Elodie Bécu
L’économiste Wladimir Andreff milite pour une taxe « Coubertobin » sur les transferts de joueurs africains vers les clubs européens. Objectif : limiter « l’exode des muscles » du Sud vers le Nord et financer le développement des pays d’origine.
Wladimir Andreff veut fixer de nouvelles règles du jeu pour la planète foot mondialisée. Professeur émérite à Paris I, cet économiste spécialiste du sport milite pour la création d’une taxe « Coubertobin », fusion de l’esprit olympique de Pierre de Coubertin et de celui, redistributif, du prix Nobel d’économie James Tobin. Depuis l’arrêt Bosman de 1995, qui a libéralisé les transferts de joueurs de foot, le monde entier est devenu un seul et unique marché des joueurs professionnels. La libéralisation de la circulation des sportifs a des « effets pervers sur le football africain et notamment sur les jeunes joueurs », analyse Wladimir Andreff, qui cite l’exemple du camerounais Yannick Abega, balloté de club en club en Espagne depuis l’âge de 13 ans sans avoir signé de contrat.
Pour éviter que l’exil vers l’eldorado sportif européen ne tourne au cauchemar, Wladimir Andreff propose une taxe pour réguler le marché tout en utilisant sa logique pour reverser de l’argent aux pays d’origine et aux clubs formateurs des joueurs. « Les pays d’origine et les clubs pépinières ne sont pas suffisamment compensés pour les coûts d’éducation et d’entraînement du joueur transféré », explique l’économiste, lui même ancien joueur de foot [1]. « Le mouvement des transferts approfondit le fossé entre les pays développés et les pays en voie de développement dans l’économie du sport et diminue les espoirs réels des pays du Sud de remporter une compétition internationale. »
L’économiste propose donc de taxer à hauteur de 1% le montant de la prime de transfert du joueur ainsi que son premier salaire annuel. Le modèle mathématique développé par Wladimir Andreff prévoit une surtaxe pour les individus mineurs, afin de créer une « incitation négative » à leur départ. Plus le sportif est jeune, plus son transfert coûtera cher. L’instauration d’une taxe ne risque-t-elle pas de créer une économie clandestine ? « Aujourd’hui, on a pire qu’une taxe, on a un interdit, répond l’économiste. Dès qu’il y a un interdit, cela créé un marché noir. »
Avec la taxe « Coubertobin », l’objectif est de contraindre les agents à se soumettre à des règles strictes en « corrigeant » et en complétant les règles établies par la FIFA en 2001 qui interdisent aujourd’hui le transfert de joueur mineur à trois exceptions près [2] et taxent les joueurs entre 18 et 23 ans au profit des différents clubs qui ont formé le joueur.
L’argent récolté par la future taxe devrait permettre de couvrir les frais de formation et d’entraînement payés par les pays d’origine, et d’abonder un fond de développement des sports dans ces pays. Wladimir Andreff souhaite appliquer sa taxe à tous les sports et pas uniquement au foot. Les fonds seraient gérés par un organisme international existant, du type Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ou une formation ad hoc, l’Agence mondiale de la taxe Coubertobin, sous la double tutelle de l’ONU et du Comité international olympique. Pour être appliquée, la taxe proposée par Wladimir Andreff doit faire l’objet d’un consensus politique au niveau international. Ce qui est loin d’être le cas. Mais comme disait Pierre de Coubertin : « L’essentiel est de participer ».
Élodie Bécu
Notes
[1] Wladimir Andreff a présenté son projet lors d’une conférence à l’Agence Française de Développement début juin. Il publie un article complet sur le détail de la taxe Coubertobin dans le dernier numéro de la revue Afrique contemporaine.
[2] Si la famille quitte le pays pour des raisons non liées au football ; à l’intérieur de l’Union européenne les transferts sont autorisés à condition que les clubs leurs fournissent à la fois une formation scolaire et un entraînement sportif ; et si le joueur habite à l’étranger près de la frontière où réside son club. Ces règles s’accompagnent d’un mécanisme de compensation des coûts de formation occasionnés entre 12 et 23 ans, somme reversée aux différents clubs qui ont formé le jeune joueur. Wladimir Andreff juge cette taxe insuffisante, car elle nie la réalité des joueurs mineurs et ne donne pas de revenus au pays d’origine en cas de transfert.
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