Christophe Ventura
Quelques jours après les violents affrontements qui ont opposé les forces de l’ordre brésiliennes et les trafiquants de drogue dans les favelas de la zone nord de la ville de Rio de Janeiro, l’effervescence médiatique internationale, stimulée par l’épisode de l’impressionnant crash en pleine ville d’un hélicoptère de la police abattu par les trafiquants au cours de la bataille, a laissé place à un imposant déploiement de la police militaire.
Sa troupe de choc, la Bope (Bataillon des opérations spéciales de police), sillonne les quartiers de Morro dos Macacos , de São João, de Prazeres, de Nova Holanda, de Villa Cruzeiro et de Parque União pour se livrer à ce qui s’apparente désormais à un véritable « nettoyage » mortel. Cette unité des forces spéciales, dont un rapport d’Amnesty international en 2004 avait fortement dénoncé les méthodes, mène des « opérations » dont le bilan s’alourdit de jours en jours loin des caméras internationales.
Ce sont désormais 33 victimes (trois policiers, trois habitants des quartiers, 27 « suspects » selon les termes des autorités) qu’il faut dénombrer depuis les incidents du 17 octobre (on en déplorait alors 12).
Dans la nuit du mardi 20 octobre et la matinée de ce mercredi 21 octobre, une nouvelle opération de la police militaire dans le quartier de Fallet e Fogueteiro vient de se solder par la mort de quatre hommes (les identités ne sont pas communiquées) et le recensement de trois autres personnes blessées.
A cela s’ajoute une vague d’arrestations difficile à évaluer. La police militaire a indiqué qu’elle pourrait garder, « pour un temps indéterminé », des habitants de la zone nord de Rio dans le cadre d’interrogatoires.
La situation semble donc se détériorer. Le choix fait depuis des années par les autorités locales et fédérales de s’en remettre exclusivement à une stratégie répressive pour faire face au développement constant de la criminalité liée au trafic de drogue et de ses moyens matériels et financiers dans les principales métropoles du Brésil produit une nouvelle conséquence : les populations des favelas elles-mêmes semblent désormais rejeter la présence policière et de l’Etat dans leurs quartiers. A Rio, où les autorités ont développé une nouvelle politique d’installation permanente de la police dans certains d’entre eux, des témoins ont affirmé que lors des affrontements, des tirs opposaient en réalité des habitants et des policiers connus pour leurs comportements violents et corrompus. Cela pourrait expliquer la présence d’habitants dans la liste des victimes.
Dans le pays, l’heure est maintenant au bilan politique. Il est presque certain que cette phase réflexive et la secousse de Rio de Janeiro ne se traduiront pourtant en aucun changement structurel dans le pays tant celui-ci a créé, au cours de son histoire, un véritable monde parallèle – celui des favelas – aux portes de ses mégalopoles.
Certains observateurs et acteurs de la vie politique brésilienne, y compris dans la gauche politique et sociale qui reste relativement silencieuse sur une problématique qu’elle a du mal à appréhender, n’hésitent plus à admettre que l’explosion des favelas pourrait constituer, en réalité, un problème sans solution. Ces zones où s’accumulent et s’organisent, depuis la fin du 19ème siècle, tous les exclus d’une société brésilienne et d’un modèle de développement économique violemment inégalitaires, racistes, générateurs d’expropriations massives et continues des travailleurs des campagnes et d’exodes vers les villes, de migrations, de misère et d’une extrême pauvreté, ont connu un développement permanent et n’ont jamais fait l’objet d’une véritable politique publique depuis des décennies.
Le cas de la ville de Rio de Janeiro est symptomatique. La deuxième ville du pays (12 millions d’habitants intra-muros et aire urbaine comprise) connait, selon Luis Carlos Lopes (professeur à l’Institut des arts et de la communication sociale à l’université fédérale de Fluminese –UFF-) « des problèmes socio-urbains (…) très graves. (Ceux) d’une ville divisée entre une petite partie très riche et 600 favelas ou plus très difficiles d’accès »1.
S’il est impossible de savoir combien de personnes vivent précisément dans ces dernières, elles sautent néanmoins aux yeux du voyageur débarquant de l’aéroport de Rio pour former une mer de murs rouge recouvrant, chaque année, des surfaces toujours plus grandes autour de la ville. Elles ont ainsi connu une forte croissance ces dernières années.
L’archipel des favelas de Rio, comme ailleurs dans le pays, révèle, dans une singulière incarnation territorialisée, la persistance et le développement des inégalités et de la pauvreté dans le Brésil de Lula qui s’est pourtant beaucoup enrichi ces dernières années. Loin des satisfécits en modèle de développement économique et social efficace et de progrès délivrés par les médias internationaux et les institutions financières internationales au gouvernement Lula, l’existence des favelas rappelle l’approfondissement des fractures sociales et raciales sous ses deux mandats.
Comme l’indique Luis Carlos Lopes, la « situation (…) nécessite de prendre des mesures concrètes pour déminer ces bombes de relégations sociales dans l’actuel phase de modernité. Une politique d’emploi, de nouvelle répartition des richesses, de scolarisation réelle (…) et, surtout, d’exemplarité et d’honnêteté des institutions publiques pourrait faire la différence »2.
Une telle politique n’a jamais été réellement menée par Lula dont le dernier mandat se terminera en 2010.
Pour sa part, Sérgio Cabral Filho, gouverneur de l’Etat de Rio, a avancé une solution pour honorer les engagements du Brésil en 2014 (Coupe du monde de football) et 2016 (Jeux olympiques à Rio de Janeiro) : construire un mur pour séparer certaines favelas du reste de la ville…
Marianne2 - 22.10.09
À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.
22/10/2009
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