À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

10/05/2011

Le Portugal, dernière victime en date du modèle néolibéral

Virginie de Romanet - Mondialisation.ca, Le 9 mai 2011

A l’instar de la Grèce en avril/mai 2010 et de l’Irlande en novembre 2010, les attaques répétées des marchés financiers ont fait tomber le Portugal sous la coupe de la troïka Fonds monétaire international/Union Européenne/ Banque centrale européenne dont les contreparties exigées en échange d’un prêt de 80 milliards d’euro ne seront pas moins violentes que celles mises en place en Grèce et en Irlande. Le 23 mars, le Premier ministre socialiste José Socrates a d’ailleurs démissionné suite au rejet par le parlement portugais d’un nouveau plan d’austérité à la suite de ceux déjà imposés auparavant. Des élections législatives sont prévues pour le 5 juin. Le Portugal doit normalement rembourser 4,9 milliards d’euros arrivant à échéance en juin et pour éviter d’avoir recours à la troïka le gouvernement portugais avait pris les devants en 2010 par la mise en place d’un plan d’austérité drastique. Cependant sa docilité n’a servi à rien ! Les marchés financiers et les gouvernements des puissances européennes en particulier la France et l’Allemagne dont les banques privées détiennent une part importante de la dette portugaise - respectivement 30% et 18% - en veulent toujours plus |1|. Un article du quotidien Le Figaro du 9 avril qui cite des injonctions imposées au Portugal par les ministres des finances de la Zone Euro et de l’Union Européenne lors d’une réunion tenue à Budapest la veille rend partiellement compte de cela : « La déclaration publiée à l’issue du rendez-vous de Budapest est sans ambiguïté sur l’absence de marge de manœuvre : « La préparation (du plan d’austérité) devra commencer immédiatement, en vue d’un accord entre les partis à la mi-mai, et permettre la mise en œuvre sans délai du programme d’ajustement dès la formation du nouveau gouvernement », début juin. Vendredi, « les ministres ont clairement fait comprendre au Portugal qu’ils ne veulent pas avoir à revenir sur les contreparties à l’aide, quel que soit le résultat des élections », rapportait un témoin du huis clos à Budapest. En clair, il n’y a pas d’alternative au plan qui sera ficelé à la mi-mai. Pour éviter toute contestation issue des urnes, les Vingt-Sept ne concrétiseront leur aide qu’une fois acquis « le soutien des principaux partis politiques », indique la déclaration finale  |2| . De telles pratiques sont très graves et montrent le mépris des dirigeants européens pour la démocratie et la volonté des peuples. Elles doivent être vivement dénoncées ! Ce n’est cependant pas si surprenant, on se rappelle en effet le refus de prendre en compte le « NON » français et irlandais au référendum sur le Traité constitutionnel européen.
La dette, dont la dimension névralgique au cœur du capitalisme néolibéral avait montré tout son pouvoir de nuisance au Sud et causé d’innombrables ravages, a maintenant son épicentre dans les pays du Nord. Le Portugal comme les autres pays de la périphérie européenne sont particulièrement concernés. On peut immédiatement questionner le caractère de toute évidence illégitime de l’augmentation de la dette au cours des deux dernières années. En effet, il n’est pas normal que le gouvernement intervienne pour sauver des banques qui ont réalisé des investissements imprudents et que cela retombe sur la grande majorité de la population qui n’y est pour rien. Par ailleurs, la nouvelle forte hausse de la dette en 2010 est la conséquence de l’offensive des marchés financiers soutenus par les prophéties auto réalisatrices des agences de notation. Celles-ci, anticipant en 2010 la difficulté de l’Etat portugais à continuer les remboursements d’une dette ayant énormément augmenté du fait du sauvetage des banques, élèvent la prime de risque et donc les taux d’intérêts payés d’où la nécessité de contracter toujours plus de dette pour palier à cette hausse des taux.
Les ravages des politiques néolibérales
Comme dans bien d’autres exemples de pays, les politiques néolibérales mises en place ont détruit la capacité productive, l’industrie et l’agriculture portugaises et l’ont ensuite obligé à vendre ses meilleurs actifs financiers dans le secteur productif au capital étranger.
Le creusement du déficit commercial portugais
Comme on le voit partout, que ce soit dans les accords bilatéraux ou dans une zone économique intégrée comme l’Union Européenne ou la Zone Euro les politiques économiques et commerciales mises en œuvre ont pour conséquence de favoriser les plus forts au détriment des plus faibles. Le Portugal ne fait pas exception, sa balance commerciale étant structurellement déficitaire entre 6,5 et 11,5 points de PIB comme l’illustre le graphique suivant.




















Solde de la balance commerciale en % du PIB
Source : données statistiques du Portugal www.pordata.pt
Cela a eu pour conséquence un gigantesque déficit commercial qui s’est monté sur la période 2001-2010 à 208,5 milliards d’euros |3|. Si on prend l’année 2010 son déficit commercial était estimé à plus de 20 milliards d’euros et il maintient avec ses deux principaux partenaires commerciaux que sont l’Espagne et l’Allemagne une balance déficitaire. Par ailleurs, bien des secteurs comme le secteur bancaire et immobilier sont dominés par des capitaux espagnols.
Les privatisations et Partenariats Public Privé (PPP) : des recettes en moins pour l’Etat, de juteuses perspectives de profit pour le secteur privé
L’économiste portugais Eugénio Rosa a montré que dix entreprises stratégiques importantes partiellement ou totalement privatisées ont rapporté des bénéfices de 14,8 milliards d’euros sur la période 2002-2006. Or, sans cette privatisation ces bénéfices auraient représenté des recettes pour le budget de l’Etat qui aurait ainsi en 2007 dégagé un excédent de 0,2% du PIB. Cela aurait empêché le gouvernement d’utiliser le déficit budgétaire comme argument pour imposer des sacrifices aux Portugais et pour étrangler l’économie comme cela allait se passer. Il a par ailleurs analysé qu’une partie importante de ces bénéfices ont été transférés à l’extérieur ce qui a aggravé la situation de la balance des paiements |4|. Ces privatisations se sont par ailleurs accompagnées de la destruction du tissu productif des petites et moyennes entreprises.
A côté des privatisations proprement dites on trouve également les Partenariats Public Privé (PPP) qui bénéficient aux grands groupes économiques. On estime que ces PPP concernent environ 80% grands projets dans le domaine des infrastructures, autoroutes, ponts, hôpitaux pour un montant d’une cinquantaine de milliards d’euros. Ces investissements garantis par l’Etat offrent une rente de situation tout à fait substantielle aux grands groupes qui sont commandités pour la mise en œuvre des travaux. C’est la collusion du pouvoir politique avec le pouvoir économique en particulier la cooptation de membres des partis au pouvoir dans les Conseils d’administration des grandes entreprises qui a permis le développement à un tel niveau des PPP |5|. Le programme Biosfera a réalisé un reportage qui témoigne que la reconstruction et modernisation des écoles par la société Parque Escolar dans le cadre d’un PPP a entraîné plus que le triplement des coûts énergétiques par rapport à la période d’avant les travaux |6|. Avec les connaissances que l’on possède aujourd’hui dans le domaine de l’isolation, de l’emploi de matériaux économes en énergie et en matière d’économies d’énergie, cela montre bien que ce programme de réhabilitation a été pensé dans l’intérêt de la société qui effectuait les travaux et non dans celui du secteur de l’enseignement. Dans le domaine hospitalier, la vague de PPP conclus en 2002 prévoyait l’entrée en service de dix nouveaux hôpitaux dans tout le pays pour la fin de la décennie. Or, en février 2011 seul l’hôpital de Cascais venait d’être inauguré. Les citoyens, surtout les plus modestes, font les frais de ces PPP avec des services de qualité moindre et plus coûteux. Ce qui a entraîné le député du Blocco de Equerda José Gusmão a annoncer lors de la présentation du budget pour 2011 une proposition de son parti, visant à mettre en place un audit sur tous les contrats signés dans le cadre de partenariats Public Privé |7|.
Une fiscalité injuste
Comme l’illustre le graphique suivant au cours des années 2000, les recettes fiscales (directes et indirectes) ont connu une tendance décroissante ininterrompue depuis le maximum atteint en 2000 et qui représentait 61 ,5% des recettes de l’Etat. En dehors de la crise, la baisse la plus importante de 52,3% à 43,3% a eu lieu entre 2002 et 2003. Selon l’économiste Eugénio Rosa, la valeur des recettes fiscales potentielles non perçues a atteint en 2002 13,8 milliards d’euros, ce qui représente près de 49% des recettes fiscales totales pour l’année. La raison de ce montant si élevé est due d’une part à des privilèges fiscaux consacrés par la loi et d’autre part à une absence de croisement des données relevant d’une part de la sécurité sociale et d’autre part du fisc, situation qui a continué tout au long de la décennie comme le graphique le montre |8|.





















Recettes de l’Etat : impôts directs et indirects (%)
Source : données statistiques du Portugal www.pordata.pt
Cette baisse d’impôts est au cœur des mesures néolibérales bénéficiant aux catégories sociales les plus favorisées et sont complétées par d’autres où ce sont toujours les mêmes qui sont gagnants. L’Etat utilise en effet comme prétexte la baisse des recettes fiscales pour se débarrasser des biens immobiliers qu’il possédait et les louer ensuite. Au Portugal pratiquement tous les biens immobiliers de l’Etat ont été vendus pour ensuite être loués au nouveau propriétaire qui gagne sur tous les tableaux. Le blog francophone PortugalMania |9| fait référence à 157 biens immobiliers variés de l’Etat mis en vente aux enchères en mai 2007 pour un montant plancher de 20 millions d’euros. Pour faciliter la tâche de francophones intéressés il donne même un lexique de termes immobiliers et relatifs à l’immobilier avec leur traduction en portugais ainsi qu’un traducteur Google français portugais car comme il le dit c’est « une bonne opportunité de pouvoir réaliser de bons investissements par le biais de quelques bonnes affaires immobilières au Portugal. » Un bref reportage télévisé |10| parle de biens vendus 900 millions d’euros au cours des 4 dernières années. Ces ventes interviennent soi disant pour combler le déficit budgétaire creusé - ce n’est évidemment pas le gouvernement qui le dit - par la baisse des recettes fiscales, produit de mesures destinées aux plus favorisés. Or, pendant cette même période la moitié de ces 900 millions d’euros ayant été déboursée pour payer les loyers de ces biens anciennement propriété de l’Etat. Dans cette situation, un autre reportage donne les exemples de deux hôpitaux de Lisbonne où l’Etat a payé un loyer pour l’hôpital de São José de 2,79 millions d’euros et pour celui de Curry Cabral de 1,9 million d’euros pour des bâtiments qui étaient propriété de l’Etat. On y découvre également le cas du Ministère de l’Economie qui se trouve dans un bâtiment vendu 10 millions en 2008 et pour lequel l’Etat paie un loyer de 69.400 euros/mois |11|.




















Origine des recettes fiscales de l’Etat dans la mise en œuvre du budget
Source : données statistiques du Portugal www.pordata.pt
Lorsqu’on analyse le poids et la répartition des différents impôts on voit que la structure fiscale portugaise est fortement inégalitaire. La TVA (IVA en portugais) qui est l’impôt le plus injuste puisqu’il ne fait pas contribuer chacun en fonction de ses revenus est celui qui engendre les recettes fiscales les plus élevées. L’impôt sur les sociétés ne compte que deux taux 12,5% jusqu’à un revenu annuel de 12.500 euros et 25%+1,5% de taxe communale pour les autres. On voit donc que si les petites entreprises sont assez fortement imposées, à l’autre extrémité du spectre les grosses le sont faiblement si on compare le taux officiel de l’impôt sur les sociétés dans les différents pays européens. Il faut en effet encore ajouter que ce taux officiel souvent ne correspond d’ailleurs pas à ce qui est effectivement payé. Ainsi en 2009 le secteur bancaire n’a payé un impôt que de 4% - alors que beaucoup d’autres grands groupes domicilient leurs investissements dans l’île atlantique de Madère qui est un paradis fiscal |12| . Les dividendes et les gains en capital, sont eux dans certains cas de figure complètement exonérés d’impôts. L’impôt sur le revenu est également hautement inégalitaire car les très faibles revenus jusqu’à 4.793 euros sont taxés à hauteur de 10,5% alors que la tranche la plus élevée à partir d’un revenu de 64.624 euros ne l’est qu’à hauteur de 42%.
Par ailleurs, au cours de la période 2003-2009, l’administration fiscale a subi une diminution croissante de ses effectifs particulièrement dans ses services locaux et régionaux, les niveaux les plus proches des contribuables. En 6 ans, l’administration fiscale a ainsi vu ses effectifs réduits de 1638 travailleurs. Ce choix n’intervient pas bien sûr par hasard. Le fait de diminuer les effectifs est une manière de soutenir une faible imposition sur les hauts revenus ainsi que les différents revenus du capital et on constate le même phénomène dans plusieurs pays européens. De plus, la faiblesse des recettes fiscales et l’injustice dans leur répartition a aussi partie liée avec le marché de l’emploi, les inégalités s’autoalimentent et sont cumulatives et ce sont chaque fois les mêmes qui sont touchés.
La précarité généralisée du marché de l’emploi
A la fin 2001, le taux de chômage officiel se situait à 4,1%, ce qui était relativement bas comparé à la moyenne européenne. Néanmoins, celui-ci coexistait avec une grande quantité d’emplois qui ne ressortait pas d’un véritable contrat de travail assorti des avantages et garanties légales. Actuellement avec l’impact de la crise, le taux de chômage officiel est de 11,8% de la population active. Cependant les syndicats considèrent ce taux sous-estimé et parlent de 13,8%.
On peut répertorier différentes catégories de précaires. Les très bas salaires ont donné naissance au qualificatif « quinientos euristas » désignant les 22% de la population avec un salaire inférieur ou égal à 500 euros. La majorité des 14% de la population qui ne dispose que d’un travail à temps partiel, niveau qui n’est dépassé en Europe que par la Pologne- se retrouve bien sûr dans cette catégorie. Enfin 30% des entreprises n’ont aucun lien contractuel avec leurs employés qui sont pour la plupart ce qu’on appelle des « reçus verts ». Ce système instauré en 1978 pour permettre aux travailleurs indépendants des professions libérales ou artisans de se faire payer a par la suite été élargi à des salariés dans la position classique à la fois de subordination vis-à-vis d’un employeur et bénéficiant de la protection sociale conférée par un contrat de travail. Avec les « reçus verts », l’employeur ne verse aucune cotisation patronale alors que celles-ci s’élèvent normalement à 23,75% du salaire. Ce système concerne 500.000 travailleurs selon la Confédération générale des travailleurs portugais à quoi il faut ajouter 1,25 million d’autres salariés - soit une forte proportion des 5,6 millions d’actifs - qui sont prisonniers de CDD à répétition |13|. La mise en place de ce système a représenté une aubaine pour les employeurs, les travailleurs anciennement salariés ayant perdu les avantages du contrat de travail tout en conservant néanmoins les contraintes liées à la subordination à un employeur. Une initiative législative de « loi contre la précarité » dont l’objectif est de combattre la précarité dans trois de ses traits les plus répandus et injustes qui sont les faux reçus verts, les contrats à durée déterminée et le travail temporaire vise à recueillir 35.000 signatures pour être présentée à l’Assemblée Nationale |14|.
L’évolution de la dette et l’impact de la crise
Avec la dette et le déficit commercial, une partie croissante du PIB portugais est transférée à l’extérieur. En effet, selon Eurostat le Rendement national liquide qui mesure la richesse restant dans un pays représentait en 2010 à peine 78,8% du PIB alors que la moyenne de l’UE à 27 était de 83,6%. Rien qu’au 1er semestre 2010, le Portugal a transféré 8,4 milliards d’euros à l’étranger au titre de service de la dette et de rapatriement des bénéfices des filiales portugaises des multinationales, ce qui représente le double de tout ce qui a été transféré au cours de la seule année 1995 |15|.
Entre 2001, année précédant l’entrée en vigueur de l’euro et 2008 la dette est passée de 54 % du PIB à 68,8% ce qui fait une augmentation de près de 15 points en 7 ans.




















Stock de la dette en % du PIB
Source : données statistiques du Portugal www.pordata.pt
Au cours de la période précédant la crise de 2008 une part substantielle de l’endettement est allée à la construction de stades de football - le Portugal ayant abrité la Coupe d’Europe des Nations en 2004 – d’autoroutes au détriment du transport ferroviaire ou maritime, de sous-marins qui ont gonflé le budget de la défense. Une grande partie de ces projets a bien sûr été plus favorable pour ses promoteurs que pour la grande partie de la population victime de la précarisation du marché de l’emploi. Fin 2008, le total des crédits accordés au secteur de l’agriculture, de la pêche et de l’industrie représentaient à peine 16,4 milliards d’euros alors que ceux octroyés aux entreprises de construction, à des activités liés à l’immobilier et au logement totalisaient 168,7 milliards d’euros soit 10,2 fois plus |16|. Avant l’impact de la crise et le rôle des agences de notation, on peut penser qu’une bulle immobilière comme aux Etats-Unis, au Royaume Uni, en Irlande et en Espagne était récemment en cours de formation surtout en raison des investissements des banques espagnoles dans le secteur touristique.
Il faut par ailleurs signaler une stratégie assez systématique de destruction d’édifices et d’infrastructures publiques telles que des bibliothèques, des centres culturels régionaux, des stations balnéaires, des ponts, etc. en parfait état de fonctionnement pour les remplacer au bénéfice des entreprises privées de construction et du secteur bancaire. Par ailleurs, la baisse sciemment organisée du financement de plusieurs secteurs publics comme le Métro, les transports publics entre la zone sud et nord de Lisbonne ou le train fait partie d’une stratégie parallèle. On laisse ainsi se dégrader de façon intentionnelle et organisée des services publics pour ensuite véhiculer l’idée d’une gestion par l’Etat inefficace qui prépare « tout naturellement » la voie à leur privatisation. Cela n’est bien sûr par une spécialité portugaise on le constate dans bon nombre de pays avec des médias qui jouent un grand rôle pour préparer « les esprits ». Enfin, pour finir, il n’est pas inhabituel que juste avant la privatisation l’entreprise soit modernisée sur les deniers publics pour bénéficier à l’acquéreur privé. En juillet 2010, dans une déclaration faite au journal Publico, le porte-parole de la compagnie aérienne nationale TAP a signalé que l’entreprise n’est pas d’accord avec l’urgence proclamée par le gouvernement d’une recapitalisation de l’entreprise qui ne fait que préparer le terrain à sa privatisation. Il dénonce cela fait plus d’une décennie que la compagnie nationale n’a plus bénéficié du soutien de l’Etat car les règles de l’Union Européenne empêchent les Etats de soutenir leurs entreprises nationales, le résultat de cela est que la TAP s’est retrouvée désavantagée face à la concurrence |17|.
Suite à la crise et aux sauvetages bancaires qui ont eu lieu dans de nombreux pays sur le dos des populations, le sauvetage de deux importantes banques Banco Português de Negócios (BPN) et Banco Privado Português (BPP) a fait passer grimper le ratio dette/PIB de 10 points entre 2008 et 2009 passant de 68,9% à 79% |18|
Dès le début de l’année 2010, les agences de notation ont dégradé la note du Portugal faisant ainsi augmenter les taux d’intérêt payés gonflant d’autant la dette. Du fait de cette attaque violente orchestrée par les agences de notation, la dette a encore augmenté de 9 points de PIB au cours de la seule année 2010 pour se monter à 88% du PIB. La visibilité du rôle nuisible des agences de notation a augmenté significativement au cours de l’année 2010 ainsi que leurs bénéfices qui auraient atteint pour les agences de notation, Standard & Poor´s et Moody´s le montant record de 1,3 milliard d’euros |19|.
Le graphique ci-dessus montre très bien le décrochage qui a eu lieu depuis 2008 comme résultat des sauvetages des banques en 2008-2009 et des attaques des marchés financiers depuis 2010.
Mobilisations contre la dictature des créanciers
Une première grève générale très suivie a eu lieu le 24 novembre 2010 contre les effets du plan d’austérité imposé par le gouvernement. Celui a en effet conduit à un gel des salaires pendant 4 ans, à une réduction des emplois publics par un remplacement d’un départ à la retraite sur deux |20|, au gel des pensions et des allocations sociales, à quoi il faut ajouter la diminution du revenu minimum d’insertion, la suppression des allocations d’insertion pour les jeunes, la réduction du budget de la sécurité sociale, de la santé et des transports publics et une augmentation de la TVA de 2 points de 21% à 23%. Le gouvernement a également décidé la privatisation des secteurs de l’énergie, des transports et de la poste, ainsi que le report d’investissements publics.
Il semble que le peuple portugais soit prêt à se mobiliser contre une dette de plus en plus perçue comme injuste. Une mobilisation dans le pays le 12 mars 2011 a réuni plus de 300.000 personnes et donné naissance au Movimento 12 de Março qui souhaite l’organisation d’un référendum contre le paiement de la dette pour questionner l’efficacité, le caractère inévitable, la légitimité et le caractère démocratique de l’intervention du FMI, de la Banque centrale européenne et du Fonds Européen de stabilisation financière |21| Par ailleurs, une pétition contre les agences de notation a été lancée par quatre économistes et professeurs d’université José Reis e José Manuel Pureza de l’Université de Coimbra et Manuel Brandão et Maria Manuela Silva, de l’Institut supérieur d’Economie et de Gestion (ISEG) |22|. Celle-ci a été remise le 11 avril l’instance supérieure du Ministère Public qui a une mission de défense de la légalité juridique, Procuradoria-Geral da República (PGR) sous la forme d’une plainte. En 10 jours, cette pétition avait déjà recueilli plus de 10.000 signatures |23|. Une plainte avait déjà lancée aux Etats-Unis contre la Deutsche Bank et quelques agences de notation. Le 21 avril la Cour du district Nord de Californie en charge de l’affaire s’est prononcé en faveur de la poursuite la plainte. Cependant comme celle-ci émane d’une firme |24|, on peut douter qu’elle puisse servir de précédent pour défendre les intérêts de ceux qui paient les pots cassés de la crise comme conséquence des plans d’austérité.
Les alternatives à la crise actuelle
En dépit de l’atmosphère véhiculée par le gouvernement et les médias qui est la mise en place de toujours plus d’austérité, la mobilisation du peuple portugais pourrait faire évoluer la situation. Face à l’instrument de transfert de richesses que représente la dette, il s’agit d’exiger la mise en place d’une Commission d’audit dans laquelle interviendrait des représentants de mouvements sociaux et syndicaux portugais ainsi que des experts portugais et internationaux de l’endettement. Cette Commission devrait faire la lumière sur toutes les dettes et travailler à l’annulation de celles démontrées comme illégitimes. La revendication que nous avons vu d’audit sur les PPP est fort intéressante mais ne devrait pas se limiter à ces PPP qui ne concernent qu’une partie de la dette.
En Equateur, la mise en place d’une Commission d’audit intégral sur le crédit initiée par le gouvernement équatorien avec la participation d’instances gouvernementales comme la Cour des Comptes mais aussi de mouvements sociaux équatoriens et de représentants internationaux des campagnes dettes dont le CADTM a permis d’obtenir une réduction non négligeable sur la dette commerciale. Plutôt que d’adopter la position du CADTM qui aurait été de répudier toutes les dettes illégitimes, Rafael Correa a préféré entrer en négociation avec les créanciers de la dette commerciale. Fort des résultats de l’audit, l’Equateur a ainsi racheté pour moins d’un milliard de dollars des bons (Bonos Global 2012 et 2030) arrivant à échéance en 2012 et en 2030 dont la valeur nominale était de 3,2 milliards de dollars, ce qui représente une économie de plus de 2,2 milliards sur le stock qui se traduit bien sûr en économie sur le service de la dette d’un montant de 300 millions de dollars pendant 20 ans, soit au total plus de 8 milliards de dollars.
Cette voie de la négociation qui n’aurait pas été celle choisie par le CADTM a toutefois donné un résultat intéressant puisque ces économies non négligeables permettent à l’Equateur d’investir dans des dépenses sociales et productives qui étaient si nécessaires.
Si le gouvernement portugais actuel est différent du gouvernement équatorien, des mobilisations populaires importantes pourrait le contraindre à adopter des mesures semblables à l’instar de ce qui serait en train de se préparer en Grèce actuellement où un appel signé par de nombreuses personnalités internationales a été lancé pour la mise en place d’un audit |25|.
L’audit dans les pays européens les plus concernés par la crise pourrait être un premier pas pour des mobilisations plus importantes à l’échelle européenne pour commencer à faire évoluer le rapport de force en faveur de ceux qui à des degrés divers subissent le système dette et les mesures néolibérales qui sont au cœur de l’offensive capitaliste. Pour cela, il est primordial que les opprimés prennent conscience de la manière dont s’organise l’offensive et de la faisabilité de mesures alternatives |26|. Il s’agit donc de dénoncer cette dette dont le caractère illégitime et manifeste ainsi que ces PPP pour que ceux qui subissent en subissent les conséquences s’organisent pour mettre en place des mobilisations avec pour mot d’ordre la revendication d’un audit. En plus de la dette illégitime mentionnée dès le début de l’article due au sauvetage des banques et aux attaques des agences de notation, on se rend compte au fil de l’article que la plus grande partie de la dette contractée dans les années 2000 pour palier aux baisses d’impôts et dans le cadre des PPP n’a pas servi les intérêts de la population portugaise. Elle est de ce fait clairement illégitime ce que l’audit pourra bien évidemment démontrer.
Certainement impulsé par l’audit en préparation en Grèce et en Irlande nous apprenons au moment de la publication de cet article que le dirigeant Jorge Costa du Bloco de Esquerda s’est prononcé samedi 7 mai en faveur d’un audit sur la dette portugaise « pour séparer le bon grain de l’ivraie |27| ». La mise en place de cet audit représenterait en tout cas un grand pas en avant pour transformer la situation.

 

Notes

|1| Avec les énormes liquidités mises à disposition par la BCE en 2008-2009 pour sauver les banques, ces banques ont acquis une part importante de la dette européenne - les statuts organisant le rôle de la Banque centrale européenne lui interdisant de prêter directement aux Etats membres de la Zone Euro -. Cela a donné aux banques privées la possibilité d’investir un nouveau secteur porteur de juteux bénéfices en empruntant auprès de la BCE à un taux de 1% et prêtent ensuite à l’Etat (le leur et d’autres Etats) et aux ménages à un taux élevé variant entre 4,5% pour les emprunts à 4 ans et 6,4% pour les emprunts à 10 ans et en admettant un taux moyen de 5,45%. Le Portugal n’est évidemment pas le seul pays à être affecté par cette situation car celle-ci s’est généralisée à la suite de la crise. Eric Toussaint, Face à la dette du Nord, quelques pistes alternatives, Infographie 2. Détenteurs étrangers des titres de la dette portugaise (fin 2008), http://www.cadtm.org/Face-a-la-dett...
|3| Voir Eugénio Rosa O estado a que Portugal chegou, porque chegou e como sair dele Contributos para o debate nacional (1ª Parte) http://resistir.info/e_rosa/estado_...
|4| Voir Eugénio Rosa “As privatizações agravaram o défice orçamental, o défice externo e as condições de vida em Portugal” http://resistir.info/e_rosa/privati...
|5| Voir la vidéo “Bê-á-Bá das Parcerias Público-Privadas” http://www.esquerda.net/dossier/b%C...
|6| Voir la vidéo Biosfera 314 “A fatura da Parque escolar” http://www.faroldeideias.com/arquiv...
|7| Bloco reivindica renegociação imediata das PPP’s http://www.esquerda.net/dossier/blo...
|8| Luis Miguel Viana, Evasão Fiscal Avaliada em Metade das Receitas Totais, http://dgi.blogs.sapo.pt/2004/04/?page=2
|12| Vasco Fraga, Un retrato de Portugal http://www.rebelion.org/noticia.php...
|13| Gwenaëlle Lenoir et Marie-Line Darcy, Au Portugal, ne dites plus « précaires » dites « reçus verts », Le Monde diplomatique, janvier 2011 http://www.monde-diplomatique.fr/20...
|15| Eugénio Rosa “Juros e lucros transferidos para o estrangeiro levam uma parcela crescente da riqueza liquida nacional” http://eugeniorosa.com/Sites/eugeni...
|16| Voir Eugénio Rosa “Uma politica de crédito não orientada para apoiar a actividade produtiva” http://eugeniorosa.com/Sites/eugeni...
|20| « Au cours de la période entre le 1er janvier 2010 et le 31 mars 2011 on a enregistré la perte de 16.941 postes de travail dans le secteur de l’administration centrale de l’Etat au sein de la fonction publique » A verdade da redução dos funcionários públicos http://desmitos.blogspot.com/2011/0...
|21| Sur le rôle du Fonds européen de stabilisation financière voir l’article d’Eric Toussaint http://www.cadtm.org/Aides-empoison...
|22| Portugal : economistas pedem inquérito contra agências de"rating" http://www.cartamaior.com.br/templa...
|23| Petição contra as agências de rating ultrapassou as 10 mil assinaturas http://www.esquerda.net/artigo/peti...
|24| En effet, en tapant « case against rating agencies » dans Google on tombe sur ce blog consacré aux valeurs mobilières des investisseurs institutionnels http://www.institutionalinvestorsec... Rien donc pour nous de bien sympathique !
|26| Voir Eric Toussaint, Huit propositions urgentes pour une autre Europe, http://www.cadtm.org/Huit-propositi...

P.-S.

Merci à Rui Viana Pereira pour son apport d’informations.

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