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08/05/2011

La gauche et l’emploi

Michel Husson

Le chômage et la précarité corrodent toute la société. A la fin de l’année 2010, les besoins d’emploi non satisfaits concernaient 5,2 millions de personnes en France : 2,8 millions étaient au chômage ; 1,6 million en sous-emploi et 0,8 million souhaitaient travailler mais avaient renoncé [1].
C’est donc sur le terrain de l’emploi qu’il faut interroger les projets de gauche. Sur ce sujet, le programme du Parti socialiste est très faible, même s’il comporte des propositions intéressantes (comme tous les programmes). Sous la rubrique « combattre le chômage », trois axes sont avancés : 300 000 emplois-jeunes, des mesures (non contraignantes) pour « maintenir les seniors dans l’emploi  », et un renchérissement des licenciements boursiers. C’est mieux que rien, mais qui peut croire sérieusement que l’application de ces mesures suffirait à faire reculer significativement le chômage ?
En réalité, le PS s’en remet à la croissance. La politique économique qu’il préconise devrait permettre «  de retrouver à partir de 2013 une croissance comprise entre 2,5 % et 3 %  ». Sur les vingt dernières années (hors crise), la croissance a été en moyenne de 2 %. D’où viendrait ce sursaut ? On ne voit pas très bien. C’est d’ailleurs l’occasion d’introduire une distinction : quand on dit que les politiques d’austérité menées en Europe vont conduire à une croissance molle et au maintien du taux de chômage au niveau record qui est le sien, on exprime un pronostic plausible de l’évolution du capitalisme européen. Mais cela n’implique pas que l’alternative soit une relance de la croissance, qui ne pourrait être obtenue qu’au prix d’un enfoncement supplémentaire. Il faut rompre avec la vieille logique capitaliste, en la remettant en cause sur deux points fondamentaux.
Première idée : plutôt que de vouloir augmenter la richesse, il faut en changer la répartition. Autrement dit, ne pas compter sur la croissance, et surtout en changer le contenu, ce qui est rigoureusement impossible avec la répartition des revenus actuelle. Cela veut dire, en premier lieu, dégonfler les rentes financières et refiscaliser sérieusement les revenus du capital. Mais ce n’est qu’un aspect des choses. L’autre face de la répartition concerne le temps de travail. Plutôt qu’une société divisée entre stressés du travail, précaires et chômeurs, il faut aller vers une société du temps libre où tout le monde travaille, mais moins. Tout programme qui ne parle pas de réduction du temps de travail est d’emblée une acceptation de l’ordre des choses actuel.
Deuxième idée : il faut renverser le lien entre activité économique et emploi. Aujourd’hui, la possibilité de créer des emplois est soumise à un critère de rentabilité. Donnez-nous les moyens d’être compétitifs (lire « rentables ») et le reste (l’emploi) vous sera donné de surcroît : ainsi va l’antienne patronale. Une véritable révolution copernicienne est nécessaire («  remettre à l’endroit ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers », dit la Fondation Copernic). La société doit choisir ses priorités et créer ensuite des emplois là où sont identifiés les besoins, en utilisant ainsi pleinement ses capacités. Si tout le monde était employé de la façon la plus efficace — à condition de mesurer cette efficacité par la satisfaction des besoins et non par la valeur marchande produite —, la question de savoir si le PIB augmente ou non deviendrait une simple question comptable sans grande importance.
Utopie peut-être, mais utopie réaliste, qui peut être traduite en objectifs intermédiaires, enclenchant la transition vers une économie réglée par ces deux principes : juste répartition des richesses et déconnexion entre emploi et rentabilité. Tels sont les deux critères qui devraient permettre d’évaluer tout programme se réclamant peu ou prou de la transformation sociale. Une chose est sûre en effet : tout projet qui n’avance pas dans cette double direction ne peut qu’échouer sur le front de l’emploi. Vouloir faire reculer le chômage sans toucher à la répartition, et en comptant sur le retour à une croissance rentable pour créer des emplois, tel est le miroir aux alouettes moderne.

Notes

[1] « Informations “Chômages” », mars 2011, sur le site Les autres chiffres du chômage, acdc2007.free.fr

http://www.regards.fr/nos-regards/michel-husson/la-gauche-et-l-emploi

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