Quelle société sans classes?

Le soi-disant fossé entre riches et pauvres dans une Amérique "sans classes" est un euphémisme pour désigner l'existence d'une lutte des classes accélérée contre les travailleurs et les pauvres par une minorité relativement peu importante qui possède ou a accès aux richesses et au pouvoir.
Le Bureau du recensement des États-Unis annonçait le 24 septembre qu'en 2009 l'écart de revenus entre les riches et les pauvres aux Etats-Unis était le plus important depuis que ces statistiques existent. Un autre rapport du Bureau du recensement deux semaines auparavant révélait que la hausse du taux de pauvreté la plus importante sur une année civile avait eu lieu en 2009, même si l'estimation à 43,6 millions de personnes vivant dans la pauvreté est largement sous-évaluée à cause de critères d'évaluation obsolètes. De jeunes travailleurs et des enfants plongent rapidement tout en bas de l'échelle. L'an dernier, le taux de pauvreté a flambé chez les "adultes les moins qualifiés" entre 18 et 24 ans et 20% des enfants vivent en dessous de la pauvreté.
L"'Associated Press annonçait le 28 septembre que, selon les chiffres publiés récemment par le Bureau du recensement, les 20% d'Américains qui disposent des revenus les plus élevés — ceux qui gagnent plus de 100.000 dollars par an — ont reçu 49.4% de l'ensemble des revenus touchés aux Etats-Unis, par rapport aux 3,4% perçus par ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté. Ce pourcentage de 14,5 contre 1 est supérieur au taux de 13,6 de 2008 et représente près du double des 7,69 de 1968, le taux le plus bas qui ait été enregistré.
En calculant avec le coefficient de Gini, on trouve que les écarts de revenus sont les plus importants depuis que le Bureau du recensement a commencé à publier des statistiques en 1967. Ce sont les Etats-Unis qui ont également la plus grande disparité parmi les pays occidentaux industrialisés membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Voici des statistiques et des déclarations récentes qui montrent le profond fossé qui existe entre les classes supérieures et le reste de la société américaine, depuis les plus pauvres parmi les pauvres en remontant vers la classe ouvrière et les classes moyennes.
(Remarquez dans les paragraphes suivants la différence entre "revenu", c'est- à-dire ce qu'on gagne par an, et "richesses", c'est à dire les revenus plus le patrimoine – à savoir tout ce qu'on possède par ailleurs, comme la maison, la voiture, tout le mobilier, les économies, les actions et les obligations, les bateaux, les bijoux, etc.).
Selon le Wall St. Journal, une étude de 2008 sur les richesses aux Etats-Unis conclut que les 0,01% les plus riches (c'est-à-dire un centième de 1%, ou 14.000 familles) possèdent 22.2% des richesses du pays. Les 90% d'en bas, à savoir 133 millions de familles, n'en possèdent que 4%. Les 9,99% restants font bouillir la marmite avec les 73,8% restants.
David DeGraw écrit également qu'une étude récente réalisée par Capgemini et Merrill Lynch Wealth Management déclare que 1% à peine des Américains encaissent 13 trillions (treize mille milliards) de dollars de richesses investissables … et cela, sans tenir compte de l'argent qu'ils ont caché dans des paradis fiscaux.
Un rapport récent publié par Ray B. Williams indique que le “Bureau du recensement des Etats-Unis" et le "World Wealth Report" 2010 de Capgemini sur les fortunes annoncent tous deux une augmentation des revenus pour 5% des ménages les plus riches malgré la crise actuelle.
D'après les chiffres de l'Internal Revenue Service, l'IRS (agence dépendant du Trésor US, NDT), les 1% les plus riches aux Etats-Unis ont triplé leur part de revenus globaux en une génération.
En 1980, les 1% les plus riches aux Etats-Unis empochaient 1 dollar sur 15 du revenu global. Aujourd'hui, ils empochent 3 dollars sur 15 … Les écarts de revenus se creusent depuis la fin des années 1970, et ont atteint aujourd'hui un niveau inégalé depuis l'Age d'Or (de 1870 à 1900), période de l'histoire Etats-Unis définie ainsi à cause du contraste qui existait entre les excès des super-riches et la misère dans laquelle se trouvaient les pauvres".
Selon Paul Buchheit de l'Université de DePaul, "en 1965, le salaire moyen d'un PDG d'une grande entreprise US représentait 25 fois le salaire d'un travailleur moyen. Aujourd'hui, le salaire moyen d'un PDG atteint 250 fois celui du travailleur moyen.
Le New York Times annonçait le 31 mars 2010, "les plus grands gestionnaires des fonds spéculatifs ont réalisé des opérations en bourse en 2009 qui ont rapporté des gains record, les 25 les plus payés, selon cette étude, ayant perçu collectivement 25,3 milliards de dollars, battant largement l'ancien record de 2007”. Le PIB annuel de près de 90 pays membres des Nations Unies est inférieur à ce que ces gens ont ramené chez eux l'an dernier. Le PDG le plus payé sur cette liste est David Tepper, d'Appaloosa Management qui a encaissé 4 milliards de dollars l'an dernier.
Si l'année 2009 a été une catastrophe économique pour un nombre record d'Américains, la caste des milliardaires US – et des millionnaires aussi, bien entendu – a connu une année excellente.
Selon Forbes magazine, 2009 “a été une mine d'or pour les milliardaires", Bill Gates réalisait 13 milliards de dollars de bénéfices (ce qui a fait atteindre sa fortune à 53 milliards de dollars), et Warren Buffett empochait 10 milliards de dollars (ce qui a fait passer sa fortune à 47 milliards de dollars).
Il y a 1011 milliardaires dans le monde (parmi lesquels 40% sont Américains) qui totalisent en moyenne un revenu net de 3,6 milliards de dollars – à peine plus que les "richesses" possédées par la moitié la plus pauvre de l'ensemble de la population mondiale.
On explique aux Américains moyens tout le long de leur vie, à l'école, à l'église et dans les médias de masse qu'ils vivent dans une société sans classes sociales, et que la notion de classes, de lutte des classes ou de guerre des classes n'est que de la propagande gauchiste.
On admet qu'il y ait des différences de revenus – mais on prétend que dans la mesure où l'ascension sociale et l'accession au Rêve Américain sont possibles pour tout le monde s'ils travaillent suffisamment dur, il n'y a qu'une classe sociale, malgré les écarts de fortunes. Cette classe, c'est la "middle class", apparemment avec des segments spécifiques pour les très riches et les très pauvres. Mais le Rêve Américain et l'ascension sociale n'ont jamais été accessibles à tout le monde et depuis ces trente dernières années, ils ont été considérablement réduits pour beaucoup de nouvelles générations de travailleurs.
Combien de fois avez-vous entendu les élus d'un des deux partis politiques employer des termes comme: "classe ouvrière", "classes moyennes inférieures", "prolétariat", "bourgeoisie" et "classe dirigeante"?
Aux Etats-Unis, pratiquement tout le monde semble avoir été rassemblé sous l'appellation de "middle class" s'ils gagnent entre 25,000 et 250.000 dollars par an, ce qui est une parodie grotesque des véritables rapports de classes.
Les représentants de ces deux revenus différents ont peu de choses, voire rien, en commun, si ce n'est la classe sociale qu'on leur a attribuée.
Les millions de personnes qui vivent dans la pauvreté sont appelés les "pauvres" et sont, dans l'esprit des gens, souvent tenus pour responsables de leur condition (paresseux, inefficaces, ignares). Les très riches sont appelés les "Top 1%" et les riches tout court, les "Top 10%,” et sont souvent admirés et remerciés parce qu'ils créent les emplois qui empêchent la middle-class de tomber dans la catégorie des pauvres.
Depuis ces trente-quarante dernières années, la haute bourgeoisie et ses agents intensifient leur offensive contre les salaires et le niveau de vie des classes ouvrières et des classes moyennes inférieures et, plus récemment, de ceux de la classe moyenne également, poussant de plus en plus de gens vers les classes les plus défavorisées.
Un des exemples qui illustre ce phénomène est que les salaires ne sont plus liés aux augmentations de la productivité, comme c'était le cas au cours des trente années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et un autre exemple est l'érosion de l'impôt progressif.
De plus, le pouvoir de l'argent qui influence la Maison Blanche et le Congrès a permis de veiller à ce que, depuis 40 ans, pratiquement aucune législation importante sur les protections sociales n'émane de Washington.
Le Président Obama fait passer sa loi sur l'assurance maladie pour une avancée extraordinaire, mais ce sommet de la contribution sociale du gouvernement actuel se situe à droite des propositions du président Harry Truman en 1948 et du programme de 1972 du président républicain Richard Nixon.
Truman et Nixon ont échoué, et il y a eu une telle régression politique au cours de ces dernières décennies que les programmes du Parti démocrate sont aujourd'hui assimilables à ceux du centre ou du centre droit.
Le problème n'est pas uniquement la disproportion de l'argent détenu par une petite minorité d'individus alors que le niveau de vie de la plupart des Américains baisse, mais ce à quoi est employé tout cet argent. Il sert à élire des présidents, des gouverneurs et des maires dans la plupart des grandes villes. Il sert à élire les sénateurs et représentants des assemblées des états. Si vous avez des millions de dollars à dépenser sans tiquer, vous avez de l'influence politique, et une influence souvent décisive, qui est essentiellement utilisée pour favoriser davantage encore les possédants au détriment de ceux qui n'ont rien.
C'est ce qu'on veut dire par guerre des classes et elle n'est menée actuellement , semble-t-il, que par les Top 10% (les riches) qui détiennent 90% des richesses contre les 90% de la population (de la classe ouvrière, des classes moyennes) qui en détiennent 4%.
Les 50% de la population qui appartiennent aux classes les plus défavorisées, représentent à peine un pourcentage de 1% des richesses en Amérique.
N'est-il pas temps que les 90% d'"en bas" se rassemblent pour contre-attaquer et réclamer leur dû?
Jack A. Smith est rédacteur en chef de Activist Newsletter et ancien rédacteur en chef du Guardian (US), un hebdo radical.
No comment.
On le sait déjà (voir le billet précédent ), mais ça va mieux en le répétant.
Et puis, en complément:
Le mythe de Bill Gates (en anglais), qui aurait bâti son empire Microsoft avec son ami Paul Allen, il y a plus d’une trentaine d’années, grâce à du bricolage dans un garage.
Et également, une petite histoire, fort connue, mais significative:
Un jour, le jeune Rockefeller achète pour 5 cts une pomme à un marchand de rue.
Il la nettoie bien, la polit et la revend ensuite 10 cts.
Avec ces 10 cts, il achète deux autres pommes, qu'il nettoie bien, etc. et revend 20 cts. Et ainsi de suite, ce qui lui permet de se constituer un petit pécule.
Et puis, à 18 ans … il hérite de la fortune de son père.
Pour l'oligarchie, il faut des modèles qui justifient de la "réalité" du Rêve Américain et qui leur servent de vitrine, certes, mais s'ils déméritent, ils seront impitoyablement déchus.
Les exemples ne manquent pas, que ce soit dans le milieu des affaires, de la politique ou dans le show bizness et les médias.

http://blog.emceebeulogue.fr/post/2010/10/08/Quelle-soci%C3%A9t%C3%A9-sans-classes