant d’office à nos propres propositions, nous avons, de facto, fermé le champ des possibles et décidé concrètement du projet à suivre (à une ou deux variantes près) tout en laissant au client la satisfaction et l’illusion de la décision finale.
Cette technique éprouvée de verrouillage du choix est particulièrement efficace dans le monde des sondages. Une question fermée bien orientée recevra pratiquement à coup sûr la réponse espérée.

Qui a choisi Obama ? Le peuple américain, les électeurs, grands ou petits ? Mais comment le choix Obama est-il arrivé jusqu’à l’urne ? Comment les candidats sont-ils choisis et par qui ? D’où sortent-ils ? Quelle est leur trajectoire ? Ne devrait-on pas être plus attentifs à la traçabilité des élus ?
Quand les journalistes décident de ne parler que de deux candidats, ne sont-ils pas déjà en train de restreindre le choix des électeurs en limitant le débat à deux options sur le total des candidats ? Sachant que l’élection se joue sur la visibilité médiatique des candidats et que celle-ci est corrélée à leur capacité à acheter du temps d’antenne, la différence ne se fait-elle pas par l’argent collecté ? Qui fait la différence à ce jeu-là ? Une personne égale une voix, mais quel est le prix d’un vote ?
Plus simplement, quand le citoyen lambda arrive dans l’isoloir, qui a choisi en amont celui ou celle pour qui il peut voter ?

L’année dernière, lors des présidentielles françaises, le premier choix des électeurs était déjà restreint par le principe des 500 signatures de maires, principe biaisé lui-même par le poids des deux principales formations politiques qui avaient donné des consignes quant aux signatures. Il est intéressant de se souvenir que Jean-Marie Le Pen, dont on pense ce que l’on veut, mais qui s’est tout de même retrouvé au deuxième tour des présidentielles de 2002 (si, si...), n’aurait pu se soumettre au suffrage universel en 2007 sans un ordre explicite du président de l’UMP pour lui donner les signatures manquantes.
Ainsi donc l’arène politique s’auto-élit avant de passer au prisme médiatique.

Les médias sont en position d’intermédiaires entre la scène politique et la masse confuse du peuple. S’intéresser aux accointances entre sphère politique et médiatique est donc pertinent, s’interroger sur la provenance sociale très spécifique et concentrée de ces deux groupes sociaux, fondamental. Avant de se prononcer pour un système politique, ne serait-il pas pertinent de s’intéresser au contexte même de ce système, à la manière dont l’organisation économique et sociale va lui permettre de fonctionner correctement. Peut-on envisager l’exercice démocratique sans droit à l’information, à la liberté d’expression et à l’éducation de qualité pour tous ?

Tout système a tendance à s’auto-reproduire. Ceci est particulièrement vrai pour les systèmes hiérarchiques, c’est à dire fondés sur le principe d’inégalité. Il est même profondément antinomique que de prétendre gouverner de manière démocratique une société hiérarchisée... à moins que le principe démocratique ne soit profondément dévoyé, c’est à dire tendant entièrement à l’auto-reproduction des élites. Or le capitalisme est un système économique caractérisé par une forte inégalité entre ses différents acteurs.

Ainsi fonctionne notre démocratie actuelle dans une dynamique de compétition et de sélection. Faire partie de la classe dominante est pratiquement une condition essentielle pour s’y maintenir et ouvre l’accès aux formations indispensables à la fabrication de la trajectoire parfaite qui conduit à coup sûr au pouvoir ou à un de ses strapontins. Le gouvernement échoit donc naturellement à ceux qui sont formatés dans ce but. Et le système leur étant, par définition, extrêmement favorable, ils n’ont aucun intérêt à le changer ou à le faire évoluer, sauf dans le sens d’un plus fort renforcement de leurs positions privilégiées.
A contrario, le reste de la population, tirant nettement moins de bénéfice de l’organisation sociale, voire, la subissant à son corps défendant, a tout intérêt à chercher le changement, le renversement de l’ordre établi.

Sachant que dans un système hiérarchique inégalitaire, il y a très peu d’individus qui tirent avantage de la situation face à des groupes très étendus de personnes qui ont intérêt à ce que les choses changent profondément, l’illusion démocratique devient la manière la plus douce et la plus efficace de maintenir l’ordre des choses durablement : La classe dominante produit un personnel politique directement concerné par la stabilité du système ainsi que la machine propagandiste nécessaire à la diffusion des discours susceptibles de séduire les amateurs de changement.

Le vote devient alors l’acte unique par lequel l’individu pense contrôler son destin et impulser le changement, les querelles et enjeux politiciens lui tiennent lieux de réflexion et de projet de société, et ainsi, dans une violence purement symbolique puisque confiscatrice du discours et de l’action, l’illusion démocratique autorise la perpétuation du système le moins démocratique qui soit : le capitalisme.
AGORAVOX - 20.02.09

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