Fin novembre, l'association « Nos quartiers ont des talents » fêtait ses cinq ans à Disneyland-Paris. Co-fondée en 2005 par Yazid Chir (Medef 93) et Claude Bébéar, elle est censée, depuis, aider les jeunes des quartiers populaires à trouver du travail. Ces premières rencontres avaient pour but de rapprocher étudiants et entreprises. Près de 5000 jeunes s’y sont rendus mais beaucoup sont repartis bredouille. Reportage.
Un jeu télévisé grandeur nature ou un bal de charité ? Le show en tous les cas était bien rôdé. Avec des prix à gagner. Trois écrans géants. Un animateur télé, Nicolas Rossignol, ancien chroniqueur de Julien Courbet. Le décor ? Il fleure bon le carton-pâte. Le bâtiment imposant imite le style de la côte de la Nouvelle-Angleterre de la fin du XIXème siècle. Bienvenue au Disney’s New Port Bay Club, un des cinq hôtels de Disneyland-Paris. C’est ici, au milieu des touristes fervents de féérie consumériste, que l’association « Nos quartiers ont des talents » a choisi d’organiser ses premières rencontres nationales les 23 et 24 novembre dernier. « Deux jours pour faire découvrir l’évolution des métiers aux jeunes universitaires de la Licence au Master », annonce la plaquette.
Par petits groupes, les jeunes diplômés venus de toute l’Ile-de-France descendent du bus qui fait la navette entre la gare de Marne-la-Vallée et l’hôtel. A l’entrée, ils doivent s’inscrire. En échange, ils reçoivent un badge, un sac en toile, un stylo et un dossier de présentation de l’association. Les 1000 premiers inscrits gagnent une entrée gratuite à Disneyland. Dans la grande salle des congrès, rien n’a été négligé. Une haie d’honneur permet à l'animateur de déambuler et d'y convoquer ses invités : les présidents d'honneur de Nos quartiers ont des talents : Laurence Parisot (deuxième en partant de la droite), présidente du Medef, et Claude Bébéar (premier en partant de la droite), ex-PDG d’Axa, suivis par Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d’université, Charles H. Rivkin ambassadeur des Etats-Unis en France (au milieu) ou encore Jeannette Bougrab la nouvelle secrétaire d’Etat à la jeunesse et à la vie associative. Sans compter la flopée de dirigeants d’entreprise du CAC 40 et de représentants de grandes enseignes, participants aux débats : Lagardère, Orange, Carrefour, Disneyland, LVMH, Société Générale, BNP Paribas... Au menu : « Comment mettre toutes les chances de votre côté ? Les grands patrons vous répondent. » ; « Université : quelle filière choisir ? » ; « Les grands patrons rencontrent les étudiants ». Au menu encore : les mérites de la réussite individuelle, les vertus de la bonne orientation professionnelle et des parcours d’excellence.
Des facs aux ordres du patronat
Pendant les deux journées, d’après l’association, environ 5000 jeunes, étudiants en Licence, Masters et jeunes diplômés ont fait le déplacement. La plupart ont été informés par leur université, par leur professeur et plus qu’incité à y participer. Parmi les jeunes interrogés, certains ont été obligé par leurs professeurs sous peine de sanction notée. « Notre professeur a banalisé la journée pour nous permettre de venir. Elle nous a dit que notre présence ici comptait comme une note», témoigne un jeune étudiant en informatique. D’autres encore, ont été encouragés avec comme carotte des places d’entrée à Disneyland. En réalité, seuls les 1000 premiers y ont eu droit… Enfin, nous croisons trois étudiants en électromécanique, un brin affolés. Alpha, Gabriel et Ellies doivent rendre un devoir à partir de questions posées aux recruteurs dans le domaine de la robotique. Sauf que, les entreprises présentes aux rencontres sont pour l’essentiel des banques et des grandes enseignes… « On n’a rien à faire ici. On ne comprend pas pourquoi la prof nous a fait venir. » Partenariat oblige ? Sans doute. « Nos quartiers ont des talents » a conclu des partenariats officiels avec Paris 13, Paris 8, Evry, Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise et Paris Est Créteil. A l’occasion de ces premières rencontres, le Medef et la Conférence des présidents d’université (CPU) ont signé une convention cadre pour se rapprocher encore un peu plus. Lionel Collet (à gauche sur la photo), ancien président de la CPU, ainsi que Simone Bonnafous, présidente de l’Université Paris 12, étaient de la partie. Ce nouvel accord, découlant de la loi LRU de 2007, n’a pas choqué grand monde. Seule l’Union des étudiants communistes a réagi en pointant les dangers d’un tel accord : la soumission de l’enseignement supérieur et de la recherche aux intérêts des entreprises privées. Marion Guenot, secrétaire nationale de l’UEC, ajoute : « Tout ceci intervient sur fond d’entrée de capitaux privés par le biais des fondations, instaurant le mécénat entrepreneurial au sein des Universités ».
Si ce genre de manifestations ne permet vraisemblablement pas à une majorité de jeunes diplômés de trouver un stage ou un emploi, elle leur inculque en revanche l'idée qu'ils devront s'adapter coûte que coûte aux exigences du marché du travail et qu’ils devront choisir leurs filières en fonction des besoins des entreprises. Raynald Rimbault, délégué général du Medef 93 Ouest et co-fondateur de « Nos quartiers ont des talents » le dit ouvertement : « Nous voulons ici leur dire : attention si vous prenez telle ou telle filière vous risquez d’avoir quelques petits soucis parce que ce n’est pas cette filière que recrutent les entreprises ». Les entreprises jouent alors les conseillères d’orientation en pointant « les métiers d'avenir », « les filières qui recrutent de façon durable » ou encore « les jobs de demain ».
Au sous-sol du New Port, dans la halle d’exposition, les stands des entreprises partenaires ont déployé leurs slogans. Sur les tables, une orgie de gadgets : bonbons, stylos, chewing-gum, porte-clés… Dès le mardi midi, des centaines de jeunes tirés à quatre épingles font la queue pour décrocher un entretien avec les représentants des enseignes. Djamila (1), tailleur gris et chaussures à talons, est sur son 31. Elle attend son tour pour s’entretenir avec des recruteurs de BNP-Paribas : « Je suis diplômée dans les ressources humaines à Paris 13 et j’espère avoir des entretiens concrets avec des vraies propositions de poste. Je viens pour me faire un réseau que je n’ai pas forcément ». Quelques semaines après, Djamila raconte qu’elle n’a eu aucun retour même si elle a pu déposer quelques C.V : « On a fait un point avec les autres étudiants et on a été déçus. Les entretiens avec les banques et les assurances n’étaient pas ciblés. Les chargés de recrutement nous ont bien accueilli mais ne nous ont pas donné leurs coordonnées. Certains forums pour l’emploi font vraiment du recrutement. D’autres sont là pour faire leur publicité. A force d’ y aller, on le sent tout de suite si c’est sérieux ou pas ». Un peu plus loin, Mohamad est, lui, titulaire d’un Master 2 « Banque Gestion ». Depuis sa sortie de l’université, il traque les annonces, déposent des C.V. Sans succès. « Malheureusement avec la crise, on me dit qu’il y a peu de travail dans mon domaine. Alors, je viens ici en espérant saisir une opportunité. En attendant, je fais de l’intérim. »
Cours de maquillage et confiance en soi
En face de l’espace Disneyland, on bute sur celui de LVMH. Le « leader mondial du luxe » a installé un alignement de miroirs de loge où de jeunes maquilleuses s’affairent. Une formation express au métier de maquilleuse ? Que nenni. Christian Sanchez, directeur du développement social LVMH, explique : « Tout le monde a le sentiment que face à une situation de recrutement, on n’est pas parfait. Ben nous on leur dit : vous avez plein de choses qui vont bien sur vous, mettez-les en valeur et vous allez voir que vous irez au recrutement avec un moral de vainqueur.» Patel et Bhavsar sont étudiantes en master 2 management international à l’université de Paris 12 (Est Créteil). Après avoir passé leur matinée à déambuler de stand en stand pour tenter de décrocher un stage de six mois, elles font la queue pour s’entretenir avec un responsable de Lagardère. « Ca ne donne rien de concret. A chaque fois, on nous oriente vers les sites internet. On voit bien que les entreprises sont surtout ici pour faire leur publicité », tranche Patel, qui a décidé de partir en Angleterre en février pour y tenter sa chance. Jenna en troisième année d’administration économique et sociale à Paris 3 fait figure d’exception. Elle est venue « juste pour voir » et non seulement elle a trouvé un job étudiant dans une boutique de Disneyland mais elle fait partie des 1000 heureux gagnants d’une place gratuite pour le parc d’attraction.
Entre 2005 et 2010, l'association annonce avoir fait bénéficier 5000 jeunes d'un suivi personnalisé par 2500 parrains et marraines. Sur ces 5000, 3500 ont trouvé un travail et 60 % d’entre eux « dans les six mois et pour un emploi à la hauteur de leurs compétences ». Dans son discours d’introduction, Laurence Parisot déborde d’optimisme : « Si l'on peut trouver des solutions qui changent les choses en profondeur, à l'image de celle engagée par Nos quartiers ont des talents, alors nous arriverons à résoudre la plupart des problèmes de notre société ». En profondeur ou en surface ? Telle est la question. Changer les choses en surface forcément, parce qu'ils sont beaucoup d'appelés et peu d'élus. Dans un avis rendu en 2008 par Fodé Sylla au Conseil économique et social sur « l’emploi des jeunes des quartiers populaires », le taux de chômage s’élève à 15 % pour les hommes diplômés en zones urbaines sensibles et à 11,1 % pour les femmes diplômées. Le rapport poursuit : « À qualification égale, les actifs résidant en ZUS éprouvent des difficultés d’accès aux emplois supérieurs plus importantes que dans les autres quartiers. »
Au détour d’une allée, une représentante de Lagardère s’adresse à une jeune femme : « Malheureusement, on n’est pas en phase massive de recrutement et les stages, c’est full. Sur Europe 1, il y a plus de possibilités de stages, renseignez-vous. Car chaque groupe opère son propre recrutement. » La jeune femme, c’est Bernadette, étudiante en Licence 3 de sociologie. Elle voudrait s’orienter dans le journalisme et faire des stages. « On m’avait dit que « Nos quartiers ont des talents » était une bonne association. Je pensais pouvoir passer directement mon C.V à un recruteur de Lagardère. Mais ça ne marche pas comme ça. Ils ne nous disent pas non mais ils nous conseillent d’aller voir sur leur site. Ils restent polis, ils nous sourient ... » Vincent, Tarik, Mehdi, Fabien, Sharon et Lindsey sont étudiants en Licence Administration des entreprises à l’université d’Evry. Ils se sont donc rendus aux Rencontres de « Nos quartiers ont des talents » sur les fortes recommandations d’un de leur professeur. « On a vu des conseillers de banque qui nous ont expliqué comment améliorer nos C.V… Ils étaient accueillants quand même », tempère Lindsey. « On a parlé avec un monsieur de la BNP, dont on ne connaissait pas la fonction. Je lui ai demandé si le fait d’être dans une université de banlieue comme Evry pouvait nous pénaliser. Il nous a dit que non. Ca m’étonne quand même… s’interroge Vincent. Et puis sur la plénière du matin, on n’a pas vraiment compris pourquoi ils parlaient des commerciaux. Nous on voulait plutôt voir comment ils valorisent les talents de banlieue.»
Ixchel Delaporte
(1) Le prénom a été changé
http://quartierspop.over-blog.fr/article-chez-disney-la-com-du-medef-fait-pschitt-65090435.html
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