Mondialisation.ca, Le 21 janvier 2011
Une caméra cachée, deux protagonistes, tous deux ministres : Ilir Meta et Dritan Prifti. La qualité est plus que médiocre, des sous-titres sont nécessaires pour qu’on comprenne ce qui se dit. L’échange, compromettant, implique de hauts fonctionnaires de l’administration Berisha. Le grand public n’est pas à même de juger de l’authenticité de ce document, qui nécessite l’expertise d’un spécialiste. S’il est authentifié par les organes idoines, un tribunal par exemple, ce document devrait toutefois signer la chute du gouvernement et de l’actuelle coalition entre le Parti démocratique (PD) et le Mouvement socialiste pour l’intégration (LSI).
Cependant, il n’est guère besoin d’être un expert pour constater que cette vidéo a été enregistrée en mars 2010, ce qui laisse la voie ouverte aux spéculations les plus larges sur les raisons de la longue attente qui a précédé sa diffusion, sur l’identité de son réalisateur et propriétaire, sur son utilité réelle. Le contenu de la conversation, mais aussi la manière de l’avoir enregistrée, de l’avoir gardée secrète jusqu’à aujourd’hui, tout cela fait partie d’une « zone grise » où loi et illégalité s’entrechoquent. Il faut que transparence soit faite.
Cela signifie que même si l’échange a réellement eu lieu comme il nous a été présenté et si la chaîne qui l’a diffusé l’a fait au nom d’une obligation morale citoyenne de servir la transparence institutionnelle, l’utilité du démasquage public de ces deux hauts fonctionnaires corrompus doit être mesurée à l’aune de la nuisance tout aussi publique que provoque cette manière de piéger les hommes de pouvoir et les institutions. En fin de compte, une chaîne de télévision qui utilise des enregistrements secrets et des écoutes illégales n’a pas de mandat légitime des électeurs ou du Parlement pour le faire.
Quand un média privé se donne un rôle de pourfendeur des irrégularités voire de justicier, en identifiant les coupables et les corrompus, par des écoutes secrètes, obtenues on ne sait comment, cela signifie que l’activité institutionnelle normale dans ce pays, telle que définie par la Constitution, ne fonctionne plus. Ce genre d’actions devient dès lors une forme d’attentat informel envers un pouvoir qui ne remplit plus son rôle.
Dans un État qui se veut un Etat de droit, la transparence, vertu de la communication entre les institutions et le public, ne peut être assurée par la domination des médias privés ou par des écoutes non autorisées par les tribunaux. Un succès tactique de l’opposition, comme peut l’être le départ de la scène politique du chef du LSI et vice-Premier ministre Ilir Meta, ne justifie pas l’impasse où s’engouffre la société civile, incitée à cautionner et à soutenir une justice obtenue par des méthodes illégales ou la chute brutale de n’importe quel haut fonctionnaire.
Il faut souligner que la responsabilité de ce triste état des institutions et de la justice albanaise incombe indubitablement au gouvernement Berisha et au Parlement dominé par la majorité démocrate. Ce dernier est devenu un théâtre de boulevard, où des députés irresponsables et un Premier ministre arrogant tiennent le haut du pavé devant les organes dirigeants d’une institution complètement endormie. Sur un plan plus théorique, tous les acteurs politiques sont responsables du régime « partitocratique » qui s’est installé en Albanie, y compris l’opposition socialiste.
C’est cette paralyse institutionnelle, cette situation habituelle de jeu d’échecs entre les acteurs politiques, qui légitime, du moins aux yeux de l’opinion publique, des tentatives normalement condamnables comme celle à laquelle nous venons d’assister, qui permet aux médias privés de s’imposer comme un quatrième pouvoir par le biais de moyens douteux et invérifiables.
Ce régime, établi progressivement mais sûrement, catalyse et favorise l’ascension jusqu’aux plus hauts niveaux du pouvoir et de l’État d’individus à la morale corrompue, à la biographie entachée d’activités peu scrupuleuses, voire flirtant avec la criminalité. D’un autre côté, des méthodes de guerre politique comme celles qu’utilisent nos médias en créant un pouvoir parallèle et obscur, relèvent, fondamentalement, du modus operandi propre aux criminels et aux enquêtes policières.
L’Albanie ne peut rien tirer de positif de cette vidéo. Elle ne fera pas disparaître les autres fonctionnaires corrompus du sommet de l’État, malgré leur crainte d’être ainsi découverts par des écoutes et des caméras cachées. Tant que la culture et la technique politique des élites ne changera pas, on devra compter avec des personnages qui brilleront par leur aptitude à manœuvrer pour éviter les pièges et à négocier à leur avantage le destin des documents compromettants tombés aux mains de leurs détracteurs.Article original : http://www.shekulli.com.al/
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