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16/06/2010

Un vol des meilleurs années de la retraite

La réforme des retraites, dévoilée ce matin par le ministre du Travail, Éric Woerth, veut imposer de travailler plus longtemps malgré un chômage massif et un travail en souffrance. La réforme en gestation prend l’allure d’une véritable déclaration de guerre au monde du travail.
L’âge légal du départ porté à 62 ou 63 ans ? Au rythme d’un trimestre par an, ou plus vite ? La durée de cotisation allongée à 41,5 ans en 2020 ou plus tôt ? Nicolas Sarkozy et son équipe devaient déterminer hier soir à quelle profondeur précise ils enfonceraient la lame du couteau… Sans attendre, un premier inventaire des victimes du forfait qu’ils projettent de commettre contre le droit à retraite.
L’attaque d’un symbole du progrès social
Droite et Medef l’ont dit et répété : en s’en prenant à la retraite à 60 ans, il s’agit de tuer « un symbole ». Pas n’importe lequel : celui d’un progrès social historique. Comme le rappelle l’ancien dirigeant CGT Louis Viannet (lire p. 3), le décret du 26 mars 1982, en faisant gagner 5 ans de repos et de liberté aux salariés, a changé radicalement la conception de la retraite pour en faire « le départ d’une nouvelle vie ». En revenant sur cet acquis, après la mise en cause des 35 heures, Nicolas Sarkozy fait un cadeau royal au patronat  : l’allongement de la durée du travail étant un facteur clé dans la course au profit maximum, au prix d’une intensification de l’exploitation du travail. Symbole puissant, donc, mais aussi réalité concrète. Aujourd’hui encore, malgré les précédentes réformes, la grande majorité des assurés du secteur privé liquident leur pension à 60 ans ou avant (72 % en 2006, selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse). Et chacun a la garantie de pouvoir bénéficier à 65 ans d’une retraite à taux plein, sans décote, quelle qu’ait été sa carrière. Les femmes, aux carrières souvent incomplètes, sont les premières à en bénéficier. Demain, en cas de report de l’âge minimum de 2 ou 3 ans, ce garde-fou serait reculé d’autant : à 67 ou 68 ans. Alors que l’espérance de vie en bonne santé ne dépasse pas 63,1 ans pour les hommes, 64,2 ans pour les femmes, la réforme en gestation aura pour effet de leur voler les « meilleures années » de la retraite. Tout en infligeant les pires années de travail (à ceux qui en trouveront).
Travailler plus… Ou chômer plus ?
Au regard de la situation de l’emploi, vouloir retarder l’âge légal ou allonger la durée de cotisation obligatoire relève de l’aberration. Sur l’ensemble de la population active, seuls 63,8° % sont en emploi. Un pourcentage qui tombe à 58 % chez les 55-59 ans. Et le chômage massif que nous connaissons n’est, de l’avis général, pas près de disparaître. Dans ces conditions, la réforme envisagée aura pour effet d’augmenter les périodes de galère. Une étude réalisée par l’Observatoire des retraites est éloquente : dans l’année précédant leur départ, seuls 33 % des prestataires (28 % des femmes) ont validé au moins un trimestre au titre de l’emploi, un quart des hommes et une femme sur cinq en avaient validé un au titre du chômage, 27° % n’avaient validé aucun trimestre (36 % des femmes)…
Les femmes, spécialement touchées
Davantage touchées par le chômage, représentant 70 % de l’emploi précaire, 82 % du temps partiel, ayant un revenu salarial moyen inférieur de 26 % à celui des hommes, victimes d’un partage inégal des tâches domestiques : ces inégalités cumulées se paient cher à l’heure de la retraite. Moins de la moitié des femmes partent en retraite avec une carrière complète (contre 86 % des hommes), et leur pension reste inférieure de 40 % à celle des hommes (979 euros pour les unes, 1 625 pour les autres). Les réformes de 1993 et 2003, en particulier la prise en compte des 25 « meilleures années » de salaire pour le calcul de la pension et l’allongement de la durée de cotisation requise, ont déjà alourdi le fardeau. Celle de 2010 les pénalisera encore en priorité.
Pour les jeunes, la retraite à… 70 ans
Faite au nom des jeunes générations, la réforme risque en réalité de se solder pour elles, non seulement par une retraite de faible niveau (conséquence des lois de 1993 et 2003), mais par un droit au départ… à 70 ans ! Résultat mécanique de l’addition d’un âge moyen d’insertion dans un emploi stable estimé à près de 30 ans, et d’une durée de cotisation exigée de plus 41 ans. La prise en compte des années d’études, de stages et d’inactivité forcée pourrait permettre de l’éviter, mais le gouvernement ne veut pas en entendre parler. Travaux pénibles : l’injustice suprême Le gouvernement veut limiter au maximum le nombre de salariés astreints à des travaux pénibles pouvant bénéficier d’un départ anticipé, en leur demandant de prouver, par un examen médical, qu’ils sont bien usés. Alors que les atteintes à la santé se révèlent souvent après le départ en retraite. À l’exemple des cancers professionnels (plus de 20 000 par an). Entre 1,1 million et 2,3 millions de salariés sont exposés à des produits cancérigènes, selon l’enquête Sumer, du ministère du Travail. Au lieu de leur rendre justice, comme l’avait promis la loi de 2003, la réforme va donc contraindre aussi à travailler plus longtemps ces ouvriers à l’espérance de vie déjà raccourcie. Difficile de mieux illustrer l’injustice profonde de ce projet, véritable déclaration de guerre au monde du travail.
YVES HOUSSON

http://www.humanite.fr/2010-06-16_Politique-_-Social-Economie_Un-vol-des-meilleurs-annees-de-la-retraite

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