À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

22/06/2009

OGM : comment ils conquièrent le monde

Antoine de Ravignan

Rejetées par une majorité de citoyens européens, les cultures transgé­niques n'ont que marginalement pris pied sur le Vieux Continent: 108 000 hectares en 2008 dans sept pays de l'UE, dont les trois quarts en Espagne. Mais elles se sont imposées ailleurs.

Elles occupaient l'an dernier 125 millions d'hectares dans vingt-cinq Etats, soit près de 8% des terres cultivées de la planète. Et même si les Etats-Unis, l'Argentine et le Bré­sil sont très loin devant, elles avancent rapidement en Asie et en Afrique.

Aujourd'hui, les organismes génétiquement modifiés (OGM) se résument en pratique à trois cultures: soja, maïs et coton. Mais celles-ci jouent un rôle clé dans l'économie et, surtout, dans l'alimentation de la planète. Ainsi, 40% des superficies consacrées aux grandes cultures (céréales, oléagineux) sont destinées à l'élevage. Et le couple soja-maïs, qui prédomine dans l'alimen-tation animale, est aujourd'hui largement transgé­nique: 70% de la production mondiale dans le cas du soja.

Pourquoi les OGM tendent-ils à devenir la norme mondiale pour ces cultures... sauf dans l'UE? Le poids de l'opinion a été déterminant. Un rare sondage international, effectué en 2000 par un institut canadien dans 34 pays sur cinq continents (1) fait apparaître des taux d'acceptation inférieurs à 42% dans les pays européens (mais également au Japon ou en Russie), et supérieurs à 65% aux Etats-Unis, en Chine, en Inde. D'autres grands pays paraissaient majoritairement favorables aux OGM, comme le Brésil, le Canada, les Philippines ou le Mexique. Entre les Etats-Unis (50% des OGM cultivés dans le monde) et l'UE (0,1%), les sondages continuent de confirmer ce grand écart des opinions, reflet entre autres d'attitudes différentes vis-à-vis de l'innovation et du risque, de l'alimentation et des valeurs qui y sont attachées ou non.

Mobilisation et expertise associatives

Mais l'exception européenne ne s'explique pas seulement par la réticence d'opinions publiques, qui peuvent par ailleurs se montrer nettement favora-bles (Espagne, Portugal, Irlande, Bulgarie et Malte). Face au lobbying des firmes semencières, celui des associations anti-OGM a été efficace et a poussé les décideurs à adopter des législations bien plus restrictives qu'en dehors de l'UE. Organisées, dotées d'une réelle capacité d'expertise, présentes dans les médias, légitimes auprès d'une grande partie de la population, ces associations ont pesé lourd dans le débat public, interpellant les élus et mobilisant les électeurs sur ce sujet. Au final, il n'y a guère que dans l'UE que tous ces ingrédients - une opinion globalement réticente, des associations puissantes et des institutions plutôt démocratiques - se sont trouvés réunis et ont combiné leurs effets.

Repères:Les citoyens n'ont pas vraiment le choix

La directive européenne de 2001 impose l'étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM, un acquis de la mobilisation citoyenne en Europe. Sauf à se nourrir bio (et à en payer le prix), cette législation sur l'étiquetage, unique au monde, ne laisse pas pour autant au consommateur le libre choix de bannir les OGM de son alimentation. En effet, les produits des animaux (viandes, lait, oeufs, fromages) qui sont nourris au soja OGM échappent à cette réglementation: ils ne sont pas transgéniques. Or c'est bien là l'enjeu principal: les OGM que l'Europe importe massivement (et produit très marginalement) sont quasiment exclusivement destinés à l'alimentation animale. La situation va-t-elle évoluer ? Le 3 avril dernier, en France, le Conseil national de la consommation s'est prononcé en faveur d'un étiquetage "Nourri sans OGM" sur la viande et le lait, qui a fait son apparition en Allemagne. De belles batailles en perspective avec les Américains (du Nord et du Sud) si de telles réglementations aboutissaient.

Moratoires nationaux

Le bilan? Une seule variété, le maïs transgé­nique Mon810 de Monsanto, est actuellement autorisée à la culture dans l'UE (2), quand ailleurs les agriculteurs ont l'embarras du choix. C'est le résultat d'une procédure d'autorisation complexe où, in fine, faute de majorité qualifiée entre des Etats-membres de l'UE divisés, les dossiers sont systématiquement bloqués, à moins que la Commission ne prenne sur elle de trancher. Ce qu'elle a fait dans le cas du Mon810. Mais si elle peut autoriser, elle ne peut pas vraiment imposer: depuis 2005, six pays, l'Autriche, la Hongrie, la Grèce, rejoints par la France, le Luxembourg et dernièrement l'Allemagne (14 avril) ont prononcé unilatéralement des moratoires sur cette culture, que Bruxelles a dû entériner faute de pouvoir obtenir des autres Etats la condamnation des contrevenants. Et même dans les pays où le maïs est autorisé, les règles prudentielles de la directive de 2001, adoptée grâce à la mobilisation anti-OGM en Europe, imposent des contraintes environnementales et administratives aux agriculteurs, ce qui peut en limiter la diffusion (lire p. 37).

A contrario, là où les OGM sont autorisés et où les réglementations sont peu restrictives, ils se déploient à grande échelle. Les agriculteurs trouvent en effet un réel intérêt à les employer. Sans le moratoire adopté en 2008 par la France, les maïsiculteurs, principalement du Sud-Ouest, auraient volontiers poursuivi sur leur lancée: les 500 hectares cultivés dans l'Hexagone en 2005 étaient passés à 22 000 en 2007. En termes de rendement à l'hectare, les études soulignent pourtant l'apport marginal de la technologie OGM. Dans le cas du maïs, les rendements moyens aux Etats-Unis ont crû de 28% entre 1991-1995 et 2004-2008, mais, indiquent des chercheurs de l'Union of Concerned Scientists (3), seuls 3 à 4% de ce gain est imputable aux semences de maïs transgénique, l'essentiel de cette hausse étant attribuable à d'autres facteurs (progrès de la sélection variétale classique, conduite des cultures...). L'avantage comparatif des OGM est ailleurs: la simplification du travail de l'agriculteur et la réduction des coûts de production. Dans 99% des cas, une plante OGM présente l'une ou l'autre (ou les deux à la fois) de ces deux caractéristiques: la tolérance au glyphosate, un herbicide à large spectre, ou un pouvoir de répulsion des insectes, dû à l'incorporation d'un gène de Bacillus thuringiensis (Bt), une bactérie insecticide. La tolérance au glyphosate autorise les traitements sur une plus longue période de la croissance de la plante et permet de ne plus employer que ce seul herbicide. Autre avantage: cela évite le recours à un désherbage mécanique (lire p. 32 et p. 38). Quant aux cultures Bt, elles offrent une meilleure résistance aux attaques d'insectes et génèrent des économies d'insecticides. En Espagne, dans la région de l'Aragon, le gain net final, compte tenu du surcoût des semences OGM par rapport aux variétés conventionnelles, s'élevait à près de 120 euros à l'hectare de maïs... mais tendait à être nul dans d'autres régions où les attaques des insectes étaient plus modérées (4).

La planète transgénique (en 2008)

Tout cela serait presque beau si ces OGM qui font le bonheur des firmes semencières n'étaient le dernier avatar d'une agriculture chimique et industrielle devenue insoutenable (lire entretien p. 43). Une agriculture énergivore et impropre à nourrir la planète demain, surtout si la consommation mondiale de viande - qui requiert de grands espaces agricoles - devait continuer à croître indéfiniment. Et une agriculture aux graves impacts environnementaux. "On fait les mêmes bêtises, et on se retrouve avec les mêmes problèmes" résume Jacques Gasquez, à l'Inra. Ce chercheur souligne le développement de mauvaises herbes désormais résistantes au glyphosate - une dizaine d'espèces aujourd'hui - lié à l'usage systématique de cet herbicide. Mêmes problèmes avec les plantes insecticides, où l'on commence à voir apparaître des insectes nuisibles mais devenus insensibles, ce qui impose de nouveaux traitements. Ces problèmes de résistance aux substances toxiques se sont développés avec l'usage abusif de la chimie en agriculture et ne sont pas propres aux OGM. Mais ces derniers entretiennent un phénomène auquel on continue de répondre par la fuite en avant. Les semenciers, explique le chercheur de l'Inra, mettent par exemple aujourd'hui au point des variétés tolérantes à un second herbicide, qui pourra s'ajouter au glyphosate pour maîtriser les mauvaises herbes rebelles, qui développeront à leur tour de nouvelles résistances. Qu'il faudra éventuellement vaincre par des doses de plus en plus fortes...

Secret industriel gênant

A ce problème, qui prend un tour inquiétant, s'ajoutent de nombreuses incertitudes, qu'il s'agisse des effets de la contamination par les OGM d'espè­ces sauvages et cultivées ou même de possibles effets toxiques pour l'homme, mais difficilement décelables quand les autorisations, pour la consommation humaine et animale, se fondent sur des tests sur des rats de laboratoire limités à... trois mois.

Il en va des OGM comme de toute technologie nouvelle: la certitude n'existe pas. En revanche, un choix démocrati-que passe par une meilleure évaluation des risques. Or celle-ci se heurte au secret industriel. "Les dossiers techniques et les informations fournis par les firmes semencières aux administrations et à leurs comités scientifiques pour autorisation ne sont pas rendus publics", s'insurge le chercheur Gilles-Eric Séralini, directeur du conseil scientifique du Criigen (5). Ce qui interdit la contre-expertise. Le 10 février 2009, des universitaires amé­ricains - favorables aux OGM - ont adressé une plainte à l'Agence de protection de l'environnement américaine car les semenciers interdisaient de fait leurs travaux, en leur refusant l'accès à certaines données ou en leur retirant purement et simplement l'autorisation d'étudier eux-mêmes des plantes OGM. Un droit que font valoir en toute légalité des firmes en position d'oligopole - sept d'entre elles, à commencer par Monsanto, DuPont (Pioneer) et Syngenta, contrôlent 62% du marché mondial des semences - puisque leurs produits sont brevetés et donc protégés vingt ans durant. Mais cela va beaucoup plus loin: fortes de leurs puissants moyens de recherche, ces entreprises géantes multiplient les brevets sur des constructions génétiques qu'elles élaborent à partir des ressources de la nature et qui pourraient servir à fabriquer les éventuels OGM du futur, comme des céréales résistantes à la sécheresse. Non seulement ces firmes en confisquent ainsi par anticipation les éventuels profits mais elles bloquent la capacité de l'expertise publique ou indépendante à éclairer des choix nécessairement politiques.

Alternatives Internationales - n°43 - Juin 2009

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails