Dans ce qui est probablement une première pour les médias grand public américains, le chroniqueur du New York Times Nicholas Kristof a récemment noté quelques-uns des parallèles entre l’occupation des terres palestiniennes par Israël et la tentative d’annexion du Sahara occidental par le Maroc : « Il est juste de reconnaître qu’il y a deux poids deux mesures dans le Moyen-Orient, avec une attention particulière aux violations israéliennes. Pourtant, le plus grand vol de terres arabes au Moyen-Orient n’a rien à voir avec les Palestiniens : c’est le vol par le Maroc du Sahara occidental et ses riches ressources, au peuple qui vit là-bas. »
Et comme on pouvait s’y attendre, l’ambassadeur du Maroc aux États-Unis, Aziz Mekouar, a publié une prompte réponse niant que le Sahara occidental ait été volé.
Mais la logique de l’ambassadeur est floue. « Loin d’avoir volé le Sahara Occidental », fait valoir Mekouar, « le Maroc a proposé à la région une autonomie sous souveraineté marocainne ». Ce qui revient à dire que voler n’est pas voler si vous êtes disposé à revendre l’objet volé aux victimes pour un bon prix.
Il y a onze ans, l’actuel roi du Maroc, Mohammed VI, a hérité d’un des plus vieux trônes du monde et de l’un des plus difficiles conflits d’Afrique, le conflit du Sahara occidental. Pour son père, le roi Hassan II, la prise du Sahara occidental à l’Espagne était devenue une bénédiction et un fléau. Cela a probablement été la plus grande réussite d’Hassan et le Sahara occidental était rapidement devenu le plus grand défi de la consolidation de l’Etat post-colonial marocain. Après plus d’une décennie de règne, Mohammed VI n’a toujours pas trouvé comment faire avec les conquête et héritage de son père dans le Sahara occidental contesté.
L’histoire immédiate de cet héritage remonte à octobre 1975, lorsque l’Espagne, qui gouvernait le territoire depuis 1885 a conclu un marché avec le Maroc, plutôt que d’être confronté à une sale guerre coloniale avec son voisin du sud, déterminé à saisir le territoire. Avec un fort soutien de la France et l’administration Reagan, le Maroc a réussi à occuper environ les deux tiers du Sahara Occidental, mais n’a pas été en mesure d’écraser le Polisario, étant donné le dernier refuge du mouvement d’indépendance en sécurité en Algérie. En 1988, le Conseil de sécurité, poursuivant le travail de l’Organisation de l’Unité Africaine, a obtenu que Hassan II et le Polisario acceptent de tenir un référendum pour l’indépendance du Sahara occidental ou son intégration au Maroc. Une mission a été envoyée en 1991 pour surveiller un cessez-le et organiser le vote, mais il a fallu des années pour résoudre les dissensions sur le corps électoral. En Juillet 1999, l’assentiment apparent du Maroc à un référendum d’autodétermination est mort avec le roi Hassan II.
Les positions actuelles des deux parties, et donc la logique de l’impasse, sont assez simples. Le Maroc voit le Sahara occidental comme partie intégrante de son territoire et exige donc une solution qui respecte sa revendication de souveraineté. Cette position exclut a priori la principale exigence des nationalistes du Sahara Occidental : un référendum sur l’indépendance. La position du Polisario, qui correspond à la légalité internationale, est que le Sahara occidental est un territoire Non Autonome sous occupation étrangère et en attente d’autodétermination.
Ces positions mutuellement exclusives sont renforcées au niveau régional et international. Bien que plus proche allié du Maroc, la France, et des partisans comme les États-Unis et l’Espagne, ne reconnaissent pas officiellement la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, ils estiment néanmoins que le retrait forcé du Maroc des territoires déstabiliserait un pays clé du Moyen-Orient et ami africain.
Le nationalisme Sahraoui est fortement soutenu par l’Etat le plus puissant d’Afrique du Nord, l’Algérie. La république en exil du Polisario est reconnue par l’Union Africaine comme le gouvernement légitime du Sahara occidental. Le Polisario reçoit le soutien important des principaux pays du G77 et de militants de la société civile internationale.
Depuis 2000, l’Organisation des Nations Unies a tenté de trouver une solution un équilibre entre deux mots principaux du conflit : la souveraineté et l’autodétermination. Le problème principal du Conseil de sécurité a été l’absence de volonté plutôt qu’une pénurie de solutions inventives. Pendant sept ans, le conflit a testé l’imagination et la patience de James Baker, qui a servi d’envoyé personnel du Secrétaire général l’ONU pour le Sahara Occidental entre 1997 et 2004. Baker a perdu la confiance du Maroc en Janvier 2003 quand il a proposé une solution qui permettait un référendum avec le choix de l’intégration, l’autonomie ou l’indépendance. L’envoyé personnel suivant, le diplomate néerlandais Peter Van Walsum, ne dura que trois ans avant d’être congédié sans ménagement par le secrétaire général. Il avait perdu la confiance du Polisario en suggérant que l’option indépendance, certes soutenue par le droit international, devrait être retirée de la table, parce que le Conseil de sécurité ne forcerait pas le Maroc à la permettre ou l’accepter. L’actuel envoyé de l’ONU au Sahara Occidental, l’ancien diplomate américain Chris Ross, nommé en Janvier 2009 par M. Ban Ki-moon, tente d’éviter un semblable sort en naviguant dans l’interstice inexistant entre le Maroc et le Polisario. Après avoir tenu plusieurs réunions pour discuter de nouvelles propositions émises par les parties en 2007 il n’y a pas eu de progrès et la prochaine manœuvre de Ross n’est pas encore claire.
Le mandat actuel du Conseil de sécurité est de trouver une solution politique mutuellement acceptable qui permettra l’autodétermination. Ce mandat a fait se gratter la tête de nombreux observateurs. Comment les parties peuvent-elles arriver à un compromis sur la question clé de l’autodétermination quand la pratique de la décolonisation de l’ONU a toujours offert un plébiscite à l’indépendance ? Le Maroc rejette l’option de l’indépendance et veut que sa proposition d’autonomie soit acceptée comme base pour les négociations (ce qui exclut l’indépendance). Le Polisario s’est déclaré disposé à parler de partage du pouvoir, mais seulement dans le cadre de garanties post-référendum (où l’indépendance est toujours une option). Contrairement à la revendication générique de l’autodétermination souvent exprimée dans les conflits séparatistes, ethniques ou nationalistes, l’autodétermination a un sens très clair et précis dans le cas du Sahara occidental, vu son statut juridique international - reconnu par les Nations Unies - de dernier Territoire Non Autonome d’Afrique. Dans une certaine mesure, l’Organisation des Nations Unies a les mains liées au Sahara occidental, et donc soit le Maroc accepte l’option de l’indépendance, soit le Polisario renonce à l’une de ses meilleures cartes.
Les parties ne sont toutefois pas le seul problème. Le Conseil de sécurité est aussi coupable de l’impasse actuelle que les parties. Les administrations de Clinton et George W. Bush ont toutes deux offert un soutien rhétorique et matériel inconditionnel au processus de paix de l’ONU - jusqu’à ce que les envoyés personnels aient réellement besoin que le Conseil fasse jouer ses muscles. Baker et Van Walsum ont été autant desavoués par le refus des parties de redéfinir la souveraineté et l’autodétermination que par le refus du Conseil de sécurité de faire pression aux moments cruciaux. En 2004, le Conseil de sécurité a refusé d’envoyer un signal fort au Maroc appuyant qu’une certaine forme de référendum d’autodétermination serait nécessaires à la paix, et a au contraire soutenu une vague solution politique mutuellement acceptable. En 2008, le Conseil de sécurité a refusé de soutenir Van Walsum quand il est arrivé à la conclusion que l’option de l’indépendance devait être suspendue. Le Conseil invite les envoyés personnels à faire des miracles, mais refuse de reconnaître qu’il détient la baguette magique de la louange et de la censure.
Le Secrétariat de Ban Ki-moon ne semble pas reconnaître, ou est incapable d’admettre, les choix difficiles auxquels s’expose l’entreprise de l’ONU au Sahara occidental. Dès Décembre 1995, Boutros Ghali avait reconnu devant le Conseil que les différences entre les deux parties étaient irréconciliables et surpris tout le monde en admettant qu’il n’avait jamais cru que le référendum arriverait. Il avait compris qu’il y avait en réalité trois options sur la table : imposer une solution aux parties, renoncer ou maintenir la pression des négociations. Invariablement, le Conseil de sécurité a choisi le numéro trois. Pour l’administration Obama, ces choix restent fondamentalement les mêmes et aussi déprimants dans leurs perspectives.
Aucun membre du Conseil n’est disposé à forcer le Maroc à l’autodétermination. La France pourrait opposer son veto une telle tentative, les États-Unis et le Royaume-Uni s’y opposer de façon plus subtile, et la Russie et la Chine résister pour leurs propres raisons internes. Un référendum sans accord sur le statut final de la négociation peut aussi devenir une catastrophe humanitaire, si certains refusent de reconnaître le résultat. L’Organisation des Nations Unies a appris cette leçon à la dure au Timor oriental où les forces Indonésiennes ont violemment refusé de reconnaître l’indépendance de ce dernier, incitant un Conseil de Sécurité fatigué d’intervenir à envoyer des Casques bleus. Si de semblables événements devaient accompagner la tentative d’indépendance du sud Soudan en 2011, les perspectives d’un référendum au Sahara occidental deviendrait d’autant plus faible. De plus, reste la question de savoir si 300.000 Sahraouis, dont près de la moitié a vécu comme réfugiés en Algérie depuis 1976, fortement tributaire des aides internationales, peut construire un état stable dans un territoire de la taille de la Grande-Bretagne. Le Polisario et ses partisans doit encore convaincre le P5 que l’indépendance apportera la paix plutôt que l’instabilité.
La reconnaissance unilatérale par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, qui semblait une possibilité dans les dernières années de l’administration George W. Bush, se révélerait tout aussi infructueuse. Ce serait contre le droit international et ne changerait pas l’attitude de l’Algérie, de l’Union Africaine, ou des réseaux de solidarité internationale de soutien à l’autodétermination. Plus important encore, cela n’affecterait pas le mouvement nationaliste sahraoui, qui est devenu tout à fait à l’abri de l’hypocrisie du soutien de Washington à l’autodétermination, en s’appuyant sur le cas de sécession (Sud-Soudan et au Kosovo), en l’opposant au cas de la décolonisation (le Sahara Occidental et de l’Est Timor). En effet, reconnaître officiellement la revendication du Maroc pourrait seulement convaincre de nombreux Sahraouis que la seule voie pour garantir leurs droits nationaux est celle de la violence. Le Maroc et ses bailleurs de fonds ont encore à faire une argumentation cohérente quant à la façon dont une proposition d’autonomie appliquée unilatéralement peut apporter une paix durable.
La seule personne à avoir apparemment pris l’option deux au sérieux a été John Bolton, au cours de son bref passage en tant que représentant des États-Unis à l’Organisation des Nations Unies. Le retrait du Conseil de Sécurité pourrait prendre deux formes : une suspension des efforts diplomatiques ou un retrait complet de la mission des Nations Unies pour le référendum et ses forces de maintien de la paix. Combinée à une pression dans les coulisses sur les deux parties pour un compromis, l’option la plus douce pourrait leur signaler qu’il est temps de cesser faire semblant devant la communauté internationale et temps de commencer à parler l’un avec l’autre. Un retrait complet de la mission de l’ONU semble peu probable, car il serait hautement controversé, il pourrait signifier l’indifférence internationale à la reprise des combats armés entre le Maroc et le Polisario.
Ainsi, l’option trois gagne par défaut. Jusqu’à ce que le Sahara occidental devienne une crise, que ce soit par hasard ou par choix, la médiation sans fin semble sans danger car elle ne modifie fondamentalement pas l’équation. C’est là le vrai problème au Sahara Occidental. L’ONU continue à faire la même chose en espérant des résultats différents.
Anna Theofilopoulou est une ancienne fonctionnaire des Nations Unies qui a couvert le conflit du Sahara occidental de 1994 à 2006. Elle a été membre de l’équipe de négociation de James Baker. Jacob Mundy est en thèse à l’Université de l’Institut Exeter des études arabes et islamiques. Il est co-auteur du Sahara occidental : guerre, nationalisme et conflit indécis.
http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article4682
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