David Garcia
Comme chaque année, le monde du football retient son souffle lors de la remise du Ballon d’or. Créé en 1956 par le magazine France football, le trophée a récemment connu quelques bouleversements. Au départ, seuls les journalistes désignaient le vainqueur du trophée suprême, mais depuis 2010, les votes des sélectionneurs et des capitaines des équipes nationales se sont ajoutés à ceux des journalistes sportifs de tous les pays. Cette modification du mode d’attribution fait suite à un accord signé entre la Fifa et le groupe Amaury (qui possède l’Équipe et France football). Une nouvelle occasion pour la presse sportive française de rester silencieuse devant les turpitudes de la Fifa.
« Ballon d’or 2010 : Messi fait polémique » ; « Messi, un choix en question » ; « Pourquoi le Ballon d’or est allé à Messi » [1]. L’attribution du Fifa Ballon d’or France football [2] 2010 – censé récompenser le meilleur joueur de l’année – à l’argentin Lionel Messi, a semé le trouble dans les médias sportifs et généralistes européens, divisés entre pro Messi, pro Iniesta, pro Xavi et pro Sneijder... Une controverse d’opérette qui tombe à pic pour un groupe de presse en mal de lecteurs et une fédération internationale sur laquelle pèsent de forts soupçons de corruption. « Messi inaugure […] la nouvelle configuration du trophée, désormais "porté" par le partenariat conclu entre le groupe Amaury, qui édite France football, et la Fifa », exulte le directeur de la rédaction du magazine, Denis Chaumier, dans un cahier spécial paru au lendemain de la cérémonie [3].
Connivence
Le Ballon d’or, c’est un peu le festival de Cannes de la planète foot. Tout au long de ce supplément de 31 pages dignes de Point de vue, la bible des footeux magnifie le lauréat, entouré des têtes couronnées de la profession, rassemblées au palais des congrès de Zürich, à un jet de pierre du siège de la Fifa. Le récit d’« une journée si dorée » et des « principaux temps forts de ce lundi 10 janvier rythmé par un épatant défilé de stars du ballon » vaut son pesant d’or. Les envoyés spéciaux du groupe Amaury ont minutieusement reconstitué la folle journée de Zürich heure par heure (et même cinq minutes par cinq minutes, entre 19 heures 15 et 19 heures 30).
Échantillon : « 18 heures 36. La révolution, selon Sepp. Sepp Blatter [le président de la Fifa] prend la parole pour introduire une cérémonie qu’il qualifie de "révolutionnaire". C’est la première fois que la Fifa et France football joignent leurs forces ».
Six minutes plus tard : « 18 heures 42. Remerciements et présentations. Blatter conclut son discours en remerciant Marie-Odile Amaury dont dépend France football, et introduit François Morinière, directeur général de la SNC L’Équipe », qui retourne le remerciement. Émouvant échange d’amabilités entre deux « partenaires » hégémoniques chacun dans leur champ. La Fifa, dont le pouvoir n’est contesté par personne, et surtout pas par les gouvernements, qui se gardent bien de critiquer les dirigeants du sport le plus populaire ; le groupe L’Équipe, qui exerce un monopole sans partage sur la presse sportive française depuis plus de soixante ans.
Puissant au milieu des puissants, France football étale sa connivence avec les « people ». Tout sourire, Denis Chaumier pose une main amicale sur l’épaule de Lionel Messi. La légende photo place le directeur de la rédaction sur le même plan que les vedettes : « Au palais des congrès de Zurich, où s’est tenue la cérémonie du Fifa Ballon d’or, c’était l’occasion d’apercevoir de près, ou de loin, Lionel Messi avec ses acolytes barcelonais ou Denis Chaumier (le directeur de la rédaction de France football), mais aussi Cristiano Ronaldo en séance de dédicaces, Boli et Weah ou encore Platini, Mourinho et Fernandez. Toutes les familles du foot étaient de la fête ».
Et comme dans toute famille unie, on ne lave pas son linge sale en public. Lorsque le Sunday Times piège deux membres du comité exécutif de la Fifa, qui acceptaient de vendre leur voix pour l’attribution des coupes du monde 2018 et 2022, L’Équipe évoque l’affaire dans un entrefilet discret de 20 lignes bien tassées [4]. Ce manque d’empressement à scruter les dessous du foot business ne date pas du rapprochement autour du Ballon d’or. Contrairement à certains de ses homologues britanniques ou suisses qui traquent les turpitudes de la Fifa [5], le quotidien du groupe Amaury n’a jamais produit d’enquête sur la fédération internationale.
Corruption
Pourtant, la matière ne manque pas. Le 28 novembre 2010, le quotidien suisse SonntagsZeitung dévoilait une liste de noms de plusieurs membres du comité exécutif ayant reçu des « versements de plusieurs millions ». Une affaire distincte de celle évoquée précédemment ! Le lendemain, un documentaire diffusé par la BBC mettait en cause Ricardo Teixeira, le patron du football brésilien, Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine et Nicolas Leoz, le président de la confédération sud-américaine…
De son côté le journaliste qui « suit » la Fifa pour l’Équipe, Richard Porret, se tient soigneusement à l’écart des « affaires », préférant soigner son prestigieux carnet d’adresses. Ambassadeur de la candidature du Qatar à la Coupe du monde 2022, notre Zinédine Zidane national peut compter sur la bienséance de son interlocuteur : « En participant au triomphe du Qatar, Zinédine Zidane a rempli sa mission. Et quand on lui fait remarquer qu’avec l’Euro 2016, conquis par la France avec son soutien, cela lui fait un beau doublé, il lâche, dans un grand éclat de rire : "Moi, je suis un gagneur !" » [6]. « Zizou » aurait en effet gagné 11 millions d’euros. Une information jugée sans intérêt par Richard Porret, qui s’est abstenu d’interroger l’ancien numéro 10 sur sa rémunération.
Soyons juste, la désignation du Qatar n’a pas suscité une approbation sans réserve de L’Équipe, qui s’est même laissé aller à une amorce de critique. « La désignation très contestable du petit émirat pour recevoir le Mondial jette une nouvelle ombre sur le mode de gouvernance de la Fifa », écrit le quotidien dans son édition du 4 décembre. Et de préciser sans ambiguïté : « La Chine, candidate déclarée à la Coupe du monde 2026, peut être sereine : aux yeux de la Fifa, les droits de l’homme comptent peu, ou pas. En tout cas beaucoup moins que les gains financiers ». L’article est signé des initiales d’un certain « RD ». Comme si une telle audace ne pouvait être complètement assumée. Richard Porret était peut-être en vacances…
Ce dernier s’est rattrapé quelques jours plus tard. « Deux membres du comité exécutif de la FIFA ont été suspendus. Comment comptez-vous lutter contre la corruption ? » [7]. La question s’adresse à Sepp Blatter, qui s’exprime dans le cadre d’une interview. « Je tiens d’abord à préciser que les deux membres en question n’ont pas été sanctionnés pour corruption, mais pour manquement au code de l’éthique. […] Si on trouve deux ou trois cas de corruption, ce qui arrive aussi dans d’autres activités, je pense que ce n’est que le reflet d’un phénomène de société », répond le président de la Fifa. Aucune relance de Richard Porret.
Entre « partenaires », on se comprend…
Connivence
Le Ballon d’or, c’est un peu le festival de Cannes de la planète foot. Tout au long de ce supplément de 31 pages dignes de Point de vue, la bible des footeux magnifie le lauréat, entouré des têtes couronnées de la profession, rassemblées au palais des congrès de Zürich, à un jet de pierre du siège de la Fifa. Le récit d’« une journée si dorée » et des « principaux temps forts de ce lundi 10 janvier rythmé par un épatant défilé de stars du ballon » vaut son pesant d’or. Les envoyés spéciaux du groupe Amaury ont minutieusement reconstitué la folle journée de Zürich heure par heure (et même cinq minutes par cinq minutes, entre 19 heures 15 et 19 heures 30).
Échantillon : « 18 heures 36. La révolution, selon Sepp. Sepp Blatter [le président de la Fifa] prend la parole pour introduire une cérémonie qu’il qualifie de "révolutionnaire". C’est la première fois que la Fifa et France football joignent leurs forces ».
Six minutes plus tard : « 18 heures 42. Remerciements et présentations. Blatter conclut son discours en remerciant Marie-Odile Amaury dont dépend France football, et introduit François Morinière, directeur général de la SNC L’Équipe », qui retourne le remerciement. Émouvant échange d’amabilités entre deux « partenaires » hégémoniques chacun dans leur champ. La Fifa, dont le pouvoir n’est contesté par personne, et surtout pas par les gouvernements, qui se gardent bien de critiquer les dirigeants du sport le plus populaire ; le groupe L’Équipe, qui exerce un monopole sans partage sur la presse sportive française depuis plus de soixante ans.
Puissant au milieu des puissants, France football étale sa connivence avec les « people ». Tout sourire, Denis Chaumier pose une main amicale sur l’épaule de Lionel Messi. La légende photo place le directeur de la rédaction sur le même plan que les vedettes : « Au palais des congrès de Zurich, où s’est tenue la cérémonie du Fifa Ballon d’or, c’était l’occasion d’apercevoir de près, ou de loin, Lionel Messi avec ses acolytes barcelonais ou Denis Chaumier (le directeur de la rédaction de France football), mais aussi Cristiano Ronaldo en séance de dédicaces, Boli et Weah ou encore Platini, Mourinho et Fernandez. Toutes les familles du foot étaient de la fête ».
Et comme dans toute famille unie, on ne lave pas son linge sale en public. Lorsque le Sunday Times piège deux membres du comité exécutif de la Fifa, qui acceptaient de vendre leur voix pour l’attribution des coupes du monde 2018 et 2022, L’Équipe évoque l’affaire dans un entrefilet discret de 20 lignes bien tassées [4]. Ce manque d’empressement à scruter les dessous du foot business ne date pas du rapprochement autour du Ballon d’or. Contrairement à certains de ses homologues britanniques ou suisses qui traquent les turpitudes de la Fifa [5], le quotidien du groupe Amaury n’a jamais produit d’enquête sur la fédération internationale.
Corruption
Pourtant, la matière ne manque pas. Le 28 novembre 2010, le quotidien suisse SonntagsZeitung dévoilait une liste de noms de plusieurs membres du comité exécutif ayant reçu des « versements de plusieurs millions ». Une affaire distincte de celle évoquée précédemment ! Le lendemain, un documentaire diffusé par la BBC mettait en cause Ricardo Teixeira, le patron du football brésilien, Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine et Nicolas Leoz, le président de la confédération sud-américaine…
De son côté le journaliste qui « suit » la Fifa pour l’Équipe, Richard Porret, se tient soigneusement à l’écart des « affaires », préférant soigner son prestigieux carnet d’adresses. Ambassadeur de la candidature du Qatar à la Coupe du monde 2022, notre Zinédine Zidane national peut compter sur la bienséance de son interlocuteur : « En participant au triomphe du Qatar, Zinédine Zidane a rempli sa mission. Et quand on lui fait remarquer qu’avec l’Euro 2016, conquis par la France avec son soutien, cela lui fait un beau doublé, il lâche, dans un grand éclat de rire : "Moi, je suis un gagneur !" » [6]. « Zizou » aurait en effet gagné 11 millions d’euros. Une information jugée sans intérêt par Richard Porret, qui s’est abstenu d’interroger l’ancien numéro 10 sur sa rémunération.
Soyons juste, la désignation du Qatar n’a pas suscité une approbation sans réserve de L’Équipe, qui s’est même laissé aller à une amorce de critique. « La désignation très contestable du petit émirat pour recevoir le Mondial jette une nouvelle ombre sur le mode de gouvernance de la Fifa », écrit le quotidien dans son édition du 4 décembre. Et de préciser sans ambiguïté : « La Chine, candidate déclarée à la Coupe du monde 2026, peut être sereine : aux yeux de la Fifa, les droits de l’homme comptent peu, ou pas. En tout cas beaucoup moins que les gains financiers ». L’article est signé des initiales d’un certain « RD ». Comme si une telle audace ne pouvait être complètement assumée. Richard Porret était peut-être en vacances…
Ce dernier s’est rattrapé quelques jours plus tard. « Deux membres du comité exécutif de la FIFA ont été suspendus. Comment comptez-vous lutter contre la corruption ? » [7]. La question s’adresse à Sepp Blatter, qui s’exprime dans le cadre d’une interview. « Je tiens d’abord à préciser que les deux membres en question n’ont pas été sanctionnés pour corruption, mais pour manquement au code de l’éthique. […] Si on trouve deux ou trois cas de corruption, ce qui arrive aussi dans d’autres activités, je pense que ce n’est que le reflet d’un phénomène de société », répond le président de la Fifa. Aucune relance de Richard Porret.
Entre « partenaires », on se comprend…
Notes
[1] Respectivement, TF1.fr, Sports.fr, L’Express.fr, le 11 janvier 2011.[2] La Fifa est la Fédération internationale de football association et le bihebdomadaire France football, qui paraît le mardi et le vendredi, appartient à la SNC (société en nom collectif) L’Équipe.
[3] L’Équipe-France football du 11 janvier 2011.
[4] L’Équipe du 21 octobre 2010, « La Fifa en pleine tourmente ».
[5] Voir notre article sur la coupe du monde. Le journaliste britannique Andrew Jennings a publié un livre sur le système de corruption de la Fifa : « Carton rouge », Presses de la Cité, 2006.
[6] L’Équipe du 3 décembre 2010.
[7] L’Équipe du 9 décembre 2010.
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