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13/12/2010

Le privé prétend « sauver la Sécu »

Anne Gervais et André Grimaldi

A en croire les campagnes publicitaires de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui regroupe la quasi-totalité des cliniques privées de France, pour des soins identiques, l’hôpital public serait 27 % plus cher. Si les patients se faisaient opérer en clinique plutôt qu’à l’hôpital, la Sécurité sociale économiserait 15 milliards d’euros. Conclusion de la FHP : il convient d’œuvrer, de toute urgence, à la « convergence tarifaire ».
La logique arithmétique qui sous-tend les calculs de la FHP mériterait d’être explicitée. Tient-elle compte, par exemple, du coût des honoraires et assurances des médecins — non compris dans les tarifs des cliniques, alors que ceux des médecins exerçant à l’hôpital public sont inclus dans le budget hospitalier ? En 2007, les ménages payaient de leur poche 400 millions d’euros de dépassements d’honoraires dans les cliniques privées (pour 25 % des hospitalisations), contre 100 millions à l’hôpital public (1). Ajoutez à cela la facturation de prestations hôtelières, comme l’accès à une chambre individuelle : 150 euros par jour à la maternité Bien naître, à Paris (propriété de M. Jean-Loup Durousset, président de la FHP, avant sa mise en liquidation judiciaire en mars dernier). Plus globalement, le reste à charge pour les patients est trois fois plus élevé en clinique privée qu’à l’hôpital public.
Dans ces conditions, la logique de l’alignement des tarifs du public sur ceux du privé — que le gouvernement prévoit d’achever en 2018 — perd un peu de sa rationalité. Elle ignore les différences essentielles dans les obligations des deux types d’établissements, qui n’accueillent ni les mêmes malades, ni les mêmes pathologies.
L’hôpital reçoit 80 % des urgences. Or tout passage aux urgences tend à déstabiliser les programmes opératoires, entraîne des examens supplémentaires, prolonge la durée de séjour, nécessite une disponibilité permanente de lits et de personnel. Un surcoût total évalué à… 63 % par rapport à un séjour programmé. Quand un établissement se consacre à des opérations programmées, les examens complémentaires (scanner, prises de sang) sont réalisés avant l’hospitalisation, les dispositifs et les produits de santé sont achetés à l’avance, et représentent entre 10 % et 15 % du coût total. Cette « externalisation » permet à l’établissement de ne pas avoir à les financer et donc ne pas les comptabiliser. Ainsi la « Sécu » paye deux fois ! Dès 1910, Henry Ford l’avait compris : la standardisation améliore le rendement. Appliqué à la santé, cela signifie qu’une clinique qui n’opérerait que des cataractes, de 8 heures à 18 heures, et qui fermerait au mois d’août aurait toutes les chances d’afficher de meilleurs résultats (économiques) qu’un service d’ophtalmologie hospitalier amené à couvrir bien d’autres activités et ouvert de jour comme de nuit, 365 jours par an.
Dans les faits, la gamme d’activités des cliniques privées est restreinte : 95 pathologies y représentent 67 % du chiffre d’affaires, contre seulement 36 % de celui du secteur public. Et qu’importe si les besoins des patients sont moins aisément standardisés : les greffes et les soins les plus lourds sont tout simplement renvoyés vers l’hôpital. En même temps que les surcoûts afférents.
Le public accueille aussi des personnes que leur situation sociale, psychologique ou médicale rend moins désirables aux yeux des directeurs de clinique. Sur dix patients âgés de plus de 75 ans, huit sont pris en charge à l’hôpital. Ce dernier reçoit par ailleurs la quasi-totalité des patients en situation précaire (sans-domicile fixe, bénéficiaires de la couverture maladie universelle [CMU]), dont le séjour implique un surcoût de 30 % (ne serait-ce que parce qu’il est souvent plus long, le patient ne pouvant rentrer chez lui ni accéder à des centres de soins de suite nécessitant une mutuelle) — surcoût très partiellement compensé par la tarification unique.
Phénomène étrange : les cliniques enregistrent un nombre élevé d’actes superflus. La Sécurité sociale note des variations de un à quatre pour certaines interventions. Le taux d’accouchements par césarienne à la clinique de la Muette (XVIe arrondissement de Paris) s’élève à 43 %, juste devant la clinique Sainte-Isabelle de Neuilly-sur-Seine, avec 36 %. Les parturientes de l’Ouest parisien ont-elles des grossesses si complexes que la césarienne soit requise deux fois plus souvent qu’à l’hôpital public, où le taux est de 17,7 % ?
Faut-il s’étonner, dès lors, qu’en 2007, la rentabilité financière de ce type de cliniques ait été de 13 % ? Une rentabilité qui attire les fonds d’investissements et favorise la constitution de grands groupes de cliniques privées comme La Générale de santé (dotée de capitaux majoritairement italiens), le groupe Vitalia (qui appartient au fonds de pension américain Blackstone), Capio (détenu par des fonds américains et européens) ou Médi-Partenaires (22 cliniques, appartenant à des investisseurs britanniques).
Outre la transformation d’argent public en généreux dividendes — puisque c’est bien la Sécurité sociale qui rembourse aux patients les frais que leur réclament les cliniques —, la situation n’est pas sans danger. Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, s’inquiétait ainsi en 2007 : « Que se passera-t-il si ces fonds, en situation de monopole dans certaines régions, décident de revendre toutes leurs cliniques dans trois ou quatre ans (2)  ? » Dans sa croisade pour l’alignement tarifaire, la FHP est soutenue par le Mouvement des entreprises de France (Medef), auquel elle vient d’adhérer. M. Durousset a justifié cette décision inédite en expliquant : « L’organisation de Laurence Parisot nous soutiendra dans notre combat pour l’harmonisation des tarifs (3). »
 
(1) Rapport annuel 2009 du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie.
(2) Le Quotidien du médecin, Issy-les-Moulineaux, 24 janvier 2008.
(3) www.aef.info, 15 avril 2010.

 http://www.monde-diplomatique.fr/2010/11/GERVAIS/19842

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