Bernard Cassen
A Bruxelles, chez les membres de la Commission et les fonctionnaires, on déteste les référendums : d’abord parce qu’ils sont organisés dans le cadre national, donc en porte-à-faux avec la logique supranationale de la construction européenne, et ensuite parce qu’ils sont une expression directe de la souveraineté populaire, sans le filtre des institutions de la démocratie représentative avec lesquelles beaucoup d’accommodements sont possibles. Ils rappellent – qu’on le déplore ou que l’on s’en réjouisse – que les peuples continuent à exister sur le Vieux Continent. Du moins pour l’avenir prévisible, la notion de « peuple européen » reste encore largement une fiction.
L’Union européenne (UE) a donc un sérieux problème avec certains des peuples qui la composent. Non pas parce que ces derniers seraient par principe hostiles à l’idée d’Europe, mais parce qu’ils rejettent le carcan des politiques menées par les institutions qui agissent en son nom. Quand l’occasion se présente de donner leur sentiment lors d’un référendum, ils ne s’en privent pas. C’est ainsi que, en 1972, la Norvège refusa d’adhérer à ce qui était encore la Communauté économique européenne (CEE) ; que, en 1992, le Danemark rejeta le traité de Maastricht ; que, en 2005, la France et les Pays-Bas dirent « non » au traité constitutionnel européen ; que, en 2001, l’Irlande vota contre le traité de Nice et, en 2008, contre le traité de Lisbonne. Chaque fois, sauf pour la Norvège, un tour de passe-passe permit ultérieurement de transformer les « non » en « oui ».
Un nouveau cas d’école du respect ou du non respect de la souveraineté populaire en Europe se présente avec le refus des Islandais, exprimé par 60 % d’entre eux lors du référendum du 9 avril dernier, de faire payer par l’ensemble des citoyens le coût des ravages provoqués par leurs banquiers [1]. Une des banques de l’île, Icesave, privatisée en 2003, avait attiré des épargnants en leur proposant des rendements de l’ordre de 7 %, c’est-à-dire très au-dessus des taux du marché. En fait, il s’agissait d’une escroquerie du type des « pyramides de Ponzi », dont Bernard Madoff fut un des plus éminents praticiens : les intérêts des placements anciens sont payés par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Jusqu’à ce que le système s’écroule… Ce qui fut le cas en 2008.
A cette date, 400 000 comptes avaient été ouverts chez Icesave, pour la plupart d’entre eux par des Britanniques et des Néerlandais. Pour ne pas précipiter une panique bancaire les gouvernements de Londres et de La Haye s’engagèrent à indemniser leurs ressortissants concernés (pour des montants respectifs de 2,6 milliards et de 1,2 milliard d’euros) et, avec la bénédiction de la Commission européenne et du Fonds monétaire international, ils envoyèrent la facture aux autorités de Reykjavik ! Cette transformation caricaturale d’une dette privée en une dette publique, acceptée par le gouvernement et le Parlement islandais, fut rejetée une première fois par 93 % des électeurs lors du référendum organisé en mars 2010, avant de l’être à nouveau en avril 2011.
L’Islande n’est pas membre de l’UE, mais le gouvernement a officiellement déposé sa candidature pour y adhérer en juillet 2009. A moins d’être désavoué lors des élections législatives anticipées prévues le 9 mai prochain, il est prêt montrer sa respectabilité « européenne » en versant, d’une manière ou d’une autre, les 3,8 milliards d’euros que lui réclament le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Indépendamment du veto que ces deux pays peuvent opposer à l’adhésion de l’Islande, on peut se demander si beaucoup d’autres Etats membres de l’UE souhaiteront qu’elle s’élargisse à un peuple qui ne craint pas de voter et de revoter « non » à un référendum…
Notes
[1] Lire http://www.cadtm.org/Islande-NON-et-encore-NON. Lire également Robert Wade et Silla Sigurgeirsdottir, « Quand le peuple islandais vote contre les banquiers », Le Monde diplomatique, mai 2011.
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