Le Bureau international du travail a publié, mercredi 15 décembre, son second rapport sur les salaires dans le monde dans lequel il s'inquiète de la stagnation persistante des revenus, phénomène qui, selon le BIT, "fut un élément déclencheur de la crise" et "continue d'affaiblir la reprise dans de nombreuses économies".
Entretien avec Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études à l'OFCE, centre de recherche économique de Sciences Po.
Dans quelle mesure la question des salaires a-t-elle pu contribuer au déclenchement de la crise ?
Le facteur de crise, c'est le fait que ces dernières années, les hauts salaires ont fortement augmenté, et cela à peu près partout dans le monde, au détriment des bas salaires, particulièrement ceux qui sont juste au-dessus du salaire minimum, mais en dessous du salaire médian, qui ont stagné. Car d'un côté on a donné beaucoup plus à ceux qui avaient déjà de hauts revenus, donc ceux qui logiquement ne pouvaient pas consommer beaucoup plus que ce qu'ils consommaient déjà – il y a un moment où la consommation sature, pour caricaturer, il est rare que celui qui a déjà une Porsche, en achète une seconde et encore moins une troisième... – et de l'autre on a rationné la consommation de ceux qui en avaient un fort besoin.
Aux Etats-Unis, on a cru un temps avoir résolu la quadrature du cercle en disant "pour consommer, les bas salaires peuvent s'endetter" et c'est comme ça que ce système bancal a été maintenu en vie par des crédits à la consommation et des taux d'intérêt peu élevés. Le résultat de ces logiques, c'est d'un côté des hauts revenus qui ne sachant plus quoi faire de leur argent se mettent à spéculer, et de l'autre des bas revenus qui se sont surendettés pour pouvoir consommer. C'est la crise de 2008. Ce qu'elle a démontré c'est qu'on avait gaspillé de l'argent à donner plus à ceux qui avaient déjà trop. Et qu'il fallait absolument remettre en ordre la hiérarchie salariale pour qu'elle soit efficace du point de vue économique.
Mais la hausse des salaires n'a pas vraiment l'air d'être au cœur des politiques économiques qui sont annoncées pour 2011, en Europe notamment... La première question est : faut-il augmenter les salaires ? Le BIT le prône, de nombreux économistes aussi, ainsi que la Confédération européenne des syndicats. Mais ce n'est pas forcément la position ni des gouvernants, ni du patronat. La seconde question est : comment faire pour augmenter les bas salaires ? Et là on se rend compte que les moyens d'action des politiques sont relativement limités. Il en existe deux principaux selon moi.
D'abord dans les pays où il existe, on peut augmenter le salaire minimum. C'est le cas de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, ou encore de la France, mais nous avons vu mardi que le gouvernement n'a pas voulu pousser la revalorisation du SMIC pour 2011 au-delà du minimum légal. Mais ce dispositif n'existe pas en Allemagne par exemple où les bas salaires sont particulièrement faibles. Et l'autre problème, c'est qu'en agissant sur le salaire minimum, on n'agit pas sur les salaires intermédiaires, ceux qui sont entre le minimum et le salaire médian.
L'autre moyen dont dispose l'Etat, c'est la politique de l'exemple, en augmentant les salaires des fonctionnaires. Ce n'est pas systématique mais en général on peut compter sur un effet d'imitation et de diffusion à d'autres secteur. Mais on voit bien là encore que ce n'est pas du tout le choix qui est fait par les gouvernements européens notamment, qui ont tous annoncé des budgets d'austérité, dont beaucoup prévoient au contraire de baisser les salaires des fonctionnaires. Ce sont des choix qui me semblent inquiétants car ils risquent de nous faire replonger dans la crise.
Dans quelle mesure ?
Ces politiques qui visent à faire des économies budgétaires réduisent la dynamique salariale, réduisent l'emploi public, et donc freinent la consommation. On réduit la demande au moment même où les usines sont en sous-production, où le chômage est élevé, donc où on a une capacité industrielle et humaine sous-exploitée. On ne fait qu'approfondir le déséquilibre. Et ceux qui disent que l'Etat n'a plus les moyens de faire des budgets de relance oublient que lorsque les salaires sont bas, les impôts sont bas et les recettes fiscales sont faibles. C'est très déprimant d'être dans une situation d'endettement mais il ne faut pas oublier que ce n'est pas l'endettement public qui nous a mis dans cette situation difficile. C'est une crise de la dette privée. Et c'est pour éviter une crise financière de l'ampleur de celle des années 30 que les gouvernements ont dû creuser la dette publique. Entre deux maux, ils ont choisi le moindre.
Cet endettement public, qui était indispensable, on ne pourra pas le résorber avant dix ou quinze ans. Donc on pourrait voir à moyen terme et envisager d'augmenter les salaires maintenant pour faire repartir l'économie. Mais là on se confronte à ce que les économistes appelle un "problème de cohérence intertemporel" : le temps du politique n'est pas celui de l'économie, il faudrait faire un plan cohérent sur quinze ans. Pas sur les deux prochaines années.
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