J’ai retenu les points suivants, qui sont presque autant de tweets à quelques caractères près. Voici des morceaux choisis. Attention, ce n’est pas une synthèse de la synthèse, mais une rapide sélection des points qui me semblent importants + mon point de vue.
Un constant pour commencer :
La diffusion de ce nouveau « média à tout faire » qu’est l’internet a été rapide, notamment chez les moins de 45 ans : plus de la moitié des Français l’utilisent dans le cadre du temps libre, et plus de deux internautes sur trois (67%) se connectent tous les jours ou presque en dehors de toute obligation liée aux études ou à l’activité professionnelle, pour une durée moyenne de 12 heures par semaine.
En ajoutant au temps consacré à l’internet et aux autres usages de l’ordinateur celui passé à jouer à des jeux vidéo sur une console ou à regarder des DVD, il est possible d’évaluer le temps moyen que les Français consacrent aux écrans en dehors des programmes télévisés regardés en direct. Celui-ci est légèrement supérieur à dix heures par semaine, soit environ la moitié du temps consacré à la télévision (21 heures), ce qui porte le volume global de temps consacré aux écrans à 31 heures par semaine.
Voilà qui me semble important, d’autant qu’une tendance pointe :
Les Français sont dans l’ensemble plus nombreux qu’en 1997 à regarder tous les jours la télévision, mais leur durée moyenne d’écoute est restée stable, autour de 21 heures par semaine. Le temps consacré au petit écran, pour la première fois depuis son arrivée dans les foyers, a cessé d’augmenter et a même diminué chez les jeunes.
Pour les livres, je vous fais grâce des détails sur les forts et les faibles lecteurs :
Dans le cas des livres, la baisse des forts et moyens lecteurs s’est poursuivie (…)
Cette double évolution n’a rien d’inédit. Elle s’inscrit dans un mouvement de long terme que les précédentes enquêtes Pratiques culturelles avaient déjà mis en évidence : depuis plusieurs décennies, chaque nouvelle génération arrive à l’âge adulte avec un niveau d’engagement inférieur à la précédente, si bien que l’érosion des lecteurs quotidiens de presse et des forts lecteurs de livres s’accompagne d’un vieillissement du lectorat
Sur cette question, je vous renvoie à ce billet que j’avais publié il y a quelques semaines qui pointait, outre le mystère des raisons de cette réelle baisse, la faiblesse de l’approche retenue ici : lecture = lecture de livre mesurée par le nombre de livres lus sur une période donnée. A l’heure du numérique, il est clair que ce thermomètre est largement insuffisant et ne saurait rendre compte de la diversité des pratiques de lecture. Ce qu’on mesure ici n’est donc pas la lecture en général, mais bien une pratique de lecture spécifique, alors même que le temps passé à lire sur écran augmente fortement…
Comme le rappelle Hubert Guillaud :
Mesurer la lecture à l’écran est plus difficile que mesurer un temps de lecture sur un support dédié. On a de plus en plus de mal à observer ce qu’est la lecture. Alors qu’on pouvait facilement établir qu’on passait tel temps à lire un livre ou un journal, il est plus difficile de mesurer notre activité de lecture sur une console de jeu ou un ordinateur : car la lecture fait partie d’un processus plus complexe auquel se greffent des moments d’écriture, des moments d’interaction, d’écoute, de repérage… La lecture telle qu’on la connaissait, telle qu’on la pratiquait, telle qu’on la mesurait jusqu’alors, semble en train de nous échapper. Elle n’est en tout cas plus une activité isolée, mais s’inscrit dans un ensemble d’activités dont elle est une des articulations. On joue, on lit, on écoute, on écrit, on consulte… Tout se fait dans le même mouvement. C’est la pratique culturelle, telle qu’elle était jusqu’à présent identifiée et analysée, qui se transforme. Est-ce que surfer sur le web, consulter ses mails ou Wikipédia, c’est encore lire ? Bien souvent, c’est pourtant le cas.
Soit. Cependant :
Le temps supplémentaire passé devant les écrans n’a pas entamé la propension générale des Français à sortir le soir ni modifié leurs habitudes en matière de fréquentation des équipements culturels. Les sorties et visites culturelles ont beaucoup moins souffert dans les arbitrages imposés par la montée en puissance des pratiques numériques que certains loisirs du temps ordinaire comme l’écoute de télévision ou la lecture d’imprimés.
Nous sommes donc dans un monde où le numérique entraîne globalement des pratiques cumulatives avec les sorties culturelles, et non pas (ou pas encore) des pratiques substitutives comme le montrait fort bien cette enquête.
A propos des “non-publics” : (quelle horreur cette expression)
Un quart des Français n’ont fréquenté dans l’année aucun équipement culturel : ils ne sont allés ni au cinéma ni dans une bibliothèque, n’ont assisté à aucun spectacle vivant et n’ont visité aucun lieu d’exposition ou de patrimoine.
Le cinéma en salle a touché en 2008 plus de monde qu’en 1997 en parvenant à élargir la base de son public occasionnel (1 à 5 fois par an), notamment chez les seniors et dans les milieux populaires : 57% des Français sont allés voir un film en salle au cours des douze derniers mois contre 49% onze ans plus tôt.
Les bibliothèques et médiathèques ont connu un léger tassement de leur fréquentation qui fait écho à celui enregistré au plan des inscriptions : 28% des Français s’y sont rendus au moins une fois au cours des douze derniers mois contre 31% onze ans plus tôt, ce qui semble indiquer que la progression des usagers non inscrits qui avait été forte dans les années 1990 s’est interrompue au cours de la dernière décennie.
Autrement dit, rien de nouveau sous le soleil pour les bibliothèques, ni d’ailleurs pour les autres équipements. Pour les bibliothèques, on note que sur 100 personnes interrogées, 72 n’ont jamais mis les pieds dans une bibliothèque ces 12 derniers mois contre 69 il y a 10 ans. Cette photographie à un moment donné mérite bien entendu d’être nuancée, mais qui n’est pas très réjouissante, tout de même, même si l’enquête du Crédoc a été contestée.
La moitié des Français (51%) n’ont assisté en 2008 à aucun spectacle vivant dans un établissement culturel au cours des douze derniers mois. Même si l’ampleur très faible des évolutions oblige à la prudence, il semble bien que la fréquentation de type exceptionnel ait progressé au cours de la dernière décennie : le spectacle vivant serait parvenu à toucher une frange de nouveaux spectateurs tout en perdant une petite partie des spectateurs réguliers.
Les proportions de Français n’ayant pas visité de lieux d’exposition ou de patrimoine au cours des douze derniers mois sont respectivement de 58% et de 62%, niveaux proches de ceux de 1997 ; dans un cas comme dans l’autre, le rythme des visites paraît avoir légèrement fléchi puisque la part des visiteurs réguliers (trois fois ou plus dans l’année) dans la population des 15 ans et plus est légèrement inférieure à son niveau de 1997
Par contre, l’enquête me semble clairement insuffisante lorsqu’elle s’intéresse aux pratiques amateurs en matière numérique. Voilà ce qui est étudié :
Autrement dit, on mélange allègrement des outils (créer un blog) et une pratique artistique menée avec des moyens numériques = créer de la musique. Les items sont bien insuffisants au regard de la diversité des usages. Très déçu par cette partie, alors que je m’attendais à une étude beaucoup plus fine.
Et l’auteur de conclure :
Nombreux sont les indices qui laissent entrevoir la profondeur du changement en cours quand on quitte le niveau général pour s’intéresser aux comportements des jeunes générations. Les personnes de moins de 35 ans sont en effet les principales responsables de la baisse de la durée d’écoute de la radio et de la télévision au cours de la dernière décennie, elles affirment sans ambages leur préférence pour les films et les musiques anglo-saxonnes à la différence de leurs aînés, et ont activement participé au recul de la lecture de quotidiens et de livres tout en manifestant certains signes potentiellement inquiétants en matière de fréquentation des équipements culturels : légère baisse de la fréquentation régulière des salles de cinéma masquée au plan général par la progression des 45 ans, tassement de l’inscription et de la fréquentation des bibliothèques, recul dans le domaine des musées et surtout des concerts de musique classique.
Au final l’envie de reprendre cette typologie qui dresse un rapide panorama de générations distinctes, qui me semble une approche incontournable, en particulier pour le numérique, même si elle peut sembler frustrante aux brillantes exceptions que nous connaissons tous…. Car le vrai mystère pour les institutions culturelles est de savoir comment se comporteront les publics de moins de 35 ans dans les années à venir.
La génération née avant la Seconde Guerre mondiale a grandi dans un monde où rien ne venait contester la suprématie de l’imprimé, elle a découvert la télévision à un âge déjà avancé et est restée assez largement à l’écart du boom musical et a fortiori de la révolution numérique.
La génération des baby-boomers a été la première à profiter de l’ouverture du système scolaire et du développement des industries culturelles et conserve aujourd’hui encore certaines traces de l’émergence au cours des années 1960 d’une culture juvénile centrée sur la musique.
La génération des personnes dont l’âge se situe entre 30 et 40 ans a bénéficié de l’amplification de ces mêmes phénomènes – massification de l’accès à l’enseignement supérieur et diversification de l’offre culturelle – et, surtout, a vécu enfant ou adolescent la profonde transformation du paysage audiovisuel au tournant des années 1980 : elle est la génération du second âge des médias, celui des radios et des télévisions privées, du multiéquipement et des programmes en continu, ce qui lui a permis de se saisir assez largement des potentialités offertes par la culture numérique.
Enfin, la génération des moins de 30 ans a grandi au milieu des téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux et autres écrans dans un contexte marqué par la dématérialisation des contenus et la généralisation de l’internet à haut débit : elle est la génération d’un troisième âge médiatique encore en devenir
Pour compléter sur les Digital Natives et leur pratiques culturelles, on pourra lire cette autre étude du DEP (pdf) ou alors lire ce livre de 2006 : Le Pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados, de Pacal Lardellier.
www.bibliobsession.net - 15.10.09
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