Trouver des témoins de moralité quand vous avez six ans n’est pas chose facile. Mais, au conseil de discipline de l’école, la semaine dernière, Zachary Christie était entouré de son entraîneur de karaté et du compagnon de sa mère, venus répondre de lui.
Le crime de Zachary ? Avoir apporté à l’école un petit objet qu’utilisent les louveteaux et qui peut servir de couteau, de fourchette et de cuillère . Il était si content d’être chez les scouts qu’il voulait l’utiliser pour manger son repas de midi. L’administration a jugé qu’il avait violé la politique de zéro-tolérance de l’école sur les armes et Zachary risque maintenant de passer 45 jours dans un centre pour jeunes délinquants du secteur. (tiré de : It’s a Fork, It’s a Spoon, It’s a … Weapon ? NYTimes.com)
Quelle leçon peut-on tirer de cet incident concernant la politique étrangère des Etats-Unis ? Beaucoup en réalité.
Quand une tragédie se produit dans ce pays, (par ex, des avions qui s’écrasent sur des tours ou deux jeunes gens qui tirent sur tout ce qui bouge dans leur école), les Américains réagissent systématiquement de cette façon :
2 – ils croient tout ce que raconte l’élu qui crie le plus fort
3 – ils en attribuent la responsabilité à un coupable désigné, bien pratique, mais souvent pas le véritable coupable
4 – ils adhèrent à une politique gouvernementale de l’émotionnel hyper-totalitaire.
5 – ils reprennent la liste depuis le début au drame suivant
Cette liste est valable pour l’hystérie qui a suivi le 11 sept. mais elle s’applique aussi à l’Amérique de l’après-Columbine.
La politique de la tolérance zéro a fait son apparition après la série de fusillades dans les lycées. Comme d’habitude, les écoles n’ont pas cherché à analyser sérieusement quel contexte scolaire (y compris en ce qui concerne les sectes hiérarchiques et la violence fréquente) inspire ces atrocités. Au lieu de cela, les écoles ont suivi toutes les étapes, de la 1 jusqu’à la 5, et préféré opter pour un état hyper-totalitaire à l’intérieur d’un état où les enfants sont tous considérés comme suspects, le petit Zachary Christie inclus.
Vraiment, le Delaware ? Ce petit de six ans va poignarder quelqu’un avec son petit couteau suisse ? Des politiques aussi intolérantes et réactionnaires détournent l’attention des véritables problèmes qui affectent l’école : les résultats faibles aux tests de connaissances, les réductions budgétaires, la violence, etc.
Dans "Going Postal", l’auteur, Mark Ames, s’intéresse au phénomène des fusillades dans les écoles et sur les lieux de travail aux US, mais au lieu d’en faire porter la responsabilité à ce qui saute aux yeux (mais faux), comme Marilyn Manson, Ames se livre à une analyse beaucoup plus approfondie.
Il explique que la violence moderne dans les écoles et sur les lieux de travail est apparue peu après la mise en place de la politique économique de Reagan (appelée "Reaganomics") dans les années 1980 quand le fossé entre les riches et les pauvres s’est creusé davantage, et que Reagan a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider ses amis, les patrons des grandes entreprises, en baisant les travailleurs. C’est ainsi que s’est développée une culture de l’entreprise où les Américains travaillent plus pour gagner moins d’argent. Ils n’ont pas la sécurité de l’emploi, sont submergés de dettes, et de temps en temps, il y en a un qui craque et qui mitraille ses collègues.
Ames affirme – de façon convaincante – que les massacres dans les bureaux et les cours d’écoles sont les rébellions d’esclaves des temps modernes. L’oppression et l’exploitation outrancières qui constituent la nature de l’hyper-capitalisme, la castration des syndicats, et les ravages produits sur les travailleurs, les quartiers, les communes et la société toute entière ont abouti à une culture de peur et de violence. Si "Bowling For Columbine" mettait en cause les armes, Ames, lui, accuse cette culture qui comporte des politiques réactionnaires, comme la tolérance zéro, qui font finalement souffrir des innocents comme Zachary alors que les véritables causes de notre société malade ne sont pas traitées.
Même si on ne croit pas à la théorie "c’est la faute à Reagan", la solution d’Ames de traiter le mal et pas simplement les symptômes, est suffisamment intéressante pour qu’on tente quelque peu de la mettre en œuvre. L’autre méthode, c’est-à-dire celle qui consiste actuellement à traiter les travailleurs et les élèves comme des suspects, est une excellente façon d’engendrer davantage de paranoïa, de peur et de violence.
Si les enfants n’étaient pas déjà prêts à craquer avant, une journée à subir les inspections des cartables, les contrôles au détecteur de métaux, et les fouilles de casiers ne peut que les inciter, au moins, à détester l’école, voire à entretenir le fantasme de liquider leurs oppresseurs.
Mais ce problème ne concerne pas seulement les écoles et les lieux de travail. C’est la société toute entière qui est malade, ce qui explique que bien que le budget militaire des Etats-Unis soit pratiquement aussi élevé que celui du reste du monde réuni et représente plus de 9 fois celui de la Chine, la population aux US est plus inquiète, plus parano que jamais.
Le monde entier est contre nous, nous dit-on. Le monde entier déteste notre liberté, et notre culture extraordinaire. La Chine veut nous passer devant. Tout le Moyen-Orient veut nous voir morts. Les Européens se moquent de nous, et pensent que nous sommes stupides. Les empereurs manchots sont en train de manigancer quelque chose. Le Canada est sur le point de nous attaquer.
Et puis, il y a l’Iran. Ne nous branchez surtout pas là-dessus.
Tant que les Américains ne décideront pas de se défaire de cette addiction à "La Liste", ce cycle d’irrationalité se poursuivra dans un avenir prévisible. Hélas, il ne semble pas que la population ou ses élus se rappellent les erreurs catastrophiques qui ont abouti à l’invasion de l’Irak parce qu’ils refont exactement la même chose avec l’Iran.
Vérifions "La Liste" :
Les Américains sont morts de trouille. Oui.
Ils croient ce que leur disent les élus qui braillent le plus (à savoir que l’Iran est une menace imminente pour l’Amérique). Oui.
Ils adhèrent à une politique gouvernementale de l’émotionnel hyper-totalitaire. D’après l’institut de sondage Pew, une forte majorité – 61% - de la population dit qu’il est plus important d’empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires, même si cela doit se traduire par des actions militaires. Oui.
La population, semble-t-il, n’attend qu’une fausse confrontation pour soutenir une offensive contre un pays de 65 millions d’habitants (dont plus des deux tiers sont âgés de moins de 30 ans). Ca fait peur.
Plutôt que de se pencher sérieusement sur le comportement agressif de leur pays impérialiste, les Américains s’empressent d’accuser les Iraniens de poursuivre leur programme nucléaire. Pourquoi n’en auraient ils pas le droit ? L’Iran a besoin d’électricité, et concernant sa défense, comment un pays est-il censé réagir quand un pays occidental psychotique a envahi le pays voisin il y a six ans ? En déposant les armes, ou en renforçant son système de défense ?
Il serait complètement suicidaire de la part des dirigeants iraniens de bombarder Israël ou un autre pays, car les Etats-Unis peuvent les réduire en miettes. Mais cette évidence n’est jamais évoquée.
Un autre sujet qui ne revient jamais sur le tapis, c’est qu’Israël détient des armes nucléaires. Et en abondance. Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles, Israël possèderait entre 60 et 400 armes thermonucléaires. Et donc l’Iran a des ennemis dangereux dans tous les coins.
S’il s’agissait de n’importe quel autre pays, les Etats-Unis les applaudiraient sans doute de vouloir défendre leurs frontières. Hélas, l’Iran fait partie de "l’Axe du Mal", et donc, nous faisons comme si Israël n’avait pas d’armes nucléaires (achetées avec l’argent du contribuable US) et que l’Iran n’avait aucun droit de protéger ses citoyens. En conséquence, la solution diplomatique ou la politique de l’endiguement sont considérées comme des notions gentilles et idéalistes mais le slogan : " bomb, bomb, bomb" (bombardons-les) ne cesse de noyer tout discours rationnel.
Zachary Christie ne doit pas être envoyé dans un centre pour jeunes délinquants. Ses parents devraient lui expliquer fermement que les couteaux ne sont pas des jouets. "La tolérance zéro" est une idée stupide, qu’on ait affaire à un enfant ou à une population de 65 millions de personnes. Montrer de la tolérance, c’est une bonne chose surtout quand on a affaire à des enfants, qui font des bêtises, certes, mais à qui on doit laisser leurs chances. Les écoles ne sont pas des camps d’entrainement disciplinaires et il faut montrer aux enfants qu’on les comprend et qu’on les aime, sinon, ils ne manifesteront pas de gentillesse vis-à-vis de leurs concitoyens une fois devenus adultes. Si on ne leur manifeste que de la cruauté et de l’intolérance, ils reproduiront alors ce schéma et quand ils seront grands, ils adhéreront au parti républicain.
De la même façon (mais à une bien plus grande échelle), les Etats-Unis ne doivent pas bombarder l’Iran. Il faut privilégier la solution diplomatique, et les Etats-Unis doivent cesser de jouer les gendarmes du monde. Tout le monde doit reprendre ses esprits parce que jusqu’à présent, mourir de trouille et bombarder la planète, cela ne nous a pas apporté la paix. Laissons une chance aux discours rationnels et à l’examen de conscience.
Notes annexes :
En savoir plus sur l’affaire Zachary Christie (en anglais)
http://www.huffingtonpost.com/dr-ti...
Cette histoire a fait le tour des Etats-Unis et un site de soutien à Zachary a été créé.
http://www.helpzachary.com/
Epilogue : finalement, le conseil d’administration de son district scolaire a voté à l’unanimité un amendement stipulant que les élèves les plus jeunes ne seraient pas envoyés dans des centres pour jeunes délinquants. Cette mesure s’appliquerait aux enfants qui sont en maternelle ou en CP.
Restent les autres, évidemment. Et dans d’autres districts scolaires du pays.
Quel gâchis ! Des adultes, à qui on confie les décisions sur l’éducation d’enfants de tous âges, qui ne savent traiter les problèmes qu’en distribuant des sanctions disproportionnées en appliquant à la lettre des textes stupides et démagogiques pondus par des réactionnaires.
Gâchis aussi parce que ces gens-là ont, finalement, et heureusement, été désavoués. Mais, comment pourront-ils ensuite être crédibles et respectés par des enfants à qui on a donné raison ?
Cela se passe aux Etats-Unis, certes, mais la politique qui est actuellement menée en France pourrait bien nous conduire à cela. Par certains côtés, on y est, d’ailleurs.
Le Grand Soir - 18.10.09
Sem comentários:
Enviar um comentário