Ces dernières années, le développement de la génétique a engendré celui des biobanques. Ces structures concentrent parfois de très nombreuses données génétiques. Le cadre juridique de leurs activités est flou. Elles suscitent des interrogations et des appétits.
Elles abritent des collections gigantesques. Ce sont des bibliothèques un peu spéciales, appelées biobanques, qui recèlent dans leurs rayonnages des ouvrages un rien particulier. Fragments d’ADN, extraits de cordons ombilicaux, échantillons de tumeurs cancéreuses se comptent en milliers, parfois même en centaines de milliers. C’est le cas au Royaume-Uni, où l’ADN de plus de cinq cent mille personnes est répertorié. Si la conservation de fragments humains à des fins de thérapie ou de recherche est une pratique qui existe depuis longtemps, ces dernières années, avec le développement des biotechnologies, leur nombre croît de façon exponentielle. « C’est d’abord un outil de recherche de première importance pour les scientifiques, explique Christine Noiville, juriste et chercheur au CNRS, directrice du Centre de recherches en droit des sciences et techniques. Le développement des biotechnologies, allié à celui de l’outil informatique, permet de comparer des milliers de fragments d’ADN, et ainsi d’identifier les gènes prédisposant à certaines maladies. » L’analyse des échantillons, notamment d’ADN, a aussi permis de retracer le parcours de groupements humains. Mais le matériel génétique est aussi source d’informations sur les individus et le regroupement de telles quantités de données soulève bien des interrogations.
« En Europe, et particulièrement en France, la législation qui protège les donneurs s’articule autour de deux axes : consentement et confidentialité, rappelle Christine Noiville. Un des enjeux majeurs est celui de l’ampleur du consentement. Certains donneurs seraient ainsi prêts à fournir leur ADN pour aider la recherche contre le cancer, mais pas la recherche en cosmétique. » Si la plupart des biobanques informent les donneurs de l’avenir de leurs échantillons, tel n’est pas le cas de certaines sociétés privées comme deCODEme, qui proposent des services de dépistage de prédisposition à certaines maladies. Leurs contrats prévoient que les informations génétiques des donneurs pourront être utilisées à des fins de recherche. Quels types de recherches ? Pendant combien de temps ? Une absence d’information que ces sociétés entretiennent savamment ? De même, il est difficile de savoir comment ces sociétés privées assurent la confidentialité des données. Christine Noiville pointe par ailleurs un manque dans la législation : « Pour les biobanques d’ADN, publiques ou privées, rien n’est prévu dans le cas d’une faillite de l’organisme gérant les collections. » Un flou juridique qui peut s’avérer dangereux. Ainsi, au Japon, on a vu des biobanques privées vendre leur collection aux enchères avec le mobilier.
Les biobanques n’ont pas toutes le même statut. En Europe, la plus grande part des collections relève du secteur public à travers des institutions émanant des ministères, des centres de recherches ou des hôpitaux. Des biobanques privées existent également, surtout à but non lucratif, contrôlées par des associations. Ces deux types d’organismes sont largement financés par les fonds publics alloués à la recherche, et dans une moindre mesure par des partenariats entre public et privé. Mais dans certains pays, des biobanques privées comptent bien sur les brevets issus de la recherche sur leurs échantillons pour rentabiliser leurs investissements. Ainsi, en Islande, la société deCODE Genetics, qui à collecté l’ADN de plus de la moitié de la population adulte depuis 1996, est financée par les laboratoires Roche et Merck, pas spécialement réputés pour leur altruisme.
C’est que le business de l’ADN peut s’avérer très lucratif : en déposant un brevet sur un gène responsable d’une maladie, l’entreprise peut commercialiser un test de dépistage. Et empêcher tout autre organisme de recherche ou laboratoire de travailler à une contre-expertise, ou à un test moins onéreux. Pour Christine Noiville : « Ce n’est pas tant le principe des brevets qui pose problème, mais la manière dont ces brevets ont été accordés et exploités ces quinze dernières années dans le domaine des biotechnologies. »
Un juge new-yorkais vient cependant d’invalider sept brevets portant sur des gènes liés aux cancers du sein et des ovaires, déposés par le laboratoire Myriad Genetics. « Un Don Quichotte », selon la juriste. 20 % des gènes humains identifiés sont déjà brevetés, et leur marché se chiffre en milliards de dollars. Autant dire que si le législateur veut se pencher sur le sujet, il doit faire vite.
Les biobanques, de Florence Bellivier et Christine Noiville. « Que sais-je ?» PUF, 2009. 128 pages, 9 euros.
le projet canadien p3g
Public Population Project in Genomic, dit P3G, est un consortium international à but non lucratif, d’origine canadienne, qui promeut la collaboration entre les chercheurs œuvrant dans le domaine de la génomique des populations. Parmi ses objectifs, P3G a décidé cette année de favoriser la collaboration et de promouvoir l’harmonisation des biobanques. Son souci premier est de créer une base de données des savoirs, publique et largement accessible, via une infrastructure pluridisciplinaire permettant de comparer les résultats de la recherche en génomique. Son but est de permettre à la communauté scientifique internationale d’établir des stratégies plus efficaces en matière de santé publique et de prévention des maladies.
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