PROPOS RECUEILLIS PAR MICHAËL RODRIGUEZ
NTERVIEW - Conditions de détention «horribles», quasi-impossibilité d'obtenir l'asile: l'avocate Victoria Banti a enquêté pour Amnesty International sur le sort réservé aux migrants refoulés vers la Grèce en vertu de l'accord de Dublin.
Pour la forteresse Europe, les pays méditerranéens font office de premier rempart. Depuis l'entrée en vigueur du règlement Dublin, en 2003, les exilés ne peuvent déposer une demande d'asile que dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Un système qui reporte quasiment toute la charge sur le sud du continent européen. En Grèce, le sort réservé aux requérants d'asile est jugé catastrophique par les observateurs. A tel point que le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies réclame le gel des renvois vers ce pays. Même revendication du côté d'Amnesty International, qui a publié en mars dernier un rapport accablant sur la question. Coauteure de cette étude, l'avocate Victoria Banti, docteure en droit de l'université d'Athènes, était de passage en Suisse la semaine dernière. Entretien.
Quand et comment s'est déroulé votre travail d'investigation en Grèce?
Victoria Banti: La recherche a commencé en septembre 2008 et a duré jusqu'en février 2010. Nous avons interviewé plus de cinquante requérants d'asile renvoyés en Grèce sur la base de l'accord de Dublin. Les principaux pays d'origine étaient le Soudan, la Somalie, l'Afghanistan et l'Irak. Pendant notre enquête, en juillet 2009, la Grèce a changé de système d'asile. Malheureusement, le nouveau est pire, parce qu'il ne permet pas aux requérants d'asile de recourir contre une décision négative. Nous avons aussi tenu compte du fait qu'il est pratiquement impossible d'obtenir le statut de réfugié en Grèce. Le taux d'acceptation des demandes d'asile a été de 0,04% en 2007 et de 0,05% en 2008! En 2009, 20 personnes sur 20000 demandes examinées ont obtenu le statut de réfugié, et 24 ont reçu ou se sont vu prolonger un statut humanitaire.
Vous dites qu'il n'existe plus aucune voie de recours?
Théoriquement, il y a la possibilité de demander l'annulation d'une décision à la Cour suprême. Mais la procédure est extrêmement chère et très longue. De plus, si la décision est annulée, le dossier est renvoyé à la police, qui peut prononcer un nouveau refus. C'est pour cette raison que le HCR a interrompu sa participation à la procédure d'asile en Grèce. Après l'élection d'un nouveau gouvernement en septembre 2009, le HCR et d'autres organisations ont repris le dialogue avec les autorités en vue d'élaborer une nouvelle procédure d'asile. Nous-mêmes avons des contacts réguliers avec les autorités grecques, qui nous ont fait part de leur volonté de changer le système. Mais jusqu'à présent, aucun projet de loi n'est sorti.
Quel est le rôle de la police dans la procédure d'asile en Grèce?
La police est la seule autorité responsable des décisions en matière d'asile, ce qui est totalement inacceptable. Nous demandons qu'une nouvelle instante indépendante soit nommée pour traiter les demandes.
Certains pays européens ont-ils gelé les renvois vers la Grèce?
Les autorités norvégiennes avaient suspendu les renvois en 2008. Malheureusement, elles les ont repris en 2009. La Suisse et la Belgique ont décidé de ne pas renvoyer les personnes vulnérables. Quant à la Suède, elle ne renvoie pas de mineurs. Il y a eu dans différents pays des décisions de justice qui sont en partie contradictoires. Y compris à la Cour européenne des droits de l'homme, qui a pris position sur des cas individuels mais pas sur le principe.
N'est-t-il pas suffisant, comme l'a fait la Suisse, de geler les renvois de personnes vulnérables (familles avec enfants, mineurs non accompagnés, personnes âgées ou malades)?
Non. Toutes les personnes menacées d'un renvoi sous le régime Dublin sont des personnes vulnérables. En Grèce, il n'y a pas de garantie d'accès à une procédure équitable. Les personnes ne sont même pas sûres de pouvoir entamer une procédure d'asile, et si elles n'y parviennent pas elles deviennent sans-papiers, finissent dans la rue et peuvent être arrêtées à tout moment.
En quoi est-ce difficile de déposer une demande d'asile en Grèce?
Quand les personnes arrivent à l'aéroport, elles reçoivent un papier rédigé en grec qui leur dit de se présenter dans les trois jours au quartier général de la police à Athènes. Personne ne leur explique le contenu de ce document. Quand elles se rendent à la police, il y a parfois des milliers de personnes agglutinées devant le bâtiment. Certains attendent plusieurs jours sans pouvoir entrer. En 2008 et 2009, deux personnes sont mortes piétinées à l'entrée du bâtiment.
Vous accusez aussi la Grèce de violer le principe de non-refoulement à l'égard des personnes qui courent un danger dans leur pays d'origine.
L'une des personnes que nous avons interviewées avait été expulsée en Turquie. Il s'agissait d'un militant iranien d'un parti kurde. Il a heureusement pu regagner la Grèce à pied. Sinon, il risquait d'être renvoyé en Iran, où il aurait été en danger. Les Kurdes ne sont pas toujours protégés par les autorités turques, même lorsque le HCR les a reconnus comme réfugiés. Un accord bilatéral vient d'être signé entre la Grèce et la Turquie. Cette dernière accepte de reprendre les personnes qui ont transité par son territoire. On risque donc d'assister à des refoulements en chaîne. Il faut savoir que la Turquie n'a pas signé le protocole annexe à la Convention relative au statut des réfugiés, ce qui signifie qu'elle ne reconnaît comme réfugiés que des personnes d'origine européenne...
Qu'avez-vous observé en visitant les centres de détention et d'accueil?
J'ai visité des centres de détention sur la frontière avec la Turquie. Les conditions de détention y sont horribles. Femmes et hommes sont emprisonnés ensemble, les personnes dorment par terre et doivent parfois demander aux gardes pour aller aux toilettes. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé les conditions de détention contraires à l'interdiction des mauvais traitements et de la torture. J'ai aussi visité un centre d'hébergement à Thessalonique. Il a été fermé le mois dernier sans solution alternative pour ses occupants, qui continuent à vivre dans cet immeuble, sans eau et sans électricité. La capacité des centres est totalement insuffisante: 800 places pour tout le pays. Rien qu'à Athènes, 80 familles attendent un lieu d'hébergement.
Pensez-vous que le plan d'économies adopté par la Grèce risque d'aggraver les choses?
La situation des requérants d'asile est si mauvaise que je vois mal comment elle pourrait se dégrader. La Grèce devrait recevoir des fonds de l'Union européenne pour ouvrir de nouveaux centres d'enregistrement. Mais nous n'avons pas encore d'information détaillée sur la manière dont cela va se passer.
Pourquoi la situation est-elle si critique en Grèce? Est-ce seulement dû au système Dublin?
La Grèce a pris la décision politique de ne reconnaître que très peu de personnes comme réfugiés afin de dissuader les autres de venir. Cela date d'avant l'accord de Dublin. Mais il est clair que ce système a introduit un déséquilibre. Toutes les personnes qui viennent d'Asie ou d'Afrique de l'Est doivent passer d'abord par la Grèce.
Comment comprenez-vous que les pays méditerranéens aient accepté de signer un tel accord?
Je ne peux pas répondre à la place des autorités grecques. Mais je pense que c'était une mauvaise décision. En théorie et en pratique, le système Dublin est un système déséquilibré. C'est une erreur de penser que le système d'asile est harmonisé en Europe. Il y a des différences énormes de mise en oeuvre des directives. Le système grec n'est pas conforme aux conventions ratifiées par ce pays.
La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a pourtant répondu à Amnesty qu'il n'existe «aucun indice concret permettant de conclure que la Grèce ne respecte pas ses obligations de droit international».
Je suis très surprise que les autorités suisses prétendent ne pas être au courant de ces violations. Il y a eu de très nombreux rapports, y compris du HCR, qui montrent exactement le contraire de ce qu'affirme la conseillère fédérale. En novembre 2009, Amnesty International, le Conseil grec pour les réfugiés, la Commission nationale grecque des droits de l'homme et des ONG de plusieurs pays ont déposé une plainte contre le système grec auprès de la Commission européenne. Une procédure a été ouverte.
Dans l'accord de Dublin, il y a une clause humanitaire qui prévoit des exceptions au principe du refoulement vers le premier pays d'entrée en Europe.
Elle n'est presque jamais appliquée. Des Etats ont renvoyé des personnes vulnérables en leur promettant une aide sur place qui n'est jamais venue. Une personne que j'ai rencontrée avait été torturée au Soudan; elle est arrivée en Allemagne, où le HCR a soutenu sa demande d'asile. Mais l'Allemagne l'a refoulée vers la Grèce, où elle n'a aucune possibilité de se faire soigner parce que le centre d'aide aux victimes de torture a été fermé il y a trois ans par manque de moyens. Une femme a été renvoyée du Danemark avec ses quatre enfants, dont l'aîné est âgé de 5 ans. Elle s'était cousue les lèvres et était en grève de la faim pour tenter d'empêcher son renvoi vers la Grèce.
Pour la forteresse Europe, les pays méditerranéens font office de premier rempart. Depuis l'entrée en vigueur du règlement Dublin, en 2003, les exilés ne peuvent déposer une demande d'asile que dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Un système qui reporte quasiment toute la charge sur le sud du continent européen. En Grèce, le sort réservé aux requérants d'asile est jugé catastrophique par les observateurs. A tel point que le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies réclame le gel des renvois vers ce pays. Même revendication du côté d'Amnesty International, qui a publié en mars dernier un rapport accablant sur la question. Coauteure de cette étude, l'avocate Victoria Banti, docteure en droit de l'université d'Athènes, était de passage en Suisse la semaine dernière. Entretien.
Quand et comment s'est déroulé votre travail d'investigation en Grèce?
Victoria Banti: La recherche a commencé en septembre 2008 et a duré jusqu'en février 2010. Nous avons interviewé plus de cinquante requérants d'asile renvoyés en Grèce sur la base de l'accord de Dublin. Les principaux pays d'origine étaient le Soudan, la Somalie, l'Afghanistan et l'Irak. Pendant notre enquête, en juillet 2009, la Grèce a changé de système d'asile. Malheureusement, le nouveau est pire, parce qu'il ne permet pas aux requérants d'asile de recourir contre une décision négative. Nous avons aussi tenu compte du fait qu'il est pratiquement impossible d'obtenir le statut de réfugié en Grèce. Le taux d'acceptation des demandes d'asile a été de 0,04% en 2007 et de 0,05% en 2008! En 2009, 20 personnes sur 20000 demandes examinées ont obtenu le statut de réfugié, et 24 ont reçu ou se sont vu prolonger un statut humanitaire.
Vous dites qu'il n'existe plus aucune voie de recours?
Théoriquement, il y a la possibilité de demander l'annulation d'une décision à la Cour suprême. Mais la procédure est extrêmement chère et très longue. De plus, si la décision est annulée, le dossier est renvoyé à la police, qui peut prononcer un nouveau refus. C'est pour cette raison que le HCR a interrompu sa participation à la procédure d'asile en Grèce. Après l'élection d'un nouveau gouvernement en septembre 2009, le HCR et d'autres organisations ont repris le dialogue avec les autorités en vue d'élaborer une nouvelle procédure d'asile. Nous-mêmes avons des contacts réguliers avec les autorités grecques, qui nous ont fait part de leur volonté de changer le système. Mais jusqu'à présent, aucun projet de loi n'est sorti.
Quel est le rôle de la police dans la procédure d'asile en Grèce?
La police est la seule autorité responsable des décisions en matière d'asile, ce qui est totalement inacceptable. Nous demandons qu'une nouvelle instante indépendante soit nommée pour traiter les demandes.
Certains pays européens ont-ils gelé les renvois vers la Grèce?
Les autorités norvégiennes avaient suspendu les renvois en 2008. Malheureusement, elles les ont repris en 2009. La Suisse et la Belgique ont décidé de ne pas renvoyer les personnes vulnérables. Quant à la Suède, elle ne renvoie pas de mineurs. Il y a eu dans différents pays des décisions de justice qui sont en partie contradictoires. Y compris à la Cour européenne des droits de l'homme, qui a pris position sur des cas individuels mais pas sur le principe.
N'est-t-il pas suffisant, comme l'a fait la Suisse, de geler les renvois de personnes vulnérables (familles avec enfants, mineurs non accompagnés, personnes âgées ou malades)?
Non. Toutes les personnes menacées d'un renvoi sous le régime Dublin sont des personnes vulnérables. En Grèce, il n'y a pas de garantie d'accès à une procédure équitable. Les personnes ne sont même pas sûres de pouvoir entamer une procédure d'asile, et si elles n'y parviennent pas elles deviennent sans-papiers, finissent dans la rue et peuvent être arrêtées à tout moment.
En quoi est-ce difficile de déposer une demande d'asile en Grèce?
Quand les personnes arrivent à l'aéroport, elles reçoivent un papier rédigé en grec qui leur dit de se présenter dans les trois jours au quartier général de la police à Athènes. Personne ne leur explique le contenu de ce document. Quand elles se rendent à la police, il y a parfois des milliers de personnes agglutinées devant le bâtiment. Certains attendent plusieurs jours sans pouvoir entrer. En 2008 et 2009, deux personnes sont mortes piétinées à l'entrée du bâtiment.
Vous accusez aussi la Grèce de violer le principe de non-refoulement à l'égard des personnes qui courent un danger dans leur pays d'origine.
L'une des personnes que nous avons interviewées avait été expulsée en Turquie. Il s'agissait d'un militant iranien d'un parti kurde. Il a heureusement pu regagner la Grèce à pied. Sinon, il risquait d'être renvoyé en Iran, où il aurait été en danger. Les Kurdes ne sont pas toujours protégés par les autorités turques, même lorsque le HCR les a reconnus comme réfugiés. Un accord bilatéral vient d'être signé entre la Grèce et la Turquie. Cette dernière accepte de reprendre les personnes qui ont transité par son territoire. On risque donc d'assister à des refoulements en chaîne. Il faut savoir que la Turquie n'a pas signé le protocole annexe à la Convention relative au statut des réfugiés, ce qui signifie qu'elle ne reconnaît comme réfugiés que des personnes d'origine européenne...
Qu'avez-vous observé en visitant les centres de détention et d'accueil?
J'ai visité des centres de détention sur la frontière avec la Turquie. Les conditions de détention y sont horribles. Femmes et hommes sont emprisonnés ensemble, les personnes dorment par terre et doivent parfois demander aux gardes pour aller aux toilettes. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé les conditions de détention contraires à l'interdiction des mauvais traitements et de la torture. J'ai aussi visité un centre d'hébergement à Thessalonique. Il a été fermé le mois dernier sans solution alternative pour ses occupants, qui continuent à vivre dans cet immeuble, sans eau et sans électricité. La capacité des centres est totalement insuffisante: 800 places pour tout le pays. Rien qu'à Athènes, 80 familles attendent un lieu d'hébergement.
Pensez-vous que le plan d'économies adopté par la Grèce risque d'aggraver les choses?
La situation des requérants d'asile est si mauvaise que je vois mal comment elle pourrait se dégrader. La Grèce devrait recevoir des fonds de l'Union européenne pour ouvrir de nouveaux centres d'enregistrement. Mais nous n'avons pas encore d'information détaillée sur la manière dont cela va se passer.
Pourquoi la situation est-elle si critique en Grèce? Est-ce seulement dû au système Dublin?
La Grèce a pris la décision politique de ne reconnaître que très peu de personnes comme réfugiés afin de dissuader les autres de venir. Cela date d'avant l'accord de Dublin. Mais il est clair que ce système a introduit un déséquilibre. Toutes les personnes qui viennent d'Asie ou d'Afrique de l'Est doivent passer d'abord par la Grèce.
Comment comprenez-vous que les pays méditerranéens aient accepté de signer un tel accord?
Je ne peux pas répondre à la place des autorités grecques. Mais je pense que c'était une mauvaise décision. En théorie et en pratique, le système Dublin est un système déséquilibré. C'est une erreur de penser que le système d'asile est harmonisé en Europe. Il y a des différences énormes de mise en oeuvre des directives. Le système grec n'est pas conforme aux conventions ratifiées par ce pays.
La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf a pourtant répondu à Amnesty qu'il n'existe «aucun indice concret permettant de conclure que la Grèce ne respecte pas ses obligations de droit international».
Je suis très surprise que les autorités suisses prétendent ne pas être au courant de ces violations. Il y a eu de très nombreux rapports, y compris du HCR, qui montrent exactement le contraire de ce qu'affirme la conseillère fédérale. En novembre 2009, Amnesty International, le Conseil grec pour les réfugiés, la Commission nationale grecque des droits de l'homme et des ONG de plusieurs pays ont déposé une plainte contre le système grec auprès de la Commission européenne. Une procédure a été ouverte.
Dans l'accord de Dublin, il y a une clause humanitaire qui prévoit des exceptions au principe du refoulement vers le premier pays d'entrée en Europe.
Elle n'est presque jamais appliquée. Des Etats ont renvoyé des personnes vulnérables en leur promettant une aide sur place qui n'est jamais venue. Une personne que j'ai rencontrée avait été torturée au Soudan; elle est arrivée en Allemagne, où le HCR a soutenu sa demande d'asile. Mais l'Allemagne l'a refoulée vers la Grèce, où elle n'a aucune possibilité de se faire soigner parce que le centre d'aide aux victimes de torture a été fermé il y a trois ans par manque de moyens. Une femme a été renvoyée du Danemark avec ses quatre enfants, dont l'aîné est âgé de 5 ans. Elle s'était cousue les lèvres et était en grève de la faim pour tenter d'empêcher son renvoi vers la Grèce.
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